Dr Chibli Mallat (Promo 1977)
 «Excellence et leadership dans l'éducation : éléments d'un programme présidentiel»

 

[Album photos] [L'Orient-Le Jour (article de 58kb en pdf)]

Dans le cadre des rencontres périodiques, Le Club Charles Hélou, Collège Notre-Dame de Jamhour et L’Amicale des Anciens ont eu une rencontre-débat avec Dr Chibli Mallat (Promo 1977), avocat, candidat à la présidence de la République, autour du thème :

«Excellence et leadership dans l'éducation : éléments d'un programme présidentiel».
Lieu : Salle de conférences Naoum Khattar (Centre Sportif, Culturel et Social du Collège)
Date : Jeudi 27 avril 2006, de 18h00 à 19h30

_________________

Il est commun d'associer excellence et éducation, et il devient de plus en plus rare d'ouvrir une brochure d'école ou d'université, ou la lettre annuelle de son directeur, sans se faire marteler par le souci pour cette institution d'offrir l'excellence à tous les niveaux, y compris le sport. Un certain agacement s'installe dans la mesure où le concept en devient galvaudé, qui rappelle ces phrases poncifs qu'on pouvait entendre en exergue à toute présentation au fil des mois qui ont précédé l'an deux mille, -- référence oblige de salutation au troisième millénaire. Jusqu'au jour où les orateurs sont apparus de plus en plus embarrassés d'accommoder la dure réalité arithmétique qui veut que le troisième millénaire débutait en 2001 et non en l'an 2000, en attendant de rougir de la panique planétaire du bogue 2000, tigre en papier qui révèle la fragilité de la masse humaine qui se croyait civilisée, mille ans après la Grand Peur de l'an Mil. On en est resté donc les dernières années 90 à la fascination du troisième millénaire chrétien. J'avais moi-même succombé, comme tant d'autres, à la métaphore grandiloquente dans le petit ouvrage qui me sert encore de programme, préparé en 1998 sous le titre 'Défis présidentiels'. 'A l'orée du troisième millénaire,' disait la présentation, 'le Liban se trouve à la croisée de chemins. Soit le malaise étouffe notre créativité, soit cette créativité triomphe. Le destin du pays en dépend, et l'esprit d'une nouvelle présidence déterminera si le Liban se bâtira sur les qualités réelles du pays, ou s'il s'enfoncera encore plus dans la fange de la médiocrité.' ( Défis Présidentiels, Beyrouth 1998, Présentation, 8).

Introduction donc de ces quelques idées autour de l'excellence dans l'éducation, en contre-pied de la médiocrité du politique : une première idée est négative, elle voit le souhait d'excellence tué par la répétition. Mais 'référence oblige' est aussi une bonne chose, dans la mesure où le concept d'excellence en matière d'éducation, comme le concept de démocratie, est devenu un trait commun à l'humanité. Les brochures d'institutions éducationnelles, comme les compagnies qui se veulent florissantes, parlent d'une recherche constante de l'excellence, de la même manière que la référence à la démocratie est devenue obligatoire dans tout discours de politicien. Vous connaissez l'ouvrage célèbre de Francis Fukuyama qui constate la fin de l'histoire dans l'avènement universel de la démocratie, entendue dans son sens classique pratiqué en Occident, par son passage à l'ensemble des Etats de la planète. Cette constatation est irréfragable, Tocqueville l'avait déjà présentée comme fil conducteur dans La Démocratie en Amérique : 'Partout on a vu les divers incidents de la vie des peuples tourner au profit de la démocratie; tous les hommes l'ont aidée de leurs efforts: ceux qui avaient en vue de concourir à ses succès et ceux qui ne songeaient point à la servir, ceux qui ont combattu pour elle, et ceux mêmes qui se sont déclarés ses ennemis; tous ont été poussés pêle-mêle dans la même voie, et tous ont travaillé en commun les uns malgré eux, les autres à leur insu, aveugles instruments dans les mains de Dieu.

Le développement graduel de l'égalité des conditions est donc un fait providentiel, il en a les principaux caractères : il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance humaine, tous les événements, comme tous les hommes, servent à son développement. ' (De la Démocratie en Amérique, 1830, Ed. de Médicis, Paris 1951, i, 5-6.)

Ce trait d'union universel entre l'excellence dans l'éducation et la démocratie comme principe politique nous sert de troisième idée que je souhaite vous présenter. Il est moins commun d'associer présidence et excellence, et on ne trouvera pas dans les qualifications du Patriarche Maronite son souci d'avoir un président 'excellent' à la tête de l'Etat. Il est néanmoins intéressant de l'entendre articuler une vision d'un président éduqué, cultivé, muthaqqaf, marquant ainsi en creux une demande de distinction basée sur la dimension 'éduquée' du dirigeant politique.

Voici donc le thème que j'ai choisi de développer avec vous, ce trait d'union que représente une certaine idée de la présidence entre l'excellence comme sujet universel de l'éducation, et la démocratie comme objectif universel de la politique.

Comme vous, j'ai usé mon pantalon sur les bancs de cet illustre collège, comme vous j'ai appris l'importance de l'excellence dans l'éducation, l'excellence comme objet de l'éducation. Le prix d'excellence était pendant longtemps l'apanage du meilleur élève en classe, je ne sais s'il figure encore en tête de la remise des prix en fin d'année. Et je crois que ce collège a des lettres de créance remarquables sur la réalisation de l'excellence dans la multitude des succès individuels, passés et actuels, de ses anciens. Je n'ai pas fait de recherches particulières, mais je sais que le Financial Times a consacré il y a un mois sa rubrique 'man in the news' à mon ami de classe Philippe Jabre pour son excellence dans le domaine financier, et qu'une des recrues les plus jeunes dans l'histoire de l'université de Yale, Marie Tomb, est un autre succès remarquable de votre génération. Et je puis vous assurer que le groupe le plus dynamique à New York est celui qui soutient une présidence d'un style nouveau, dont deux des membres qui ont le plus réussi, s'est constitué autour du noyau des anciens de Jamhour, Raymond Debbane et Gabriel Sara : deux petits résultats à son actif: une concentration sans précédent de Libanais de New York autour du thème de la présidence libanaise, concentration manifeste également dans un fundraising sans précédent; et moi-même comme témoin et bénéficiaire direct, grâce à l'activité de ce groupe, d'une rencontre avec le président américain, mais de manière beaucoup plus importante un travail soutenu au Conseil de Sécurité pour la restauration de la démocratie dans notre pays.

Trois petites idées dans notre propos, donc : excellence dans toute institution éducationnelle comme thème incontournable, démocratie dans tout système politique comme thème également incontournable. Trait d'union encore manquant entre les deux : excellence dans la présidence de la république comme condition qu'il ne faut pas contourner.

Ce dernier thème est particulièrement difficile à articuler dans la vie réelle, pour deux raisons contrariantes. La première est un principe de réalité, qui est celui de la dimension plutôt médiocre de nos politiciens en général, et de nos présidents de la république en particulier, l'excellence n'étant pas leur caractéristique la plus frappante. La médiocrité dans la vie publique est d'ailleurs un trait qu'on retrouve souvent dans le monde, les grands hommes du style du Mahatma et de Martin Luther King sont rares, qui plus est n'ont pas exercé la magistrature suprême dans leurs pays respectifs. La seconde contrariété est structurelle, et s'inscrit en complément de ce principe de réalité. Voyez-vous, les qualifications présidentielles sont toujours sujettes à interprétation, et une interprétation tellement élastique qu'elle finit par ressembler aux vignettes du zodiac dans la presse populaire. Tout candidat à la présidence, comme tout lecteur avide d'avenir rosé dans son signe du zodiac, s'y reconnaîtra, et s'il ne s'y reconnaît pas d'emblée, trouvera acclimatation correspondante, soit en ignorant 'la petite phrase' chère à Proust, soit en se livrant à des acrobaties métaphoriques du genre 'la jeunesse n'attend pas le nombre des années' pour la rendre adéquate à son profil, soit en utilisant les vieux instruments de l'exégèse dans le nasikh et le mansukh par des abrogations ultérieures. C'est humain.

Pour avancer donc dans cette recherche de l'excellence présidentielle, il faut trouver une autre route, et cette route est celle de la démocratie. Dans un de ses textes les plus beaux en introduction à la version française du Capital , Marx dit qu' 'il n'est pas de voie royale pour la science. Ceux-là seuls atteindront ses sommets éclairés, qui auront pris la peine d'en gravir les sentiers escarpés'. C'est là qu'opère le trait d'union entre présidence et excellence : il n'y a pas, en démocratie, une voie royale pour la responsabilité la plus haute. Pour l'atteindre, il n'a d'autre route que le processus, lent, courageux, persuasif.

Aussi faut-il passer à un autre niveau d'analyse, qui est pratique, et, j'espère vous le montrer, extrêmement actuel. Si une part de médiocrité est un donné dans la politique, libanaise ou mondiale peu importe, si les qualifications, y compris celle d'excellence, sont élastiques au point d'inefficacité, d'inutilité même, comment encore peut-on parler d'excellence dans la présidence ?

La réponse s'articule sur le défi que notre campagne présidentielle lance, consciente de ces difficultés réelles que sont l'inutilité des qualifications des candidats et la médiocrité du politique libanais, tel qu'il est augmenté d'interférences régionales, surtout syrienne, et accablé de cette démocratie confessionnelle des notables qui nous empêchent d'avoir nos présidences élues directement par le citoyen.

Défi que le processus, seul le processus permet de relever. Paraphrasons Marx: 'Il n'y a pas de voie royale pour l'excellence à la tête de l'Etat, celui-là seul qui y prétend se doit d'en gravir les sentiers difficiles', lesquels sentiers sont synonymes avec processus démocratique. Il faut aller au devant des gens, leur parler, discuter avec eux, les convaincre. Le pouvoir de persuader est essentiel à l'être humain, ce pouvoir est ce qui le distingue de l'animal, comme l'est le langage chez les grands linguistes, de Descartes à Chomsky. Or ne peut persuader qui veut, et l'art de la persuasion est vieux comme la rhétorique chez les Romains, et la dialectique chez Platon et Aristote. Pour persuader, il faut savoir parler, et pour parler, il faut avoir lu, écrit, débattu. Voyez comment le trait d'union se forme, entre l'éducation et la démocratie comme deux universels. Pour persuader, l'excellence dans l'éducation est une condition sine qua non. Cette phrase de Spinoza, nous l'avions dite l'an dernier, précisément envers un collègue qui voulait commenter sans avoir lu un document essentiel dans notre histoire, le Rapport Fitzgerald: 'Jamais', disait Spinoza, 'jamais l'ignorance ne servira d'argument'.

Education comme condition sine qua non de la démocratie, voilà qui n'est pas très original. Démocratie comme référent universel dans la vie politique, pas original non plus. Par contre, l'application politique urgente de ce trait d'union en rend l'originalité possible dans notre pays. Alors que le dialogue se poursuit, le trait essentiel de ce dialogue est qu'il soit public. Un dialogue sur des affaires nationales ne peut se faire dans les coulisses, comme ne peut se faire dans les coulisses l'élection du président de la République. Or voilà, contre le cynisme afférant à la présidence libanaise dans sa dimension traditionnelle, que ce mur du silence se lézarde. La semaine précédente, c'est en candidats déclarés à la présidence que nous nous sommes retrouvés, le général Aoun et moi-même, dans ce qu'il faut forcer comme forme essentielle de la démocratie dans notre pays. Plus de candidature larvée, plus de travaux sinistres et lâches dans les coulisses. Il faut offrir aux Libanaises et aux Libanais une présidence éduquée, et l'excellence dans une présidence éduquée se fait par un programme. Assez de qualifications et de profil, discutons de programmes avec les Libanais, car la présidence ne vaut rien sans eux.

Conclusion pratique: la présidence, comme magistrature suprême, est à l'ordre du jour du pays. Ce n'est pas par hasard. Nous avons échoué dans le changement présidentiel, temporairement c'est vrai, et le problème de la présidence est justement au coeur de l'achoppement place de l'Etoile. Le tabou est brisé, et il s'agit d'anticiper la seconde étape par une confrontation robuste sous forme de compétition démocratique ouverte pour cette présidence. Principe de démocratie, que peut-être des élections primaires pourraient aider à intégrer dans un processus où une partie des gens a, enfin, une voix, un vote. Nous méritons l'excellence pour la première magistrature, et l'accès à la direction de l'Etat ne se fera pas dans le chuchotement, ou dans la répétition à l'envi de qualifications présidentielles creuses ou élastiques. A nous alors de prendre au sérieux, comme témoignage d'excellence, la dimension éducationnelle, éduquée, cultivée, de la présidence. Comment savoir qu'une personne est cultivée ? Ce ne sera pas par ses diplômes, je puis vous l'assurer. Un des plus grands hommes d'Etat du 20 ème siècle, Jean Monnet, fondateur de l'Europe, n'a jamais fait d'études universitaires. Lisez ses Mémoires pour comprendre ce qu'est l'excellence mise au service du bien public. Non, ce ne sont pas les études universitaires qui forcément rendent, ni forcément les livres qui forment excellence dans l'éducation. D'avoir lu tous les livres, Mallarmé nous avait prévenu, ne rend pas la vie politique forcément moins triste, hélas. L'excellence dans la présidence est avant tout un pouvoir de persuasion qui la révèle au quotidien, dans un débat public, ouvert, compétitif.

Mais ce débat ne peut se faire à vide, il faut qu'il s'articule autour d'une idée, et d'une campagne. Idées de réforme politique, ça veut dire un programme. Campagne, ce sont des présentations comme celle-ci, et le passage forcé à des formes de compétition articulées autour de primaires, nouvelle idée sur la scène politique libanaise. Dans les deux cas, nous avons tenté de présenter ces efforts, qui culminent ce soir avec la jeunesse que les politiciens continuent d'ignorer superbement, systématiquement tellement elle semble les déranger, au sein de cette politique de proximité que l'équipe présidentielle, ici, à Londres, à New York, a développé avec les gens depuis six mois.

Il faut ouvrir le débat, et le structurer activement.

Je vous remercie, et vous invite à le rendre encore plus ouvert, robuste, éduqué, excellent.

Chibli Mallat, candidat à la présidence de la République est avocat et Professeur Jean Monnet de l'Union Européenne à l'USJ. La Chaire Jean Monnet est considérée par l'UE depuis 2004 comme 'Centre d'Excellence'. Il est ancien de Jamhour.


Collège Notre-Dame de Jamhour, LIBAN
Bureau de Communication et de Publication © 1994-2008