Samedi
11 novembre 2006
Imaginez un endroit, un
jardin, où des gens venant de bords différents se réunissent par cette même
volonté et ce désir de préparer un meilleur lendemain, un avenir où le mensonge
n’aurait plus de place et où la vérité l’emporte sur l’imposture qui
caractérise notre société d’aujourd’hui.
Aussi chimérique soit-il, cet endroit a été créé par des étudiantes de
l’Institut de psychomotricité de l’Université Saint-Joseph, l’espace de la
représentation de leur pièce de théâtre annuelle Imagine, écrite et mise en
scène par leur enseignante, Joëlle Haddad.
« Les étudiantes ont voulu crier leur ras-le-bol de la situation actuelle et de
l'insincérité des dirigeants dans le traitement des problèmes et des crises
dans lesquels passe le pays, explique Mme Haddad. Des sujets qui peuvent
paraître clichés, mais qui ne le sont pas, au moins pour ces jeunes filles, qui
n'ont jamais eu l'occasion d'en parler. C'est un message qu'elles lancent
également à leurs aînés, les appelant à les écouter. »
Dans Imagine, les jeunes étudiantes se plaignent ainsi de la réaction des
dirigeants, suite aux événements et attentats survenus au cours de l’année
dernière, s’interrogeant sur l’importance des « condamnations, devant les
larmes d’un père qui a perdu son fils ». L’émigration, la condition de la femme
dans notre société, les relations entre les parents et leurs enfants, la
guerre… autant de sujets évoqués par ces étudiantes et qui se répètent d’une
pièce à l’autre.
« Nous avons tendance à juger les jeunes sévèrement, déplore Mme Haddad. Ils
ont besoin de parler de la guerre, voire des guerres du Liban. C'est la raison
pour laquelle les étudiantes insistent à évoquer ces sujets dans cette pièce et
dans celles qui l'ont précédée, puisqu'il s'agit de problèmes qu'elles
rencontrent, qui les dérangent et qu'elles n'ont pas encore eu l'occasion de
régler. Généralement, ces problèmes sont discutés dans les classes terminales,
mais souvent les étudiantes atteignent leur dernière année universitaire sans
les avoir pour autant abordés. Et si ces thèmes se répètent d'une année à
l'autre, c'est parce que, tout simplement, ce sont des personnes différentes
qui les évoquent. Le théâtre leur permet de s'exprimer, d'autant plus que sur
scène, on peut dire des choses qu'on n'oserait pas évoquer dans la vie
quotidienne. Ce que ces étudiantes font nécessite beaucoup de courage, parce
qu'il ne faut pas oublier qu'en fin de compte, elles ne sont pas des
professionnelles. Je ne fais pas de casting. Toutes les étudiantes sont les
bienvenues. De même, il n'y a pas de premier rôle. La pièce est une tribune qui
leur permet de faire parvenir leur message. »
« Fachett khelek »
En effet, dès la première scène, vous êtes fixés sur ce qui vous attend. « Ce
n’est pas une pièce pour vous divertir, mais “la nfech khelkna” (crier notre ras-le-bol) », annonce
solennellement une jeune étudiante.
Riche en couleurs, en danses et chansons, Imagine raconte l’histoire de onze
étudiantes en psychomotricité, qui souhaitent monter une troupe de cirque.
D’une discussion à une autre, d’un passage comique à un autre tragique, les
répétitions tardent à finir et les jeunes filles se demandent sur l’utilité de
monter le spectacle et de le présenter. Elles décident enfin de se lancer dans
l’aventure, aspirant à un changement. « Imagine qu’un galet soit le témoin
errant que nous sommes passés, que nous sommes bien vivants. Imagine, si tu
veux, que rien ne changera. Je sais qu’on a fait au
mieux, le prochain, lui, pourra. N’imagine plus rien. Pendant que toi et moi
parlons, je vois déjà nos mains s’emparer d’une étoile », répètent-elles en
chœur, misant sur les nouvelles générations pour opérer le changement auquel
elles – et tous – aspirent.
Pourquoi le théâtre ? « À l’Institut de psychomotricité, le cours de
théâtre a été introduit au cursus, il y a quatre ans, répond Mme Haddad.
L’atelier de théâtre est obligatoire comme outil de développement personnel aux
étudiantes de troisième année. Son but n’est pas de monter une scène, mais de
donner aux étudiantes des exercices qui leur permettent de dépasser leur
timidité et de gérer leurs émotions. Ces exercices les aident également à mieux
se connaître pour mieux comprendre les autres, notamment les patients avec qui
elles traiteront. Dans sa forme de spectacle, le théâtre leur permet de
distinguer entre leur propre personne et le patient. Comme l’acteur qui doit
travailler les différents rôles qu’il interprète sans pour autant fusionner
avec ces personnages, les étudiantes doivent comprendre leur patient, mais elles ne doivent en aucun cas se confondre avec
lui. Elles doivent comprendre sa souffrance, mais ne pas souffrir avec lui,
sinon elles ne pourraient plus l’aider. Elles doivent faire un écart, mais
celui-ci ne doit pas être inhumain. Et réaliser que leurs problèmes personnels
ne doivent pas être impliqués dans la séance avec leur patient. »
Et Mme Haddad de poursuivre : « La pièce de théâtre est optionnelle. Elle est
ouverte aux étudiantes dans les différentes années. Pour la monter, je me base
sur les idées que les étudiantes me soumettent. Elles m’exposent le sujet
qu’elles désirent traiter et je monte le tout dans une pièce de théâtre, tout
en gardant le fil conducteur. » Ne se lasse-t-elle pas de répéter les mêmes
sujets ? « Non, parce qu’il ne s’agit pas d’un package. En fin de compte, je
traite avec des individus qui posent le même problème avec leur façon d’être,
leur manière et leur point de vue », conclut-elle.
Nada Merhi