Vous avez voulu faire de ce Congrès une "rencontre ignatienne",
pour donner vie à la réalisation d'un but très précis: "travailler pour les autres". Cette expression ne
peut que rappeler le Congrès de la Confédération tenu à
Valence en 1973, à l'occasion duquel le Père Arrupe a lancé
l'expression devenue très fameuse "des hommes pour les autres".
Permettez moi de rappeler les mots très forts du Père Arrupe,
en cette année de commémoration du 10ème anniversaire de
sa mort :
"Aujourd'hui, notre premier objectif
en matière d'éducation doit être de former des hommes
pour les autres; des hommes qui vivent non pas pour eux
mêmes, mais pour le Seigneur et le Christ; des hommes
qui ne peuvent même pas concevoir un amour de Dieu qui
n'inclurait pas l'amour pour le dernier de leurs voisins;
des hommes complètement convaincus que l'amour de Dieu
qui ne se traduit pas dans la justice des hommes est une
farce".
C'est à cette même occasion que le Père Arrupe a posé cette
fameuse question: "Est ce que,
nous jésuites, nous vous avons éduqué dans le sens de la
justice?". Pour répondre en toute sincérité
et humilité: "Non". Ces mots nous poursuivent toujours aujourd'hui.
Le discours de mon prédécesseur avait été mal reçu par
de nombreux anciens à Valence, et certains se sont même
sentis profondément blessés. J'espère que la même chose
ne va pas se passer avec le message d'aujourd'hui ! Néanmoins,
dans une perspective ignatienne, après presque 30 ans, nous
percevons encore la pertinence de ces mots. La justice, la solidarité et le service des autres, particulièrement
des exclus, se sont encore dressés ces derniers temps à
la première place et sont devenus des sujets brûlants, à
la fois dans l'Eglise et dans la société toute entière.
Une des caractéristiques de ceux qui cherchent à partager
la spiritualité ignatienne est l'immersion dans le monde
et dans la réalité de chaque jour, avec ses ombres et ses
lumières, de façon à "rechercher et trouver Dieu dans toutes
choses". Le Seigneur nous propose des défis, à travers les
personnes et les situations qui nous entourent, pour rendre
présent le Royaume. Ce qui est important est de discerner
ce que le Seigneur nous demande et de prendre les bonnes
décisions.
La mondialisation d'aujourd'hui, avec ses potentialités
immenses et ses terribles menaces, offre de nouveaux défis
que les anciens élèves des jésuites, individuellement ou
en tant que groupe, ne peuvent pas éviter. Permettez moi
de rester dans un contexte européen, qui est celui dans
lequel vous baignez, et d'offrir à votre réflexion trois domaines spécifiques d'action :
- Le premier est la recherche de
sens dans un environnement dans lequel la dimension transcendante
semble s'être évanouie. Il y a moins de deux
ans, dans son message aux citoyens de l'Europe, l'Assemblée
du Synode des Evêques a proposé une lecture des signes des
temps, pour mettre en évidence les nombreux " signes d'espoir
" qui jaillissent du don-qui-donne-la-vie de notre Seigneur.
Et, en même temps, l'Assemblée a fait ressortir les craintes
et les signes d'incertitude qui constituent le défi auquel
toute l'Europe doit faire face. C'est sur cette base concrète
que nos anciens doivent prouver leur espérance, et doivent
aider ceux autour d'eux qui cherchent la signification profonde
de la vie. Le Christ Ressuscité existe, et vous en témoignez
à travers une authentique spiritualité chrétienne incarnée
jour après jour, à travers l'échelle de valeurs que vous
communiquez et à travers votre comportement personnel et
social.
- Le deuxième domaine d'action est
offert par la mutation culturelle profonde que vit l'Europe
avec l'immigration. L'époque que nous traversons
se caractérise par une nouvelle phase dans le processus
d'intégration européenne et par une évolution puissante
dans un sens multi ethnique, multi religieux et multi culturel.
Par rapport à la manière dont nous nous situons devant ce
défi, cette intégration deviendra soit une richesse soit
une opportunité manquée.
Renouvelant l'appel des Evêques européens, je vous invite
à continuer à répondre avec justice et avec un grand sens
de la solidarité au phénomène grandissant des migrants et
des réfugiés. En tant qu'anciens, vous pouvez aussi créer
l'opinion publique et exercer une influence aux niveaux
auxquelles les politiques sont décidées et les décisions
prises. Cela représentera une forme très concrète que vous
pouvez proposer de "travailler pour les autres".
- Un troisième domaine d'action que
je me permets de vous proposer, est une attention particulière
à porter à l'Afrique. Bien que, au sens stricte,
ce problème s'étende au delà de vos frontières, pour des
raisons historiques l'Europe ne peut rester inerte devant
"l'océan d'infortunes" qui ravage le continent africain.
Au cours de la dernière réunion des universités jésuites,
en mai dernier, nos universités se sont engagées à fournir
un support institutionnel dans le développement ou l'amélioration
des institutions d'enseignement supérieur en Afrique.
Les moyens pratiques par lesquels les anciens peuvent, pour
leur part, aider l'Afrique, devront être étudiés attentivement.
Cependant, au delà de l'aide spécifique que vous pouvez
apporter dans des projets concrets, les anciens des jésuites
possèdent sans aucun doute le professionnalisme et la capacité
à influencer réellement, à la fois sur les plans nationaux
et internationaux, pour changer les attitudes et les comportements
vers l'Afrique ; l'Afrique, qui est très proche de Malte,
l'endroit choisi pour cette réunion.
Devant ces défis parmi beaucoup d'autres, vous n'êtes
pas démunis. Vous avez reçu une formation et vous partagez
un héritage spirituel, celui d'Ignace de Loyola, qui vous
prépare à travailler ensemble, en partenariat, entre autres
avec les jésuites, et à faire face à la nouvelle situation
européenne et mondiale. La Confédération Européenne et
les Associations nationales ont un rôle clé à jouer à
cet égard. Plus qu'un endroit où les anciens cultivent
occasionnellement la nostalgie, les associations devraient
être le point de rencontre des anciens pour partager la
même vision, pour se nourrir à nouveau aux sources de
la spiritualité ignatienne et pour trouver le support
nécessaire pour réaliser votre engagement à "travailler
pour les autres" dans la justice et la compassion.
Cela, je crois, est la signification profonde de la mission
des associations d'anciens élèves des jésuites. Dans cette
optique, je suis heureux de savoir que la Confédération
Européenne, à l'intérieur de l'Union Mondiale, a le souci
de promouvoir la spiritualité ignatienne et d'aider ses
membres à intégrer cette dimension dans leur vie de tous
les jours. Cela signifie non seulement participer à des
projets concrets pour aider les autres, mais par dessus
tout, offrir aux anciens la possibilité de grandir dans
la spiritualité ignatienne. En particulier, en se familiarisant
avec les Exercices Spirituels, qui n'ont pas perdu
leur efficacité pour nos engagements en tant que chrétiens
dans l'Europe d'aujourd'hui.
Je souhaite que votre réunion soit un succès, et je demande
au Seigneur, sous l'inspiration d'Ignace, que vous découvriez
de nouveaux chemins pour travailler avec les autres et
pour les autres dans la construction d'un monde plus juste
et plus fraternel.
Peter-Hans Kolvenbach
|