Titre

Robert Clément, s.j. (1918 - 1994) :
homme de pensée, homme de cœur

Hommage de Nagy Khoury

Evoquer le souvenir du Père Robert Clément, c'est, en quelque sorte, retracer l'histoire de Jamhour dans ses dimensions plurielles. C'est parler de Jamhour-esprit, Jamhour-famille, Jamhour-solidarité, Jamhour-pour-les-autres, Jamhour-engagement, Jamhour-Amour.

Rares sont les personnes qui ont si bien porté leur nom : Clément sans être faible, conciliateur mais en même temps ferme sur les valeurs qu'il défendait avec acharnement, le Père Clément a occupé à Jamhour, durant plus de 33 ans, divers postes, allant d'adjoint au Préfet Général, à Père Ministre, Préfet Spirituel, Père Spirituel, professeur de Philo, Supérieur de la Communauté, jouant le rôle de l' " éminence grise ", présent partout, avec la discrétion qui le distinguait, s'intéressant à tout ce qui pouvait faire évoluer les structures, les hommes et les esprits, prodiguant ses conseils toujours utiles, et œuvrant pour une meilleure compréhension entre tous.

Pour évoquer son souvenir, je me surprendrai en train de parler de moi-même. Rien d'étonnant puisque le Père Clément a été pour moi, comme pour beaucoup, le prof de Philo, le Père Spirituel, le Maître, le confident, le conseiller et l'ami.

J'ai appris, avec lui, en classe de Philo, qu'une action non fondée sur une réflexion saine et logique, et sur des convictions profondes, non guidée par la morale et l'éthique, ne pouvait mener loin.

Avec lui, je ne pouvais que mieux découvrir ce " Troisième Homme " qui chemine à mes côtés, me donnant sans cesse des coups de poing, multipliant, jusqu'au harcèlement, clins d'œil et signes.

Grâce à lui, à travers les nombreuses sorties de marche (c'est le seul vrai sport auquel je me sois jamais adonné), j'ai découvert mon pays et ses richesses, apprenant à l'aimer et à m'y attacher.

Il m'a appris le sens de l'engagement, le véritable, qui ne tolère aucune faiblesse, le sens des autres, celui du don de soi.

En 1970, il avait pris l'initiative d'organiser, avec Sœur Marie-Eugénie et l'Ecole de la Sainte-Famille Française, une session de formation pour animateurs ; et c'est là que bon nombre d'entre nous se sont découvert une véritable vocation dans l'animation.
Douze ans plus tard, en octobre 82, et grâce aussi aux encouragements du Père Dalmais, alors Recteur, je mettais avec lui sur pied le " Service Socioculturel " et devenais ainsi le premier animateur socioculturel en fonction au Collège, et probablement au Liban.
Et si ce secteur s'est autant développé depuis, c'est parce que " Clément " a largement contribué à lui donner des ailes.

Animateur, il l'était lui-même. Ses messes étaient de véritables rencontres avec Dieu, et ses homélies
des projets de vie.

Toujours en 1970, le " social " devenait, pour moi, plus qu'une passion : il devenait un engagement.
Dans ce sillage, j'apprenais la " non-violence " (nous avions ensemble suivi une session, en 1975, avec Jean Goss, l'un des apôtres français de la non-violence), je devenais l'un des jalons de la " Route de Jérusalem " lancée par André Haim et ses amis, je découvrais l'immense chantier de l' " Unité des Chrétiens " (petit-neveu de l'abbé Couturier, initiateur de la " Semaine Universelle de Prière pour l'Unité des Chrétiens ", le Père Clément devenait, pour Rome et pour les autorités ecclésiatiques locales, une des plus importantes références en la matière). Ceci sans parler des innombrables projets sociaux que nous avons réfléchis, concoctés et menés ensemble, ou du " Comité d'Activités Sociales " (C.A.S) dont il a été l'aumônier durant de longues années.

Aumônier aussi des gendarmes français, il s'est fait fort d'inculquer à ses compatriotes l'amour de sa seconde patrie. Dans ses lettres, pour parler des Libanais, il utilisait le " nous ".
Ainsi, m'écrivait-il un jour : " Il ne faut compter que sur soi. Trop longtemps, nous avons espéré en l'action de l'Occident. Nous avons été abandonnés et nous le serons encore tant que nous ne prenons pas, ici, nos affaires en main, directement… Nous avons à travailler pour la résurrection du Liban " (Lettre du 5 mars 91).

Prédicateur de retraites spirituelles et accompagnateur de groupes de réflexion, il savait témoigner et convaincre, toujours concret, toujours clair. Doué d'un grand charisme, il voyait les choses bien avant l'heure. Profondément chrétien, il croyait dans le droit à la différence et luttait en faveur de la coexistence. Ainsi avons-nous provoqué, en pleine période de luttes inter-confessionnelles, des groupes de rencontre entre nos jeunes et ceux de " l'autre bord ".

Quant à l'homme, je retiendrai, de ses nombreuses qualités, son sens de l'amitié et sa fidélité. En pleins bombardements, que de fois je l'ai vu débarquer chez moi, inquiet sur le sort des miens. En 90-91, lors de mon exil volontaire à Paris, il m'écrivait : " Tes amis ont besoin de toi, ici ! ". Oui, il partageait, avec une grande générosité, les joies et les peines de ses amis. Sait-on qu'il a passé auprès de Bernard de Bonnevigne, agonisant à l'Hôpital Saint-Charles, la dernière nuit de celui-ci, couché à même le sol, enroulé dans une simple couverture ? C'est là que l'infirmière de garde, sentant une présence entre le lit et le mur, le découvrit au petit matin.

Je retiendrai aussi sa disponibilité et sa présence : il savait cacher sa fatigue (car le Père Clément était un grand travailleur) quand il sentait que quelqu'un avait besoin de lui, de ses conseils, de sa plume ; sa capacité à écrire était invraisemblable, rédigeant en des temps record lettres et articles pour la presse et le " Nous du Collège " dont il a été la principale cheville ouvrière durant plus de vingt ans.

A propos d'articles, son amour infini pour le Liban l'a transformé, durant la guerre, en véritable " agence de presse ". Lorsque ces dernières étaient neutralisées ou inexistantes, le Père Clément multipliait lettres et articles aux plus hautes autorités spirituelles et diplomatiques du monde, n'hésitant pas à s'adresser au Pape lui-même pour l'informer des souffrances du Liban.

Et quand, quelques mois avant sa mort, il s'est vu décerner la médaille d'Officier de l'Ordre du
Cèdre, on pouvait lire dans ses yeux la joie d'un homme heureux de savoir que son message est bien passé. Il nous confiait, ce qu'on savait déjà : "Les médailles et les honneurs, c'est pas pour moi. Mais celle-ci a, quand même, une saveur toute particulière ! ".

Homme d'Eglise, serviteur de la Foi en Dieu,
Homme de cœur, serviteur de la foi en l'Homme,
Homme de pensée, éducateur et formateur,
Homme tout court, qui croyait en l'Homme, en ses capacités, mais aussi en ses limites et ses faiblesses, il se plaisait à dire, avec un sourire malicieux, en se frottant les mains, un peu timidement : " Les cimetières sont bourrés de gens indispensables ".


Nagy Khoury
Promo 73
Secrétaire général de l'Amicale des Anciens

Collège Notre-Dame de Jamhour, LIBAN
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