Titre

Témoignage d'Adib Chkeiban

"Va, car cet homme est un instrument que je me suis choisi pour répondre de mon nom…"(Ac 9,15)

Le père Abdallah Dagher est décédé le samedi 5 février 1994. Son cœur a cessé de battre le matin, à 80 ans… Il n'en fallait pas moins pour le forcer - enfin - à se reposer. Depuis qu'Abdallah - le serviteur d'Allah - (nom prédestiné ?) a répondu à l'Appel du Seigneur, il s'est assigné une mission, "sa mission à lui" : vivre parmi les Hommes, vivre dans le monde "pour répondre" du nom de celui qui l'a "choisi".

Infatigable, il était partout et nulle part, sur les routes et dans les airs; serein et d'un abord facile, optimiste et confiant, dynamique et calme, souple mais décidé, bohémien déroutant ses interlocuteurs, mais il lui suffisait d'un sourire ou d'un trait d'humour pour se faire excuser… C'était son charme, c'était son secret.

Ces quelques lignes ne prendront pas le ton d'un panégyrique. Humble et simple qu'il était, il ne l'aurait pas apprécié. Elles ne chercheront pas non plus à brosser le bilan d'une vie grouillante consacrée à servir et rien qu'à servir. Il a occupé dans la Compagnie toutes les fonctions de responsabilité : Supérieur de la Communauté, Recteur de Collège et d'Université, Supérieur Régional… Il a animé, présidé, travaillé dans un nombre illimité de commissions religieuses, pédagogiques, sociales… Une vie bien pleine, freinée par la servitude du temps ! A d'autres le soin de fouiller dans sa vie et de ramasser la moisson qu'il a semée.

Ces lignes s'adressent, plus simplement, à ceux qui à Jamhour ne l'ont pas connu. Il a été Recteur de ce Collège de 1972 à 1977. Quel souvenir nous a-t-il laissé ? Voici, pour mémoire, deux situations marquantes et à vous de juger.

- Suite à un incident grave qui s'était produit au Collège, comment le Père Recteur a-t-il réagi ?
"Je pouvais réagir, écrit-il en substance, de deux façons :
"de façon policière et de façon éducative. La plus facile était la première, la loi c'est la loi. Mais si l'on réfléchit sur les données, il est clair qu'un collège comme celui de Jamhour ne peut traiter dignement la question de cette manière… Il n'appartient pas à un collège de faire une besogne policière. Notre rôle d'éducateurs dépasse nettement notre rôle de juges."

Rappelons-nous octobre-novembre 1975 : l'insécurité, l'incertitude, l'inquiétude qui régnaient dans le pays. De rares écoles avaient ouvert leurs portes, de rares familles avaient rejoint leur domicile sur la côte ou encore moins à l'Ouest. Que faire de toute cette population scolaire enfermée à Achrafieh ou réfugiée dans le Metn-Nord et incapable de rejoindre leurs collèges ? Des initiatives privées s'étaient organisées sur place et demandaient au Père Recteur son patronage. Avec courage et nonobstant toute espèce de difficultés, "Jamhour en guerre" ouvre trois centres et reçoit des élèves de partout, garçons et filles (1), à Jamhour, Achrafieh et Bikfaya. De plus, à partir de Bikfaya, le Père Recteur accorde son patronage à plusieurs autres centres : celui de l'Hôtel du Bois de Boulogne, celui du Forest Hôtel de Mar Chaïa et celui de Mhaidsé… Quant au père Dagher, au mépris des dangers (2), "écartelé entre Jamhour, Achrafieh, Bikfaya, qui n'eut été accablé par le souci de tant d'églises ? Jamhour peut être fier d'avoir aidé à un service national qui a largement dépassé le cadre de Jamhour"(3). Ce service a duré deux ans…

Et si un jour, irrité par une mesquine contradiction il s'était écrié : "Mais que Diable sommes-nous venus faire dans cette galère"? Là-haut, un co-galérien se fera lui plaisir de lui répondre.

Adieu, Bouna Abdallah.

Adib Chkeïban
Promo 1944


1 - Ce fut le point de départ de la mixité au Collège.
2 - Il franchissait souvent, en blindé, la ligne de démarcation.
3 - Michel Gillier, s.j. le 20/7/1977

Collège Notre-Dame de Jamhour, LIBAN
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