La légende s'était emparée du père Gillier.
Les mauvaises langues prétendant qu'il était parfois un
peu long dans ses conversations, avaient inventé l'anecdote suivante
:
9h00 du matin. Le père Gillier rencontre un père d'élève
sur le parking du collège, à Jamhour. " Oh, Monsieur,
j'ai deux mots à vous dire. Auriez-vous une minute ? ". "
Bien sûr, mon père " et, se tournant vers son chauffeur
: " Allez donc faire la course à Damas ; vous passerez me
prendre au retour ! ". Nous du Collège, mars 1985.
Comment ne pas consoner avec cette légende, si vraisemblable
pour qui a connu le père Gillier ?
Par contre, comment ne
pas contester le surnom qu'on lui avait donné : " R.P.G. "
(arme offensive, signe de la guerre qui sévissait alors chez nous)
! Car il était pacifique, délicat, d'apparence plutôt
fragile, accueillant et très bienveillant ! Mais, qu'y faire ?
Il était bien le Révérend Père Gillier !!!
Il aimait le Liban, s'exprimant avec aisance dans notre langue qu'il parlait
avec l'accent des habitants de Bikfaya, dit-on. C'est là qu'il
avait appris l'arabe.
Discrètement, à sa manière à lui, il encourageait
ses élèves à aller prier à la crypte : ainsi,
je revois le grand tableau de sa division dans la montée des escaliers
; en gros caractères, joliment, il reproduisait dessus ces vers
de Victor Hugo parlant de sa fille :
" Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin
De venir dans ma chambre un peu chaque matin.
Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère.
Elle entrait et disait : " Bonjour, mon petit père ! ".
Il était jeune encore quand la maladie l'a emporté. Sa sur m'a dit combien paisiblement, malgré la souffrance, il a vécu ses derniers mois. Et c'est sans peine que je l'imagine arrivant, sur la pointe des pieds, discret et souriant, chez le Père qui l'attendait.
Berthe Mallat