« Amis dans le Seigneur » : ce n'est pas un thème parmi d'autres pour une rencontre de jésuites. Cela touche toute notre vie d'hommes - notre histoire personnelle comme ce que nous vivons ou désirons vivre au présent ; cela met en jeu aussi notre vie de compagnons de Jésus, la vie de la Compagnie et le témoignage rendu au Christ à travers ce que nous donnons à voir et à entendre de notre union entre nous : l'union des cours.
Je voudrais dire quelques mots maintenant : je préfère ne pas le faire dans une homélie, ni par une intervention en quelque sorte conclusive car je voudrais que le dernier mot de notre rencontre soit laissé à la Parole de Dieu que nous allons prier, et à l'Esprit de Dieu qui nous conduit, chacun pour notre part et ensemble, à désirer vivre davantage ce que nous avons compris être une réalité sans cesse inachevée - non ce que l'on croit connaître et posséder mais ce à quoi on se risque en répondant de manière sans cesse nouvelle à l'appel du Christ.
1. Vivre comme « amis dans le Seigneur », cela requiert une attitude d'esprit et de cour. Et le risque que nous courons toujours, quand nous parlons d'amitié, est celui de l'idéalisme, et du maximalisme attendu, souhaité ou espéré dans la relation entre nous. Or vous vous rappelez le côté « terre à terre » d'Ignace, ce réalisme qui l'amène à ne négliger aucun détail, ce sens du réel et de l'Incarnation qui le conduit à chercher le plus désirable et le plus universel dans ce qui est le plus concret et le plus élémentaire. Il importe de ne pas perdre de vue ce qui est le plus élémentaire dans notre expérience humaine et chrétienne quand nous parlons de notre désir de devenir davantage « amis dans le Seigneur ». Il importe d'abord de prendre soin du terrain, de cette terre humaine que nous sommes, car c'est là que l'amitié doit pousser ses racines et grandir :
2. Trois dimensions de notre « amitié dans le Seigneur » me semblent devoir être soulignées.
21. C'est une amitié référée au Christ : c'est, par conséquent, une amitié en quelque sorte « sui generis ». Permettez-moi un souvenir qui remonte à loin dans ma vie de jésuite. je parlais un jour à un jésuite plus âgé comme à un ami et je disais, comme pour poser un sceau sur ce qui réclamait la discrétion due à une confidence : « cela reste entre nous deux » et il m'a répondu : « oui , François-Xavier, cela reste entre nous trois - toi, le Seigneur et moi ». Ce jour-là, j'ai compris qu'il y avait toujours un tiers dans la relation entre 2 jésuites : le Seigneur. C'est Lui que nous désirons suivre, personnellement et avec d'autres, quand nous demandons à être reçus sous l'étendard du Christ » ; c'est Lui qui nous donne les uns aux autres alors que, sans Lui, nous ne nous serions probablement jamais rencontrés et connus ; c'est Lui qui nous unit et qui nous disperse parce que c'est Lui qui nous a appelés et rassemblés. Notre premier devoir les uns envers les autres est de ne pas briser ce que Dieu a fait, mais de l'affermir et de l'entretenir. et cela veut dire que la vitalité du lien entre nous, la justesse de notre relation à chacun --une relation où coeur et raison sont engagés - dépendent de notre propre relation au Seigneur, de la qualité de notre vie intérieure personnelle.
22. Notre amitié dans le Seigneur a d'emblée une dimension, une nature apostolique . Elle est certes l'amitié telle que l'expérience et la réflexion humaine nous la donnent à comprendre et à vivre : un des dons humains les plus précieux. Ce don nous aide à vivre le colloque : Saint Ignace écrit dans les Exercices : « faire le colloque, c'est proprement parler comme un ami parle à son ami » : comment pourrions-nous parler au Seigneur comme à un ami si nous ne parlions jamais à quelqu'un comme à un ami ? Mais elle a un caractère, d'emblée et comme par naissance, universel : elle est ouverte à tout et à tous, même dans l'amitié la plus forte entre deux compagnons car, c'est l'amitié de compagnons qui cherchent ce que le Seigneur veut d'eux et qui discernent Sa volonté - qui regardent et contemplent le monde dans sa diversité, sa beauté et ses enjeux comme la Vigne où travailler ensemble, - qui ont besoin des yeux et des oreilles de l'autre pour vivre la grâce de chercher Dieu en toute chose.
L'amitié entre compagnons - comme entre Ignace et François-Xavier - est faite de tout l'engagement de deux personnalités, de leur commune recherche de comment davantage servir le Seigneur et aider les âmes, et donc d'une manière radicale d'ordonner leur amitié à la mission. La mission qui nécessairement nous sépare et nous disperse réclame entre nous ce cour d'amis sans lequel l'obéissance risque toujours la caricature. Amitié et obéissance dans la Compagnie vont ensemble et se renforcent.
En d'autres termes, l'amitié « d'amis dans le Seigneur » n'est pas à elle-même sa propre fin :
elle témoigne de ce que le Seigneur a créé en nous, du cour qu'Il nous a façonné - et ce qu'Il a permis entre nous. Nous savons la force apostolique du témoignage donné de jésuites qui se rapportent les uns aux autres dans leur vie. C'est une manière d'agir. alors que les inimitiés ressenties fragilisent le témoignage donné, et que le caractère solitaire d'une tâche risque toujours de ne renvoyer qu'à soi seul ;
elle donne sa force au corps de la Compagnie comme corps évangélique, travaillé par ce désir de « communier entre nous pour un plus grand fruit » (Délibération de 1539). Elle montre que l'amitié entre personnes si différentes n'est pas une utopie. et que l'ouverture radicale à soi et à autrui peut conduire à une humanité réconciliée.
23. L'amitié entre nous, c'est une responsabilité.
De par l'appel reçu, la vie partagée, la mission discernée, les tâches portées, nous sommes responsables les uns des autres - et c'est une responsabilité à exercer :
En conclusion, j'aimerais exprimer un triple souhait :