Le père Madet arrive à Jamhour pendant l'été 
        1975. Il venait de quitter la Faculté de Médecine pour prendre 
        sa retraite. Il ne sait pas que, pour lui, la retraite est encore éloignée 
        !
Guerre oblige, il doit prendre en charge, au pied levé, l'enseignement 
        des Sciences Naturelles dans les classes de Philo et de Sciences Expérimentales.
        
        Impressionnant professeur pour des élèves impressionnés 
        dès le premier cours : sa réputation d'ancien Chancelier 
        de la Faculté de Médecine intimide plus d'un. Son enseignement 
        n'en est pas moins passionnant pour les apprentis que nous étions. 
        S'adressant à tous, il dispense un savoir complexe avec vigueur 
        et rigueur.
        
        Le personnage intrigue. La silhouette élancée et fine, les 
        traits tirés, lui donnent une mine austère. Le verbe incisif 
        et percutant, le regard vif et perçant, il semble sévère. 
        Son sourire malin en dit long sur sa perspicacité. Sa mémoire 
        quasi infaillible, lui permet de reconnaître rapidement ses élèves. 
        Il les interpelle par leur nom. Dans les couloirs, il salue les uns et 
        les autres et entame avec eux un brin de conversation, usant avec dextérité 
        de l'humour et du questionnement. Il finit, en un temps record, par connaître 
        chacun.
        
        Homme pressé mais pédagogue accompli, il répète 
        souvent à son interlocuteur (quand celui-ci peut le suivre) : " 
        Marche avec moi ! " Il incite ses élèves, lors des 
        fréquentes interruptions, à poursuivre leur formation. Il 
        leur conseille et leur prête des livres de la bibliothèque 
        de division ou, carrément du " Saint des saints ", de 
        la bibliothèque des pères. Ses cours commencent toujours 
        par une relecture interactive qui rafraîchit les informations, les 
        fixe et les relie avec ce qui sera exposé ultérieurement.
Quand en juillet 1977 je lui souhaite " Mabrouk " pour sa nomination 
        au poste de Recteur du Collège, il me répond : " Tu 
        peux tout me souhaiter sauf ça. La tâche est rude. " 
        
        
        En effet, travailleur infatigable et grand administrateur, il se dépense 
        sans ménagement, cumulant avec brio plusieurs mandats. Il est à 
        la fois, Recteur du Collège, Supérieur de la Communauté 
        des pères, Intendant, professeur de philosophie et de biologie 
        en terminale.
        
        Malgré la guerre, il s'engage dans un vaste chantier de restructuration 
        du Collège. Il en restaure et en renouvelle l'infrastructure, construit 
        un nouveau pavillon pour les Grands, décentralise les préfectures, 
        s'entoure de collaborateurs auxquels il accorde son entière confiance, 
        encourage les jeunes anciens à s'engager au service du Collège. 
        
        
        Véritable "homme d'état ", c'est d'abord le père 
        des nouvelles institutions, dont il dynamise et respecte le juste jeu. 
        Imprégnant l'institution de sa marque indélébile, 
        pour le Collège, son mandat est une réelle refondation. 
        On parle déjà de "deuxième république 
        " !
Homme de foi, ses homélies font mouche. Il s'adresse à la fois au cur et à la raison de ceux qui l'écoutent. Ils sont conquis et convertis.
Maniant la distance et la proximité, redouté pour ses colères, il prévient toutefois qu'il ne faut avoir peur que d'un père Madet calme. Ne craignant rien ni personne, il fait face avec témérité aux forces militaires de tout poil qui investissent le Collège.
Homme de bien, la charité chrétienne est son principe de vie. Bienfaiteur discret s'il en fut, proche des plus humbles, sa main gauche ignore ce que sa main droite dispense.
Sobre et austère dans son quotidien, il mène une vie d'ascète, mange peu, dort peu, mais veille au confort des autres. Au plus fort des bombardements de 1983, il passe la journée à inspecter les dégâts et à prévoir la reconstruction. La nuit, dans l'abri, il s'endort, le dernier, dans un fauteuil inconfortable.
Gravement malade, son espérance indéfectible en la grâce 
        de son Créateur lui donne la force de lutter avec stoïcisme. 
        Devant ses rares visiteurs, il refuse de s'épancher et préfère 
        plutôt s'enquérir de leur situation et de celle de leurs 
        familles. 
        
        Le 2 juin 1990, venu lui dire au revoir avant d'émigrer, il me 
        rassure sur l'avenir, me demande de prier pour lui. A mon "au revoir 
        mon père ", il quitte avec difficulté son fauteuil, 
        m'embrasse et se contente de me dire : " Adieu mon fils ! "
Maître et accompagnateur, homme d'état et honnête-homme, 
        homme de raison et de cur, passionné et tempérant, 
        homme de caractère et de courage, le père Madet, a profondément 
        marqué des générations de jeunes et de moins jeunes, 
        vivant et transmettant, par l'exemple, la sagesse et la foi, le courage 
        et l'espérance, la justice et la charité. 
        
        Parmi les jésuites du Proche-Orient, il fut un géant parmi 
        les géants. Un géant vertueux, à visage humain. Adieu 
        mon père !
Joseph Salamé
        Promo 1976