PRÉFACE
Entre les Jésuites et l'Orient arabe, des rapports anciens
On sait que Saint Ignace de Loyola (1491-1556), fondateur de la Compagnie de Jésus, a connu de près les Arabes et les musulmans. Malgré les dispositions répressives prises par la reine d'Espagne Isabelle II, vers la fin du XVe siècle, laissant aux musulmans, sur son territoire, le choix entre embrasser le christianisme ou le départ, un grand nombre d'entre eux continuèrent à habiter l'ancienne Andalousie. Ignace nous raconte qu'il a rencontré peu après sa conversion, dans l'un de ses voyages, un musulman qui fit route avec lui quelques heures. Une conversation sur la religion s'engagea entre eux. Le musluman exprima sur la Sainte Vierge des opinions peu respectueuses qui déplurent au Saint.
Lorsque la Compagnie de Jésus vit le jour en 1540, une bonne partie de son activité s'orienta vers l'Orient arabe, au contact de l'Islam et des musulmans. Elle assura par exemple au "Collège Romain", fondé par Ignace en 1551, et devenu en dix ans le premier des collèges de Rome, l'enseignement de l'arabe et d'autres langues orientales. Les Jésuites créèrent, à côté du Collège, une petite imprimerie qui publia un certain nombre de textes arabes. L'un des premiers : La véritable foi orthodoxe enseignée par l'Eglise Romaine, fut publié par le Père Jean-Baptiste Eliano. Le deuxième texte, adressé à des musulmans, fut sans doute rapporté d'Egypte par Eliano à l'occasion de l'un de ses voyages. Il s'intitule Compagnonnage spirituel entre deux ulémas, le Cheikh Sinân et le savant Ahmad, à leur retour de la ka'aba, entretiens utiles à tout musulman (1579). Eliano a par ailleurs composé ou traduit en arabe d'autres livres, au nombre total de huit.
Lorsque le pape Gégoire XIII voulut renouveler les relations fraternelles entre le Siège romain et l'Eglise maronite, il envoya le Père Eliano, qui avait déjà l'expérience d'une ambassade auprès du Patriarche copte, accompagné du Père Thomas Reggio, entre 1578 et 1579. Le Père Eliano fut une seconde fois chargé d'une ambassade au Liban, entre 1580 et 1582, en compagnie du Père Jean Bruno.
Quelques années plus tard, les Jésuites créèrent en Egypte et en Syrie des résidences et des collèges (en 1625, une résidence à Alep; en 1650, un collège à Aïntoura au Liban; en 1697, un séminaire au Caire). Depuis le dix-huitième siècle jusqu'à maintenant, ils ont édité des livres en arabe dans divers domaines, spirituels, linguistiques, littéraires. Dans leurs fondations éducatives, et en particulier dans l'université créée à Beyrouth en 1875, ils ont formé plusieurs générations dans les domaines scientifiques, littéraires, sociaux et religieux, entretenant chez leurs étudiants le sens de la rencontre et de la convivialité.
LES MARTYRS DU LIBAN
La Compagnie de Jésus est formée de membres de diverses nationalités, aussi leur province du Proche-Orient compte-t-elle des Compagnons venant de plusieurs pays. Ils ont souvent renonçé à leur patrie d'origine et se sont intégrés, pour toute leur vie, à leur nouvelle patrie. La guerre qui a éclaté au Liban entre 1975 et 1990 a provoqué la mort de 7 d'entre eux, tous non orientaux, qui s'étaient voués au service de ce pays. La plupart de ces martyrs travaillaient dans le domaine universitaire, et quelques-uns étaient au service de la rencontre islamo-chrétienne. Suivent de brèves notices sur chacun de ces martyrs.
Depuis la fondation de la Compagnie de Jésus au XVIe siècle jusqu'à maintenant, elle a offert en 465 ans des centaines de ses fils sur l'autel du martyre. Ils sont tombés, témoins de leur foi, dans bien des régions, du Japon et de la Chine jusqu'au sud de l'Amérique, en passant par l'Afrique, l'Europe et nos pays du Moyen-Orient. Beaucoup d'entre eux avaient abandonné leur propre pays pour trouver la mort dans des pays étrangers, ayant renoncé à ce qu'ils avaient de plus cher pour partager les souffrances et les espoirs de nouveaux compatriotes. Des sept martyrs tombés au Liban durant les derniers évènements, aucun n'était libanais: 5 étaient français, 1 hollandais et 1 américain. L'écrivain chrétien Tertullien (155-222) n'écrivait-il pas : "Toute terre étrangère est pour eux une patrie, et toute patrie une terre étrangère" ? Le Moyen-Orient a été choisi par Dieu pour être le berceau des civilisations et du monothéisme; il a eu le grand honneur de porter un message de convivialité et d'unité : il doit y rester fidèle.