Témoignage de Mlle Berthe MALLAT

Coléreux ou comédien de talent ? Les deux sans doute ! Plusieurs élèves de Terminales, leurs professeurs aussi, se souviennent d'un certain martèlement au-dessus de leurs têtes, pendant les heures de classe, de cris arrivant par les fenêtres ouvertes : coups de pieds rageurs du P.Mayet,"invectives" adressées à ses élèves de 4ème. Quelques instants plus tôt il les avait appelés "mes petits lapins"!... Au boucan que j'entendais, j'imaginais une classe terrorisée - qui devait l'être, en fait ! Plus tard, il me montrait, satisfait, des copies de français qu'il venait de corriger. Sujet:"Vous avez été témoin d'une crise de colère. Racontez". Et les plumes allaient bon train, quelques-unes osant donner en exemple un certain père Mayet...
La scène se renouvelait d'année en année.
Il adorait ses élèves qui le lui rendaient bien. Très rieur, il s'amusait avec eux d'un rien, écoutait leurs histoires, se mettant sans peine à leur niveau. Je l'entends encore, en présence de l'une de ses élèves les plus appréciées, s'esclaffer gentiment devant le nom qu'elle portait : "Ma-ha-HA-HA-HA-Hachem" riait-il. Car il ne comprenait rien à la poésie de nos noms libanais et il ne les entendait qu'"en français".
Au cours de ses 37 années au Liban, dont 35 à Jamhour, longtemps il a enseigné le français. Grand mélomane, il a, avec joie et maîtrise, dirigé la chorale du Collège. Il y a été aussi préfet de musique. Sa voix, toujours un peu enrouée, était d'une justesse parfaite.
Pendant l'été 1989, sa vue baissant beaucoup, il dut rentrer en France, dans sa ville natale de Lyon, où il put encore exercer quelques ministères. Puis, en 1994, il fut reçu à La Chauderaie -maison de jésuites à la retraite. Quand, de passage à Lyon, je lui téléphonais pour lui annoncer mon arrivée :"Comment ? C'est vous ? Sapristi ! Vous avez encore le courage de venir voir ce vieux gâteux que je suis devenu ?"
Gâteux, il ne l'est pas en dépit de ses 84 ans. Mais il est resté bourru et même gouailleur. Serait-ce pour cacher une grande sensibilité ? Je le crois volontiers, sinon, d'où vient qu'il ait encore tant d'amis ? En effet, nombreuses sont les personnes qui lui sont restées fidèlement attachées, au-delà des années et des distances. Lettres, cartes, téléphones, visites...Il est réceptif à tout, à tous.
Quand il savait que je devais venir, il préparait une pile de lettres - et il m'attendait en écoutant de la musique. Ses yeux ne lui permettant plus de lire son courrier, ni d'y répondre, il a aujourd'hui recours à des "secrétaires" et il ne se laisse pas décourager: ne lui faut-il pas, coûte que coûte, rester en relation avec ses amis ? Tout dernièrement, l'un deux me confiait avec émotion : "Il est vrai, il est nature... il n'y a en lui aucun artifice. Et il a grand cœur !"
Grande fut la joie du père d'avoir été invité au 30ème anniversaire de la consécration de l'église Notre-Dame de Jamhour, le 21 novembre 1998, et d'avoir eu à prononcer l'homélie dont beaucoup gardent le souvenir.
Grandes furent aussi sa joie et son émotion, en septembre dernier de pouvoir se rendre à Verdun, pour prier dans le cimetière où repose son père, tué pendant la guerre de 1914-18, et qu'il n'a jamais connu.
Pouvait-on se douter alors, que trois mois plus tard, le 13 décembre dernier, il ferait une congestion cérébrale ? Me trouvant à Lyon le 1er janvier 2000, je pus aller le voir à l'hôpital. Il me reconnut immédiatement et réagit, me racontant - bien que très faible - ce qui lui était arrivé, sans perdre son sens de l'humour : "Si dans cette sonde gastrique on pouvait me mettre un peu de whisky !" Nous avons évoqué des souvenirs... Pensant lui faire plaisir, je lui ai chanté "L'ombre s'étend sur la terre". Sans un geste, les yeux grands ouverts (ces yeux qui ne voient presque plus), il m'a écoutée avec une gravité impressionnante. Il priait.

Sur sa vie intérieure, il s'est toujours montré très discret. Je ne lui connais pas de discours pieux, de grandes et belles phrases... Mais dans sa réserve habituelle, un mot, parfois lâché comme par hasard, ou une brève réaction, laissent un peu deviner ce qui le fait vivre en profondeur.

Berthe Mallat

Collège Notre-Dame de Jamhour, LIBAN
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