Homélie du P.Jean Dalmais,s.j.
Messe en souvenir du Père Albert MAYET, s.j.

Jamhour, le lundi 29 mai 2000

De l'évangile selon saint Jean
(Jean 16, 7-8. 13. 20-23)
Avant de passer de ce monde à son Père, Jésus dit à ses disciples : "En vérité, je vous le dis : c'est votre intérêt que je parte; car si je ne pars pas, le Défenseur ne viendra pas vers vous; mais si je pars, je vous l'enverrai. Et lui, une fois venu, il dénoncera l'erreur du monde sur le péché, sur le bon droit et sur la condamnation...
Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous guidera dans la vérité tout entière; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu'il entendra, il le dira et il vous expliquera les choses à venir.
En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous vous lamenterez, et le monde se réjouira; vous serez tristes, mais votre tristesse se changera en joie. La femme, sur le point d'accoucher, s'attriste parce que son heure est venue; mais lorsqu'elle a donné le jour à l'enfant, elle ne se souvient plus des douleurs, dans la joie qu'un homme soit venu au monde. Vous aussi, maintenant vous voilà tristes; mais je vous verrai de nouveau et votre cœur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous l'enlèvera. Ce jour-là, vous ne me poserez aucune question. En vérité, en vérité, je vous le dis, ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom.+

Homélie du P.Jean DALMAIS, s.j.

Nous venons d'entendre dans cet évangile les dernières paroles que les apôtres entendirent de la bouche de Jésus avant son passage dans la mort, des paroles mystérieuses, des paroles en apparence bien contradictoires, où il est question de départ et de retour, d'absence et de présence, de mort et de vie, de tristesse et de joie, des paroles qui sont en fait le résumé de tout le mystère chrétien, que nous avons à revivre dans notre propre existence, ce mystère de foi et d'espérance, ce mystère de passage de la mort à la vie.

Ce soir nous sommes réunis pour retrouver dans la prière celui qui, au terme de sa route sur la terre, a trouvé avant nous la plénitude de la vie, cette vie pour laquelle nous avons tous été créés, et vers laquelle nous nous dirigeons tous.

Il est bien difficile de décrire en quelques mots une personnalité aussi riche, aussi complexe, aussi attachante que celle du P. Albert MAYET. Qu'il me soit permis cependant d'évoquer rapidement certains aspects du caractère de ce vieux compagnon dont j'ai partagé les travaux et les jours, durant les 25 années de notre vie commune à Jamhour.
L'homme avait une sensibilité à fleur de peau, contenait mal une susceptibilité quasi maladive, et souffrait de son tempérament explosif qu'il n'arrivait pas toujours à dominer. Mais il fallait percer l'écorce de cet extérieur rugueux, pour y découvrir l'homme de cœur, l'ami fidèle, le religieux exemplaire, le pédagogue consciencieux jusqu'à la minutie, l'artiste et le musicien délicat et passionné.
Oui, le Père Albert MAYET supportait difficilement la contradiction, d'où ses colères homériques, que personne ne prenait vraiment au sérieux, ses petites rancunes tenaces, dont il était le premier à souffrir. Mais nous savions que pour rien au monde, il n'aurait voulu blesser et peiner ceux qui l'approchaient et travaillaient avec lui.

Toute sa carrière apostolique et sa vie religieuse ont été mises au service du Collège : d'abord surveillant des Moyens externes au Collège de Beyrouth de 1947 à 1949, puis après son sacerdoce, à Jamhour de 1954 à 1989, Père Spirituel des Moyens, professeur de français en 4ème, responsable de la chorale et grand maître des cérémonies liturgiques. Qui ne l'a vu arpenter à petits pas pressés l'allée conduisant à la porte latérale de l'Eglise, allée qui porte désormais son nom, chargé comme un baudet, de missels, de chandeliers, d'aubes et d'étoles, que sais-je encore, pour aller exécuter à la sacristie de l'église les tâches les plus humbles, pour être sûr que rien ne soit négligé. Qui ne se souvient du maître de chœur, de son souci de la perfection, de ses éclats, et des baguettes lancées en direction des auteurs de fausses notes... ? Et les élèves qui ont eu la chance de profiter de son enseignement ne peuvent oublier avec quel soin méticuleux, il préparait ses cours de français, corrigeait leurs copies, soulignant toutes les phrases, et puis ces fameux jours de colère froide, justifiée par la paresse ou l'indiscipline de quelques uns, où il accomplissait la prouesse de "donner" son cours durant plusieurs jours consécutifs, sans prononcer une seule parole, ayant transcrit au tableau de la classe, dans le moindre détail les explications nécessaires et les consignes du travail à exécuter sous sa surveillance. Alors quel soulagement, quelle joie, de le voir reprendre ensuite avec un sourire narquois le dialogue avec ses élèves, comme si rien ne s'était passé auparavant.

En un mot Albert MAYET s'est donné à sa tâche d'éducateur durant 37 ans avec un dévouement sans faille, jusqu'à l'épuisement. Lorsqu'il lui fallut renoncer à cette vie de Collège, qu'il aimait tant, à cause d'une vue qui faiblissait peu à peu, un cœur qui battait la chamade, et des jambes qui le supportaient de plus en plus mal, ce fut certainement un arrachement. Mais il accepta en religieux exemplaire son retour en France, avec une humilité et un détachement qui ne lui firent pas oublier pour autant son amour du Liban et de son Collège. Dans sa retraite de la Chauderaie, près de Lyon, il vivait avec ses souvenirs soigneusement entretenus par les visites que lui rendaient ses anciens élèves et ses compagnons jésuites. Sa plus grande joie durant ces années d'exil est d'avoir pu revenir au Liban à deux reprises, la première fois invité par l'un de ses plus chers anciens pour le baptême de son fils, et tout récemment pour célébrer avec nous le jubilé de la consécration de l'église du Collège. Et quelle ne fut notre émotion à tous de l'entendre à cette occasion, évoquer durant 25 minutes de sa voix cassée de vieux fumeur, et sans l'appui d'aucune note écrite, ses souvenirs du Collège, et sa dévotion d'enfant à Notre-Dame de Jamhour ? Tous ceux qui l'ont approché durant ces dernières années ont été frappés par sa sérénité rayonnante, son sourire malicieux, sa patience devant les contraintes et l'épreuve de la vieillesse, à tel point que l'on avait de la peine à reconnaître en lui le tempérament bouillant et impulsif de ses années de jeunesse.

Il s'est éteint paisiblement et discrètement le 14 mai, en la fête de Notre-Dame de Fatima et nous sommes sûrs qu'il est allé ouvrir tous grands ses yeux à la lumière du Ciel, se joignant au chœur des anges pour chanter avec eux, le Suscipe de saint Ignace, harmonisé par son ami Bertrand Robillard, qu'il avait si souvent dirigé : "Prenez, Seigneur, ma liberté toute entière... Donnez-moi votre amour et votre grâce, c'est assez pour moi."

Mes chers amis, ce soir en union étroite avec Albert Mayet pour qui, et avec qui nous prions, demandons au Seigneur de fortifier notre foi, et notre espérance en la vie, afin que le Christ ressuscité soit dès maintenant notre vie, en attendant d'être au dernier jour, pour nous tous, notre résurrection.

Amen.

Collège Notre-Dame de Jamhour, LIBAN
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