"Voilà le méchant rouquin". C'est en ces termes que ma mère a dûs comme à l'accoutumée, l'accueillir le 13 mai dernier. Partie à peine un mois plus tôt, ils ne s'attendaient sans doute, ni l'un, ni l'autre à se retrouver. Malheureusement, le sort ne nous a guère épargnés ces dernières semaines. Lorsqu'il s'acharne, il balaie beaucoup de certitudes. A cet égard, Albert Mayet était le roc sur lequel on souffre de ne plus pouvoir s'accrocher. Avec sa disponibilité de tous les instants, il avait un don rare, celui de l'écoute. Mal-voyant depuis quelques années, il goûtait intensément la musique qui l'aidait à vivre, et prenait tout son temps à écouter ses amis, ses "petits lapins", leurs angoisses et leurs moindres tourments. Chez lui "l'oreille absolue" était disponible aux êtres comme à la musique et s'accompagnait d'une foi à déplacer les montagnes, d'une humilité et d'un humour qui terrassaient la langue de bois et la grandiloquence.
Jésuite jusqu'à la moelle, il avait une méfiance toute ignatienne des débordements de piété, de l'angélisme et de l'auto-flagellation. Préfet d'église, il fustigeait "les marchands de messes".. Maître de musique, il détestait la facilité au point de communiquer aux bambins que nous étions, son ravissement pour Lassus ou Kodaly. Son Dieu était souriant et sa création, joyeuse. On lui connaissait des inimitiés (très relatives), des rancurs (vénielles), mais surtout des colères légendaires. Au point d'interrompre, en plein milieu, une messe ou une représentation des Petits Chanteurs, et de faire voler les livres et les pupitres. Cela le rendait si proche, si humain. Au fait, nul n'était dupe ( à commencer par lui-même) et tous souriaient au rouquin au grand cur qui détestait tant "la guimauve et les bons sentiments". Ce rescapé des camps nazis avait développé une véritable allergie à la lâcheté et à la complaisance. En revanche, la complicité était son fort, si bien que ses yeux brillaient de malice à l'évocation de tel ou tel ancien (ou ancienne) et de leurs facéties. Quelques dizaines d'années plus tard il se rappelait encore chacun, son année de promotion, ses faits et ses méfaits. Pour moi et pour les miens, Mayet c'était la famille la plus proche, l'amitié et le recours indéfectibles, même au fin fond de sa retraite.
Le Liban qu'il avait fait sien, qu'il avait sillonné dans ses moindres recoins et arpenté de part en part, il l'avait tellement porté dans son cur qu'il souffrait de l'indifférence que d'aucuns lui manifestaient dans son exil. Ce Liban, il l'avait retrouvé avec bonheur ces dernières années, sachant qu'il ne le reverrait plus. Désormais, il repose loin de lui. Mais là où il se trouve, il aura la consolation d'écouter chanter les anges. Beaucoup d'anges, on le sait, sont musiciens. Mais y en aura-t-il un seul pour lui servir un bon whisky ?Roland TOMB