« L'Université Saint-Joseph, fondée et animée par la Compagnie de Jésus,. » ainsi commence la Charte de l'USJ. En cette année jubilaire des jésuites, on peut réfléchir à ce qu'il y a de jésuite dans l'Hôtel-Dieu de France, à Beyrouth, vingt-deux ans après sa prise en charge par l'USJ, ou plus savamment quelles y sont les valeurs ignatiennes.
Au temps de saint Ignace, on ne parlait pas de valeurs : il n'existe nulle liste des valeurs ignatiennes. Mais certaines apparaissent en filigrane dans les pratiques d'Ignace, tout particulièrement dans sa conduite des retraites spirituelles, codifiée dans le livre des Exercices spirituels.
Une première valeur est l'ordre. Selon leur sous-titre, les Exercices sont conçus « pour ordonner sa vie sans se décider en raison de quelque attachement qui serait désordonné ». Le P. Ducruet a commencé par doter l'Hôtel-Dieu de statuts : médecins, infirmières, membres de la direction et du personnel, chacun a sa place, son rôle, ses droits et ses devoirs. La mission et la vision exprimées pour le Projet d'établissement, la Charte du patient, l'effort d'organisation pour l'accréditation et la qualité poursuivent cette promotion de l'ordre dans l'hôpital, autour du patient clairement posé au centre.
Une deuxième valeur est la confiance dans l'homme, assortie de bienveillance. Avant de commencer, Ignace invite à « être plus enclin à sauver la proposition du prochain qu'à la condamner. » Faire confiance à l'homme, car Dieu est présent en lui par l'intelligence qu'il lui a insufflée dès l'origine. À l'Hôtel-Dieu, cette confiance bienveillante se traduit par deux principes : la participation et la subsidiarité. Conseil médical, Conseil infirmier, Syndicat, comités, commissions : l'hôpital regorge de structures participatives, toujours plus efficaces. La subsidiarité - cette délégation de la responsabilité au niveau le plus proche de son champ d'application - se manifeste dans la hiérarchie de chaque corps professionnel : chacun à son niveau dispose du plus de responsabilités possibles.
Une troisième valeur est le respect des médiations. En préambule, Ignace rappelle que « les choses de la terre sont créées pour l'homme et pour l'aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé. » Dieu confie le monde à l'homme. Pour le jésuite Teilhard de Chardin, le progrès des sciences et des techniques est signe et moyen de l'avènement du Royaume. L'Hôtel-Dieu s'efforce de développer ses ressources scientifiques et techniques, par la formation continue, l'organisation de la recherche, l'aménagement des locaux et l'achat d'équipements. Les bonnes intentions ne suffisent pas ; il faut prendre les moyens. La « maxime de Hevenesi » exprime cette valeur sous une forme dialectique - qui demanderait des développements sur le sens du 'comme si' : Telle est la première règle de ceux qui agissent : crois en Dieu comme si tout le cours des choses dépendait de toi, en rien de Dieu. Cependant mets tout en œuvre en elles, comme si rien ne devait être fait par toi, et tout de Dieu seul.
La source des valeurs ignatiennes, c'est peut-être à la Storta qu'il faut la chercher, une église proche de Rome où saint Ignace a vu le Père le mettre avec son Fils portant sa croix, où il a entendu Jésus lui dire : « Je veux que tu nous serves. » Dans le mur de l'école jésuite d'ingénieurs à Lille est scellée une brique de faïence portant le mot « Servir ». Plus qu'une valeur, c'est une devise, que l'Hôtel-Dieu de France fait sienne.
Beyrouth, le 6 décembre 2006.
Bruno Sion, s.j.