Les mineurs et l'alcool, attention danger !
Les ados jouent aux adultes dans les pubs et boîtes de nuit

 

Ils ont seize, quinze ans, parfois moins. Pressés de grandir et d'imiter les  adultes, ils préfèrent les boissons alcoolisées au coca, qu'ils boivent souvent sans restriction. De la bière à la vodka, de la sambouka aux cocktails les plus explosifs, aucune nouvelle trouvaille n'échappe à leurs palais déjà bien entraînés. L'alcool est la vedette et la raison sine qua none de leurs soirées. Visite guidée dans l'univers des mineurs, où l'alcool coule à flots, dans les pubs et les boîtes, pour ne pas dire les maisons.en l'absence bien souvent des parents.

Un vendredi comme un autre, dans ce petit pub branché du périmètre de Monot. Il est vingt trois heures trente. Comme chaque week-end, la jeunesse est au rendez-vous, venue siroter quelques verres tout en se soûlant de musique. Ici et là, des groupes se rejoignent, se retrouvent, formant des bandes compactes. Ils se dandinent sur place au son d'une musique de plus en plus forte à mesure que l'heure avance ; musique qui finit par devenir assourdissante. Assis sur d'inconfortables tabourets, accoudés au bar ou autour d'une minuscule table, de jeunes amoureux se regardent, les yeux dans les yeux. Ils sont seuls au monde ; du moins le pensent-ils. Les verres vides se remplissent, la fumée des cigarettes emplit l'atmosphère au même titre que la musique hurlante. Le pub se remplit encore et encore. On se serre. On s'entasse même. Impossible de bouger, inutile de se parler.

Les parents ne se doutent de rien

Rassemblés en cercle derrière la porte d'entrée, des adolescents, à peine sortis de l'enfance, tentent de se fondre dans l'ambiance. Les garçons, la barbe tout juste naissante, la cigarette à la main, se font servir bières et vodkas, histoire de faire comme les grands. Les filles, le nombril à l'air et le pantalon moulant, se trémoussent sur place au son de la musique. Ce qu'ils font là ? « Nous fêtons l'anniversaire d'un membre du groupe », récite Zeina, la plus délurée. Malgré un savant maquillage, elle ne donne pas vraiment les seize printemps qu'elle avoue. « Je fréquente les pubs depuis trois ans déjà, en compagnie de mes amis de classe », dit-elle, précisant qu'elle en apprécie le style, l'ambiance et la musique. Quant à sa boisson préférée, c'est la vodka ou la sambouka, dont elle ingurgite environ trois verres par soirée, selon ses dires.

Qu'en pensent ses parents ? Zeina assure qu'ils sont très larges d'esprit et l'autorisent à veiller dans des pubs ou en boîte de nuit, durant le week-end, jusqu'à trois heures du matin, parfois même jusqu'à l'aube. Mais il ne semble pas en être de même pour tous les membres du groupe. « En effet, ajoute-t-elle, il arrive à certains de mentir, de cacher à leurs parents le lieu où ils se trouvent. Après tout, nous vivons notre âge, conclut-elle comme pour les excuser, c'est la vie. »

Attablée à l'ombre de sa camarade, arborant des habits moulants sur un corps d'enfant, Rana, un verre de bière à la main, fait mine de s'intéresser à la soirée. Et pourtant, son expression trahit un ennui mortel. A-t-elle seulement quinze ans ? Probablement pas. « Je ne bois pas plus de deux verres », remarque-t-elle, ajoutant qu'elle apprécie surtout la bière et la vodka. Mais elle finit par avouer que c'est la toute première fois qu'elle met les pieds dans un pub. « C'est trop étroit, lance-t-elle finalement. Je préfère de loin l'ambiance des boîtes de nuit où je peux danser à loisir ». Quant à ses parents, ils ne sont tout simplement pas au courant qu'elle passe la soirée dans un pub. « Je leur ai juste dit que je sortais avec mon amie, sans préciser où j'étais », dit-elle à demi mots. Se joignant au groupe, une troisième adolescente constate que personne n'a contrôlé leur âge à l'entrée. « C'est une question de loterie. Aujourd'hui, nous avons eu de la chance », dit-elle. Mais elles évoquent en riant une soirée d'anniversaire où elles se sont vues refuser le droit d'entrer dans un pub de la même ruelle. « Ce jour là, se souvient la dernière arrivée, nous étions en jeans et sans maquillage. Nous avions vraiment l'air de gamines. Mais nous avons usé d'un piston pour nous faire admettre dans un autre pub, quelques mètres plus loin », ajoute-t-elle sans sourciller.

Un ivrogne de 15 ans

L'adolescent qui accompagne le petit groupe se fait plus discret. Il ne doit pas avoir plus de quinze ans. Seize ans tout au plus. Il en affiche dix sept. « Je les aurai prochainement », dit-il comme pour devancer toute remarque. Très avare de paroles, il se contente d'assurer qu'il ne boit pas plus de deux verres durant toute la soirée. Quant à ses parents, affirme-t-il, ils n'auraient rien à redire sur le fait qu'il se trouve dans un pub, jusqu'à une heure avancée de la nuit, alors qu'il n'est pas encore sorti de l'adolescence.

Minuit trente. Au gré des ruelles, les pubs du périmètre de Monot grouillent d'une jeunesse tout aussi ordinaire qu'hétérogène, qui vient boire un pot ou s'attabler pour bavarder entre amis, lorsque la musique n'est pas trop assourdissante. Le tableau est agréable, voire on ne peut plus normal. Et pourtant, ici ou là, quelques scènes tranchent, au risque même de choquer. Assise à même le trottoir, adossée au mur, indifférente à la foule qui se promène, une jeune fille, piercing au nez, regarde fixement en face d'elle, l'oil hagard, les bottes défaites. Elle semble à mille lieues de là. Quelques mètres plus loin, dans une ruelle plus calme, dans un pub bien à eux, des jeunes gens aux cheveux longs, tout de cuir noir vêtus, le regard exorbité, font tournoyer leurs cheveux, et se livrent à une danse effrénée pour le moins bizarre, rappelant un balancement de malades mentaux. Sur les tables, autour desquelles bavardent quelques rares jeunes filles, indifférentes à la scène, cigarette à la main, rien que de l'eau minérale. Sous l'effet de quelle drogue sont-ils ? « C'est  l'ecstasy, assure carrément un expert, une drogue dangereuse, sous forme de comprimés, qu'on ne doit absolument pas mélanger à l'alcool et qui donne une énergie à tout casser ».

Mais le choc de la soirée, ou plutôt de la nuit, c'est ce tout jeune adolescent, qui ne doit pas avoir plus de 15 ans, vautré à même le trottoir, une canette à la main, et qui semble cuver sa bière. Il est plus d'une heure du matin. Il est tout seul dans cette rue sombre. Combien de verres a-t-il bu dans l'indifférence générale, perdu dans un monde d'adultes qu'il cherche à imiter avant l'heure ?

Boisson à volonté

Comme Zeina, Rana et ce jeune adolescent ivre, combien de mineurs sont-ils, à sillonner chaque jour les pubs et les boîtes du pays, toutes régions confondues, où il se font servir verre après verre, sans contrôle aucun ? Les gérants de pubs et de boîtes jurent leurs grands dieux qu'ils veillent attentivement à interdire l'entrée de leurs établissements aux mineurs. « Nous sommes passibles d'une amende de 5 millions de livres si nous servons de l'alcool à des mineurs », précise le propriétaire d'un pub du centre ville qui assure avoir annulé une réservation faite par des mineurs. « Seuls ceux qui ont 18 ans sont admis dans notre établissement », certifient les cerbères postés à l'entrée d'une boîte de nuit d'Achrafieh, comme pour se donner bonne conscience. Mais ce soir, c'est de mineurs, dont l'âge moyen ne dépasse pas 16 ans, que cette même boîte est pleine à craquer. Et pour cause, moyennant 25 000 LL, tout jeune homme a droit à deux consommations, en plus d'une troisième en prime pour son amie. Filles vêtues de jeans et de t-shirts moulants, le ventre nu, garçons en jeans et sweat-shirt, le verre à la main, ces adolescents ne cachent pas leur âge, bien au contraire. « Nous avons 16 ans. Nous aimons nous retrouver ici en week-end, pour danser et nous éclater, lance une jeune fille. D'ailleurs, nous ne faisons rien de mal. » En effet, en début de soirée, ces écoliers bavardent, plutôt heureux de se retrouver entre amis, après une semaine de classes. Au fur et à mesure que l'heure avance, la piste, les tables et même le bar sont pris d'assaut par ces jeunes qui se déhanchent au son d'une musique de plus en plus entraînante. Certains couples se forment, s'isolent, se bécotent. 

Certes, quoi de plus normal pour la jeunesse, même mineure, d'aller danser le samedi soir ? Le seul hic, et de taille, est qu'ici, comme ailleurs, les boissons alcoolisées sont servies à volonté, sans distinction d'âge. « Nous buvons modérément, juste un ou deux verres », assurent les jeunes filles, certaines affirmant toutefois préférer les boissons gazeuses non alcoolisées. Mais qu'en est-il des garçons qui entraînent leurs amies à boire, ne lâchent pas leur verre de la soirée et ingurgitent les cocktails les plus explosifs l'un à la suite de l'autre, sans même plus savoir à quel verre ils en sont ? Le barman lui, ne chôme pas, les serveurs non plus. On dessert les verres vides que l'on remplace par d'autres. La soirée n'en est qu'à son début. Et déjà, l'alcool commence à faire son effet. Un petit malentendu tourne à la dispute. Le ton monte. On s'énerve. On en vient aux mains. Heureusement que les videurs sont là.

 

Anne-Marie el Hage


Collège Notre-Dame de Jamhour, LIBAN
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