Conférence-débat du Comité des Parents du Collège Notre-Dame de Jamhour
Le vendredi 11 avril 2003, à 18h30

Les adolescents, approche sociale et parentale

Anne-Marie el Hage

Introduction

Mon intervention sera basée sur plusieurs enquêtes que j’ai réalisées sur le terrain, durant plus d’un mois, concernant les adolescents. Des enquêtes faites à partir de l’observation de leur façon de vivre dans certains lieux publics ainsi que d’entretiens avec des jeunes, des parents, des éducateurs et des psychologues. J’aborderai donc l’adolescence sous trois angles : le mode de vie, les relations avec les parents, et les dérives.

Aborder le sujet du mode de vie des adolescents au Liban, c’est parler de leurs loisirs, leurs sorties, leur façon de s’habiller, leurs exigences. Quand on demande à des adolescents quels sont leurs passe-temps favoris, on reçoit généralement une réponse unanime : ils aiment par-dessus tout sortir en clans avec les copains, se retrouver dans les endroits publics, dans les fast-foods, au cinéma, traîner au centre ville, dans la rue, ou pour les filles faire du shopping dans les centres d’achat ou les boutiques « in ».

Ce qu’ils affectionnent aussi c’est imiter les adultes, même si c’est interdit, souvent parce que c’est interdit : il arrive donc de voir des enfants de 13 à 17 ans fumer, boire de l’alcool, aller veiller dans des pubs ou des boîtes de nuit, endroits interdits aux mineurs, mais aussi prendre à leur insu la voiture de leur parents. Ils se font ainsi voir des copains et testent leur cote de popularité.

Evidemment, tous les adolescents ne transgressent pas les interdits de la même manière. Pour certains, il suffit de dépasser l’heure limite de sortie fixée par leurs parents, de taire le lieu où ils se trouvent ou d’éviter de mentionner avec qui ils se trouvent. Ils essaient en fait de grignoter chaque fois un peu plus d’acquis pour arriver à leurs fins.

Certes, à l’adolescence, il est totalement normal d’avoir envie de sortir avec des amis, comme il est normal d’avoir envie d’aller danser. Après tout, dès l’âge de 10 ans, ils prennent déjà plaisir à organiser des booms dans les maisons. Là, je mettrais l’accent sur le fait qu’il n’existe pas véritablement d’endroit à l’intention des adolescents, où ils peuvent danser sans boire de l’alcool, où ils peuvent se rencontrer et bavarder sans y mettre tout leur argent de poche. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles ils traînent ainsi dans les rues.

Mais ce qui est propre à une importante tranche des adolescents libanais c’est ce mode de vie souvent caractérisé par l’ennui, l’excès et le désir de se conformer à une image qu’on veut donner de soi : on entend souvent de leur part des phrases comme, « il n’y a rien à faire », ou « pourquoi les autres font ça et pas moi » ?

Dans leur vie quotidienne, peu de temps est consacré au sport, à la lecture ou à des moments de loisirs personnels. On assiste plutôt à une socialisation à outrance des jeunes qui ne savent plus s’amuser que lorsqu’ils sont en clans, qui traînent pour tuer l’ennui, et qui adoptent des comportements stéréotypés et répétitifs, ils font et refont les mêmes choses. C’est d’ailleurs grâce à ces comportements qu’ils sont acceptés par le groupe.

Suivre la mode devient un must. Les adolescents doivent soigner leur image, adapter cette image à celle du groupe, parfois jusqu’à l’excès, même si cela dépasse les limites du raisonnable. C’est la raison pour laquelle les jeunes portent souvent les mêmes choses, comme un uniforme. Influencés par le groupe, ils se jettent sur les derniers tennis shoes en vogue, jettent leur dévolu sur telle marque de vêtement, ou telle marque de cartable, vont se faire tatouer le corps ou se faire des piercings, souvent au mépris des considérations matérielles ou ayant trait à l’hygiène.

A ce sujet, les conflits sont nombreux avec les parents qui refusent le piercing ou le tatouage. Si les jeunes font semblant d’être convaincus des explications de leurs parents, ils se disent qu’ils le feront, malgré tout, dès qu’ils auront atteint l’âge de 18 ans.

Le psychanalyste Jean-Luc Vannier explique le comportement des adolescents libanais de la manière suivante : ils sont imprégnés de cette société de l’image. Leur excès est synonyme de malaise, de ratage, de manque de projet pour faire évoluer leur société.

S’ils s’identifient au clan, c’est par refus de s’identifier à des parents immatures, avec lesquels ils ne peuvent aborder de questions taboues comme la sexualité.

Par désir de quitter ce monde réel, ils vont vers un monde magique, celui des pubs et des boîtes, un monde qui leur est en principe interdit. Ils adoptent aussi des comportements stéréotypés, quitte à aller trop loin, juste pour faire comme les autres, car ils sont prisonniers du regard que les autres portent sur eux.

Ainsi, piquer la voiture du père permet non seulement à l’adolescent d’avoir du pouvoir, mais de draguer des filles et de vivre ses premières expériences sexuelles.

Les relations entre parents et adolescents vues par les uns et les autres

Entre parents et adolescents, les relations sont souvent conflictuelles car les sujets de mésentente sont nombreux. Les conflits touchent tant les sorties que les résultats scolaires, tant l’habillement que le comportement ou les fréquentations. Tout est matière à discussions et à discussions orageuses. Il suffit parfois d’une remarque maladroite ou d’un mot déplacé pour que la dispute éclate et que l’adolescent se renferme. La bouderie s’installe donc au détriment de la communication.

Quant aux reproches, ils existent de part et d’autre : les parents déplorent les sorties trop fréquentes ou trop tardives des adolescents, le non-respect des heures limites qu’ils essaient tant bien que mal de fixer, leurs mauvaises fréquentations et leurs notes scolaires en baisse. Mais ils leur reprochent surtout leurs comportements excessifs, la facilité avec laquelle ils s’énervent et vont bouder dans leur chambre en claquant la porte, lorsque la discussion ne prend pas la direction voulue ou lorsque la frustration est trop forte. D’ailleurs on dit souvent d’un adolescent qu’il n’est pas à prendre avec des pincettes.

Les adolescents reprochent à leurs parents de ne pas leur donner assez d’indépendance, d’être souvent intransigeants, de tout leur interdire et de ne pas les comprendre. Ils leur reprochent aussi leur maladresse et l’ironie de leurs propos concernant certains sujets.

Dans ce climat, s’il y a dialogue, c’est souvent un dialogue de sourds. Je donnerais l’exemple d’un père et sa fille adolescente que j’ai rencontrés. Le père raconte que lui et son épouse sont à l’écoute de leur fille, mais qu’ils ont fixé des barrières car cette dernière a tendance à prendre sans rien donner, autrement dit, ses sorties, son shopping, ses besoins sont toujours excessifs alors que ses notes scolaires laissent à désirer. De son côté, l’adolescente reproche à ses parents de trop la couver, voire de l’étouffer et de l’empêcher de prendre certaines initiatives. De plus, elle a en horreur cette façon qu’a son père d’ironiser lorsqu’elle reçoit des copains à la maison.

Certes, il est important de savoir que ces conflits qui s’installent entre adolescents et parents sont normaux, car l’adolescent est à un âge de transition où il se révolte contre l’autorité. Ce sujet sera d’ailleurs largement abordé par le docteur Haddad.

Il faut aussi savoir qu’il n’existe pas de recettes toutes faites à l’intention des parents. Chaque situation est différente de l’autre et chaque parent ou chaque adolescent a sa propre façon de vivre cette étape difficile. Mais les parents doivent réaliser que si le conflit entre eux et leur enfant prend des proportions graves, ils ne doivent pas hésiter à demander conseil à un psychologue.

A défaut de recette toute faite, je donnerais néanmoins aux parents certains indicateurs qui ont été mis en relief par la psychologue Danielle Pichon :

- L’autorité parentale est indispensable, elle consiste à savoir dire non à l’enfant dès son jeune âge et à lui poser des barrières à ne pas dépasser. De cette manière, il apprendra à accepter la frustration et n’aura pas vraiment besoin de transgresser les interdits à l’adolescence. Dire non ne vaut pas dire étouffer l’enfant et tout lui interdire sous prétexte de lui poser des garde-fous, pas plus qu’il ne faut passer sa vie à lui donner des ordres et lui dicter ce qu’il doit faire. Je citerais ici la phrase d’un célèbre pédagogue français Philippe Meirieu qui dit : « Les enfants doivent savoir que les interdits sont là pour autoriser ».

Par ailleurs, les parents doivent apprendre à privilégier le dialogue libre. Ils doivent apprendre à être à l’écoute de leur enfant et l’encourager à aborder tous les sujets qui lui tiennent à cœur, notamment la sexualité, sujet tabou au Liban. Je donnerais l’exemple d’une adolescente de 17 ans qui a dit à sa mère qu’elle était enceinte, parce qu’elle avait besoin de parler du sujet. La mère a pris la chose à la légère et a changé de sujet. La jeune fille n’a toujours pas de réponse à ses questions.

Mais privilégier le dialogue ne veut pas dire non plus envahir l’espace de vie de l’enfant ou être son ami, car il est impératif de maintenir la différence de générations.

De plus, il faut laisser l’adolescent vivre et lui donner son espace de vie afin de l’éduquer à l’indépendance progressive. Pour cela, il est important de savoir être souple sans céder au chantage et adopter une ligne éducative constante. Mais les parents doivent savoir que c’est à eux de briser la glace et qu’il est inutile, sous prétexte que l’enfant à tort, de laisser s’installer la bouderie et le silence et de ne pas adresser la parole à leur enfant durant des jours.

Des dérives dangereuses, l’alcool, la drogue, les interdits

Les dérives de l’adolescence sont courantes. Elles peuvent prendre plusieurs aspects : cela peut aller du petit mensonge, du non-respect des limites posées par les parents ou par les éducateurs à des comportements plus graves qui risquent de mettre la vie de l’adolescent ou des autres en danger, comme notamment le tabagisme précoce, l’alcool que certains ingurgitent souvent sans retenue dans les soirées et la drogue. Evidemment, il y a aussi cette habitude qu’ont beaucoup d’adolescents de falsifier leurs papiers d’identité pour être admis dans les lieux interdits aux mineurs ou de piquer la voiture de leurs parents lorsque ces derniers sont absents. Certains se vantent d’aller boire un coup et de conduire après. Vous pouvez imaginer les conséquences d’un tel acte.

Mais quels sont les adolescents qui peuvent avoir des dérives ? Je pourrais dire, n’importe quel adolescent pourrait commettre des actes répréhensibles ou interdits. Mais il y a certaines constantes qui ont été constatées chez des enfants qui ont commis des actes graves, qui sont devenus toxicomanes, qui abusent de l’alcool ou qui, tout simplement ne respectent pas l’autorité parentale : souvent, l’autorité parentale est absente dans l’éducation de ces jeunes. Tout leur est permis, pourvu qu’ils aient des notes scolaires satisfaisantes. Les barrières n’existent pas, personne ne leur a jamais dit non. Comment peuvent-ils faire face à la frustration qu’ils rencontrent ailleurs s’ils n’ont pas appris à la gérer ? Parfois, c’est une éducation trop rigide qui pousse les adolescents à la révolte, et à commettre des actes interdits. Généralement, dans ces deux cas de figure, le dialogue est absent, soit les parents sont laxistes et laissent leur enfant grandir comme une mauvaise herbe, soit ils se considèrent eux-mêmes tout puissants, l’empêchent de s’exprimer et ne l’écoutent pas. Ce manque de communication entre adolescents et parents est plus fréquent qu’on ne le croit. Car les parents ont souvent autre chose à faire que de s’installer avec leur enfant juste pour bavarder. D’ailleurs, quand ils pensent dialoguer avec lui, c’est souvent pour lui donner des ordres, lui faire des remontrances sur ses résultats scolaires, sa façon de se tenir ou ses fréquentations.

Je ne parlerai pas en détail des problèmes d’alcoolisme et de drogue chez les adolescents.

Mais je voudrais attirer l’attention des parents sur quelques points : les adolescents se droguent de plus en plus jeunes : 56 % des toxicomanes se droguent pour la première fois entre 14 et 19 ans. De plus, 80 % des toxicomanes fument et boivent de l’alcool dès l’adolescence. Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que le tabagisme précoce et le fait de boire de l’alcool à l’adolescence sont comme une voie ouverte vers la drogue.

Il est important que les parents mais aussi que les jeunes en prennent conscience. Parce que les parents ne peuvent rien faire seuls, sans que leurs enfants soient avertis, sans qu’ils apprennent à dire non à la drogue, et surtout sans avoir honte de dire non à leurs camarades.

Pour le sociologue Abdo Kahi, boire de l’alcool à l’adolescence n’a jamais vraiment constitué un interdit dans la société libanaise, plus précisément chez les chrétiens. Au contraire, les familles encourageaient leurs enfants, dès l’âge de la puberté à boire. C’était comme un rite d’initiation. Ce n’est que tout récemment que l’excès d’alcool commence à être considéré comme un interdit dans notre société.

Je voudrais aussi attirer votre attention sur un autre point : se droguer implique nécessairement la présence de trois facteurs :

Conclusion

Il est indispensable de relativiser : l’adolescence est une période difficile pour l’enfant et elle est vécue comme telle par les parents qui ne comprennent pas toujours les comportements des jeunes.

C’est la raison pour laquelle les parents ne doivent pas paniquer mais plutôt essayer de responsabiliser leurs enfants et leur apprendre à savoir dire non par une éducation équilibrée. Certes, nous avons parlé des excès, des dérives, mais de nombreux adolescents peuvent très bien vivre cette période sans conflits majeurs, de manière très harmonieuse.