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82 Amicale Nous du Collège - N 294 - Février 2021
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Carl Rihan a tenu à remercier les auteurs d’avoir gènes ? Je ne dirais pas oui, mais nous sommes
publié « cet ouvrage exceptionnel qui restera pour fatalement les victimes d’une certaine géographie
longtemps une lecture indispensable à tous ceux physique et d’une géographie humaine. D’abord,
qui aimeraient connaître davantage cette période la géographie physique : l’État central n’a pas pu
sombre de l’histoire du Liban. s’imposer dans les régions périphériques. Nous ne
Ce que vous avez réalisé, enchaîne-t-il, est sommes pas une plaine mais un massif montagneux
impressionnant – un ouvrage de référence, qui raviné. L’autorité centrale va être toujours très faible.
puise d’une bibliographie qui rassemble à la fois Son rôle va être réduit à séparer les belligérants.
les sources primaires telles que les mémoires de Ensuite la géographie humaine : nous sommes
guerre ainsi qu’une grande partie des sources formés d’individus bien élevés, appartenant tous à
secondaires, études et ouvrages déjà publiés autour des confessions, à des groupes, à des clans, à des
de ce sujet. J’insiste sur « impressionnant » car villages et les confessions religieuses sont souvent
l’exercice intellectuel entamé, qui vous a conduits hégémoniques parce qu’elles croient détenir la vérité,
à faire le choix d’une étude thématique, reflète et la démographie d’une confession à l’autre change,
votre priorité de vouloir mettre en relief la « vie et la ce qui doit créer un nouvel équilibre et une nouvelle
logique propre des acteurs », afin que vos lecteurs hégémonie tous les 20 ans, 30 ans, 100 ans. Est-ce à
puissent penser l’histoire de cette guerre en tant dire qu’on doit vivre ce nouveau rééquilibrage dans
qu’ « évènement social » au-delà d’un rassemblement le sang ? Non, on peut s’en accommoder, trouver
chronologique des faits divers. C’est ce véritable le moyen de négocier, négocier sans cesse. […]
échange entre la situation politique et économique L’aspect querelleur que nous avons est instinctif. Et
d’une part, et le contexte social et psychologique la violence est dans notre vie au quotidien et nous
qui s’installe progressivement tout au long de la ne sommes pas une société apaisée. L’ouvrage de
lecture, pour finalement aboutir à une conclusion ô Dima et Stéphane est différent, dans ce sens qu’il
que nécessaire ces jours-ci : les bons et les mauvais prend du recul et garde une certaine distanciation
disparaissent progressivement, ayant tous baigné de la guerre libanaise ».
dans le sang, tandis qu’apparaissent les motivations
socio-économiques qui façonnent et qui refaçonnent Roula Abi Habib Khoury a alors lancé le débat en
les pratiques, les habitus, et les comportements. Cet rebondissant sur les propos de Youssef Mouawad :
ouvrage nous enseigne effectivement la nécessité « La violence est assez constitutive de la nature
de penser et de repenser l’interaction entre la humaine pour les sociologues. L’humanité aurait
structure d’une part et les comportements de l’autre, commencé par un fratricide. Les sociologues disent
il nous enseigne également que les inégalités et que la violence est un ingrédient essentiel à la vie
les instabilités structurelles sont mères de tous les commune et pour les Grecs, la stasis (guerre civile)
vices et de tout basculement dans la violence, une est presque une obligation ». « Il y aurait donc,
leçon à laquelle nous devrons tous être attentifs en ajoute-t-elle, des choses à dire sur ce déterminisme
ces temps troublés afin, comme l’a écrit Dima à ses communautaire et sur ces luttes claniques qu’on
enfants à qui elle a dédicacé le livre, « que votre présente comme une fatalité, mais aussi, comme le
génération ne puisse jamais vivre ne serait-ce qu’une dit Georges Corm, sur le rôle des forces coloniales
fraction de ce que la nôtre a vécu ». Ce qui manquait dans les conflits du Liban », car pour lui « le
à la compréhension de la guerre vécue par tout communautarisme est un regard occidental jeté sur
un chacun était cette vue d’ensemble que permet la réalité libanaise ».
désormais le Liban en Guerre de Dima de Clerck et
Stéphane Malsagne ». Les interventions ont donné lieu à un débat et à
des questions entre les participants, le public et
Youssef Mouawad, quant à lui, a entamé son propos l’auteure Dima de Clerck (ancienne, promo 1990,
en disant qu’il y aura un deuxième tome à ce livre enseignante-chercheure universitaire et en Terminale
sur les guerres du Liban : « La guerre libanaise au Collège). Celle-ci estime que la sociologie devrait
ne s’est pas arrêtée un 13 octobre avec l’assaut être indissociable de l’histoire pour permettre
des troupes d’élites syriennes contre le palais de l’intelligibilité de celle-ci. Elle réfute le déterminisme
Baabda, pas plus qu’elle n’a démarré un 13 avril en ce qui concerne le glissement dans une nouvelle
à Aïn el-Remmaneh, lors d’une mitraillade. Est- guerre civile, compte tenu du fait que les nouvelles
ce que la dissension interne est inscrite dans nos générations ont d’autres priorités, dans le cadre

