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Installés sur leurs « vérandas », ou même parfois dans la rue, les habitants
déploient leur vie de famille comme on ouvre un livre d’images.
Les hommes en chemise à bretelles (flanelle), les dames en robes amples,
après avoir averti leur progéniture d’un menaçant « Zouzou tlaaa3 3al
bét, wa2lla btékoul atlé », prennent leurs quartiers de soirée avec un
narguilé dont l’odeur se répand elle aussi dans tout le quartier.
La bière coule à flot à côté d’un ravier de graines de lupin (termous) ou
de carottes. Les postes de télévision sont installés aussi en extérieur et
crachent leurs programmes à destination de toute la rue.
Les balançoires
En montagne, ce sont souvent les grenouilles qu’on entend coasser, les
soirées sont moins bruyantes mais des sons uniques peuvent se révéler
aux oreilles fines. Qui ne saurait deviner le grincement des balançoires en
fer forgé à trois places dont la rouille altère les ressorts ? Ces balançoires
qui ont souvent bercé plusieurs générations d’une même famille, témoins
des révisions de fins d’année et antres des siestes estivales après un gros
repas.
Que dire de ces déjeuners les dimanches d’été ? Si les plats s’y bousculent
et s’enchevêtrent, ils sont aussi colorés qu’une toile de Gauguin et
portent les parfums et la générosité uniques de chez nous.
Les crises, les drames, les tragédies qui ont jalonné l’existence du Liban
depuis sa création n’ont pas réussi à entamer la folle envie de vivre des
Libanais. C’est probablement qu’elle est faite de petites choses, comme
passer d’agréables vacances. Chez nous, « aller en vacances » ne signifie
pas rester des heures dans les transports ou se rendre au bout du monde,
c’est simplement aller un jour à la plage et en passer quelques autres en
montagne, voir ceux qu’on aime et respirer à pleins poumons.
Des choses qui nous apprennent à ne pas attendre les grandes
réalisations pour être heureux, qui nous poussent inexorablement vers
l’urgence de vivre.
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