Ateliers culturels au Centre
2008-2009

Exposition “Pièces choisies”
Collection privée de la Banque Audi

Mardi 14 octobre 2008 à 18h
Bâtiment culturel

 

 

Parmi les manifestations culturelles de haute qualité qui se sont tenues au CENTRE SPORTIF, CULTUREL ET SOCIAL du Collège Notre-Dame de Jamhour, l’exposition Pièces choisies marque une étape de maturité et de perfection qui, désormais, fera date dans les annales, pourtant exigeantes, du Centre.

Pouvoir exposer en son enceinte une sélection d’œuvres représentatives, appartenant à la collection privée de la Banque Audi, était une gageure dans notre contexte local. Mais grâce à la confiante ténacité des organisateurs, et surtout, grâce à la généreuse efficacité de son mécène, S.E.M. Raymond Audi, l’exposition fut l’occasion exceptionnelle de pouvoir approcher, admirer et partager ces Pièces Choisies.

Cette exposition de l’ouverture 2008 marque une étape nouvelle des capacités du Centre culturel. Elle a confirmé son aptitude à pouvoir accueillir des manifestations exigeantes de haute qualité. En effet, la disposition des lieux a permis d’exposer, et donc de valoriser, les pièces sélectionnées. Il est intéressant de relever ici la complémentarité des aires d’exposition : l’espace d’accueil, la galerie et le salon.

La galerie, conçue pour ce genre de manifestation, offrait l’espace, la surface et surtout le recul, pour saisir chaque pièce exposée. Le salon, lui, offrait une atmosphère différente : son ameublement et sa baie vitrée en faisaient un intérieur dans lequel on pouvait s’installer confortablement ou circuler pour profiter, de façon plus intime, des tableaux accrochés aux cimaises.

            Puisqu’il s’agit d’une exposition placée sous le titre prometteur de Pièces choisies d’artistes libanais contemporains, il s’avère périlleux d’en redonner maintenant un compte rendu exhaustif. Entre généralités esthétiques et analyse raisonnée pour un catalogue, il fallait choisir (encore !) une troisième voie : celle du coup du cœur. C’est là une réaction normale quand le regard se porte sur telle ou telle œuvre et réagit avec ses sentiments et ses émotions.

Dans le cadre de ce compte rendu, nous proposons donc une autre visite centrée sur quelques pièces. Nous n’avons pas opéré de sélection esthétique, mais, au fil des cimaises, nous avons laissé l’émotion s’exprimer plus fort devant quelques œuvres.

Hall d’accueil : première émotion ! Trois pièces, trois sculptures captent immédiatement le regard. La Tour du silence de Nadine Abou Zaki et la pièce en bois travaillé de cette même artiste. L’une et l’autre encadrent le Joyfull en acier de Nadim Karam. La Pierre, le Bois et l’Acier. S’agit-il là d’une simple disposition de ces trois œuvres ? Non, elles sont ensemble une parabole codée.

La Pierre, taillée, échelonnée en tour dressée, témoigne de la maîtrise de la pierre des bâtisseurs libanais. Tours et temples de l’histoire, tours et temples de notre aujourd’hui, au Liban et sur d’autres rivages orientaux.

Le Bois, ciselé, tournoyé en creux, poli : il est le signe que le Liban s’incarne dans le bois fort de son Cèdre au tronc solide et aux ramures puissantes.

Enfin, danse pour nous la forme dynamique du Joyfull d’acier. Le Liban a maintes fois subi l’acier destructeur. Mais, en la silhouette joyeuse, gambadante de cette pièce métallique, figure la capacité indestructible de l’âme libanaise. En admirant Joyfull de face, on évoque tout de suite ces champions olympiques de l’été : bras levés, lancés sur le fil de la victoire. En s’abaissant, le Joyfull apparaît sous une autre perspective : ses bras levés, chargés de reflets, s’élèvent vers la verrière lumineuse de la terrasse, vers le ciel. Ils se font prière. Mais si l’on descend dans le hall inférieur, la pièce apparaît encore sous un autre aspect : le personnage d’acier est alors victorieux. Sous l’effet de la perspective, il semble poser un pied léger sur la rampe dorée de l’escalier. Alors il remonte la pente, triomphal.

Pierre, bois et acier, une autre parabole du Liban.

Le Salon nous introduit dans un espace fertile en coups de cœur.

Famille, de Hassan Jouni. Famille assemblée certes, mais cet ensemble familial se concentre autour d’un visage aux yeux noirs : une femme. Mais ici, est-elle la mère, l’épouse ou seulement la Femme ? Elle est entourée, encadrée, presque étouffée par d’autres silhouettes : servantes, enfants, belle-mère (!) ; l’époux se montre discret, effacé ; le bébé s’accroche au cou maternel. Mais le regard est ailleurs, il s’évade de cet encerclement familial, mystérieusement, paisiblement, il se fait rêve.

De la famille, nous passons au Village.

Village gossip, de Rana Raouda. Après ce regard porté sur la femme orientale et son mystère, ce tableau nous invite à pénétrer dans l’harmonieuse lumière d’un village typique. Il est esquissé en ces formes traditionnelles : escaliers, arcades, enchevêtrement de maisons, toitures et tuiles rouges, fenêtres bleutées largement ouvertes. Il est l’image de nos villages montagnards, fiefs heureux de traditions d’accueil, d’ouverture, de proximité familiale. En ses couleurs apaisantes et ses formes accueillantes, il est convivialité.

Prenons maintenant le temps de prendre une pause spirituelle.

Allah, de Samir Sayegh, s’impose à notre démarche. Ici, le Nour divin, scandé quarante fois, élève le regard et l’âme dans une verticalité de lignes d’or. Pour tout croyant, c’est ici que résonne l’appel à s’élever vers l’absolu, hors des contingences terrestres qui nous lient. Cette nomination sacrée élève l’âme et l’entraîne par ces lignes d’or dressées vers le Divin. Ici, l’œuvre orante est ouverture de l’âme à la transcendance.

Après la mystique, le Jeu.

Joueur de foot, de Mansour el Habre, captive par son mouvement tout en couleur. Il est rouge, rouge de passion et d’effort. Son œil a captivé la balle, un sourire s’esquisse, le pied assuré fait l’arrêt, la balle est capturée, destinée au but. Dans cette coloration rouge, le mouvement du Joueur exprime ce qu’il vit en cette seconde : la passion.

Paysage, de Georges Cyr. Ce peintre de renom réussira-t-il encore à nous surprendre ?

Paysage ? On chercherait en vain une représentation champêtre ou bucolique. Cependant le Paysage est bien là, sur la toile. L’artiste a seulement opéré un transfert : ce qu’il a vu s’est transformé en paysage intérieur. Il ne peint pas les formes, il fixe ce qu’il ressent. En traits vigoureux, le paysage s’exprime en une construction d’impressions ressenties. Seules les couleurs, forcées, subsistent car elles évoquent  davantage une nouvelle vision faite de souvenirs, d’impressions, d’images : puissance des verts, énergie du rouge, profondeur du blanc et des contrastes. Paysage de peintre, donc paysage intérieur.

L’œuf pudique, de Samir Tabet, lance un défi à relever. Impudique, cette nudité ovoïde ? L’œuf est naturellement nu, lisse, habillé de sa chaste coquille. Mais sa position suggère autre chose. Son glissement, discret ou indiscret, vers l’extérieur est une invitation. Par sa rotondité, il brise une ligne fermée. Derrière ce rideau blanc, ou cette page blanche, que se cache-t-il ? L’œuf ironiquement pudique, complice, entrouvre le voile sur… ?

Ils sont bien sympathiques ces Personnages de Mansour el Habre. Sous le tarbouch, on reconnaît en eux ces petits vieux qui passaient du bon temps dans les cafés traditionnels. Immobilisés dans leur conversation, ils dégagent une chaleur humaine et une nostalgie du passé. Dans cette intimité teintée de rouge, une main se lève pour affirmer qu’à leur âge tout est devenu … sagesse.

Retour dans la galerie du Patrimoine, L’œil erre, s’accroche, revient sur un détail.

Ce Sous titre de Chawki Chamoun va-t-il nous laisser sans réaction ? Le regard opère un balayage horizontal, détaillant la lignée superposée des cases rectangulaires.

Dans cette uniformité géométrique, l’œil capte soudain une différence qui ressort si on examine la toile de biais. Une ligne blanche angulaire traverse l’horizontalité, marque une rupture, ouvre un nouvel angle, s’élève. Désormais la monotone régularité du quotidien est traversée par un élan imprévu, un choix s’offre : monotonie ou aventure?

Justement, Pêche en été, de Bassil Sehnaoui, profuse une conception calme, paisible de la vie : la pêche. Le pêcheur tranquille, solitaire se concentre sur sa ligne. La ville s’étage autour de lui et se calfeutre en un petit port. Ici tout respire le calme, la paix sereine : port endormi, pêcheur solitaire, barques au repos. Dans cette atmosphère bleutée, le pêcheur, le port, la ville sont coupés du tumulte, c’est l’été, c’est la mer.

Elie Kanaan se devait de nous surprendre par sa toile Combat de soleil. La confrontation des couleurs est un affrontement. La luminosité des jaunes domine l’assaut des rouges et du mauve. Le bleu obscur commence à disparaître, la lumière l’emporte. La force lumineuse s’impose ; ce Combat de soleil proclame la victoire de la lumière.

Tout aussi dynamique, l’œuvre de Bassam Geitani, Sous les forces, est une hymne de victoire. Dans leur verticalité emmêlée, les lignes de force blanches et noires se croisent, s’opposent et se dressent les unes contre les autres. Les éclaboussures turquoise sont des cris de victoire. Dans cette confrontation des forces du noir et du blanc, apparaît cependant une unique victoire, non pas celle d’une force sur l’autre, mais celle de leur différence qui se fait complémentarité et donc … unité.

Enfin, pour clore cette ballade enchantée autour des Pièces choisies, il faut revenir au point de départ.

Les Bacchantes, de Paul Wakim. Ici l’œil s’égare et se laisse entraîner dans une joyeuse sarabande de lignes tortueuses et de couleurs éclatées. Ici et là, surgit un visage faunesque grimaçant. C’est la folle danse illustrée par ces couleurs vives qui se chevauchent, ces lignes qui se mélangent, ces espaces et ces taches qui se superposent. Toute la palette de l’artiste est mise en œuvre. Et quand la vie est terne, les folles Bacchantes invitent à … l’ivresse !

Dans la préface du livre Pièces choisies, S.E. Monsieur Raymond Audi, à qui nous devons ces moments de plaisir, écrivait ceci à propos du mécénat :

« Il s’agit essentiellement d’un engagement au service de ce qui permettra toujours à l’humanité d’interroger son devenir et de mieux se comprendre ».  

Toutes les pièces de cette exposition, et donc celles pour lesquelles nous avons ressenti un coup de cœur, très personnel, ont accompli ce programme : Face à soi-même et pour les autres : s’interroger et se comprendre.

P. Bruno Pin