Flânerie en Grèce
Mardi 21 octobre 2008

[Album photos]

Cette « Flânerie en Grèce » qui fleurait bon l’ouzo, s’est avérée être bien plus qu’une tranquille promenade dans la Grèce des clichés touristiques habituels.

Pour l’amateur d’aventures culturelles, et ils étaient près de 350 à partager cet esprit, ce mardi 21 octobre 2008, la Flânerie se présentait comme un parcours initiatique qui, d’étape en étape, révélait les composantes historiques, culturelles, artistiques et religieuses de la civilisation grecque.

Comme introduction à cette démarche, le Flâneur d’un soir était invité à saisir le « regard grec ». Grâce à une sélection de reproductions de statues antiques et de tableaux d’artistes contemporains, le connaisseur découvrait plusieurs types de « regards » qui reflétaient l’âme grecque.

Comment rester insensible devant le buste du célèbre « Aurige de Delphes », du Ve siècle. Le regard fixé sur la piste, impassible, maître de lui et de son attelage, il attend. La beauté sereine du « Jupiter » de marbre, Ve siècle, réside dans les traits puissamment virils, encadrés par la chevelure et la barbe aux plis réguliers. Il pose sur nous, pauvres humains, un regard divin.

Dans un toute autre style, les tableaux (reproductions) des peintres grecs nous font partager les sentiments de leurs personnages.

Le « cycliste », d’Alekos Fassianos , 1935, a les yeux perdus dans la fumée de sa cigarette.

« Les deux amies », de Yannis Moralis, 1916, scrutent d’un regard intense, presque inquiet, l’artiste qui leur fait face.

Le paysan au « chapeau de paille », de Nikos Lytras, 1926, tant auréolé d’or, porte sur nous le regard fier du moissonneur.

Georgios Iakovidis a fixé à jamais le regard aimant des deux êtres qui lui sont les plus chers dans l’« Épouse et le fils de l’artiste », 1932.

Enfin, comment ne pas se sentir attendri par ce regard, qu’à travers ses binocles, la grand-mère porte sur sa petite fille tout en la peignant, assez vigoureusement, semble-t-il d’après les yeux de l’enfant.

Le regard grec, c’était encore celui que les peintres ont porté sur la beauté des paysages, des îles et des églises. Ils nous les partagent comme ils les ont saisis : « St Marc de Tinos » de Nikos Lytras, 1823, « Santorini » de Konstantionos Maleas.

Parfaitement commentée, l’exposition « Spiritualité et symbolisme des icônes orthodoxes » oblige maintenant à transformer notre conception du regard. Désormais, c’est chacun qui va se laisser pénétrer par le regard des saints et des personnages sacrés. Car, comme l’explique Olivier Clément dans sa « Théologie de l’icône » : « l’icône orthodoxe est systématiquement libérée de tout réalisme et de toute approche subjective ». (Commentaire cité dans la présentation de l’exposition).

 Sur leur écrin rouge, les icônes resplendissent de tous leur ors. Il suffit de se laisser imprégner par leur rayonnement mystique. Une fois l’émotion spirituelle apaisée, l’intérêt religieux reprend ses droits pour accomplir une nouvelle lecture de chaque icône.

Alors, une première impression se dégage. Dans la galerie de ces saints si vénérés, on ne peut que remarquer le nombre de saints « militaires », à cause de leur équipement : Saint Georges le martyr dont la lance perce la gueule du dragon, Saint Démétrios le myroblyte, martyr, Saint Thédore le stratilate et bien sûr, Saint Constantin le Grand.

Avec l’expansion du christianisme, la lignée conquérante d’Alexandre le Grand s’est transformée en une nouvelle cohorte victorieuse, celle des Martyrs de la Foi.

Plusieurs icônes fixent selon les canons des scènes évangéliques. Elles n’en sont pas des illustrations imagées mais elles parlent d’elles-mêmes.

Arrêtons-nous devant l’icône de la circoncision. La Vierge Marie, les mains recouvertes de son manteau, tend l’enfant au prêtre. Mais, en fait, c’est l’Enfant Jésus lui-même qui se présente au prêtre pour recevoir, au-dessus de l’autel, la marque qui va sceller dans sa chair, dans son humanité, son appartenance au Peuple de l’Alliance. Il sourit même au prêtre qui tient la lancette rituelle et le vase de myrrhe.

Dans l’icône de l’Entrée de Jésus à Jérusalem, ce sont les enfants qui participent de façon vivante à la scène. L’un a grimpé sur un olivier pour en trancher les rameaux, d’autres accourent et placent leurs manteaux sous les pas de la monture. Et n’oubliez pas d’attarder votre regard sur ce petit malin qui tend une branche feuillue à l’ânesse ravie de l’aubaine.

Réalisme ? Non, mystique : ici les enfants annoncent les Enfants de Dieu qui naîtront de la Pâques du Christ.

Après cette démarche visuelle, la suite du parcours culturel nous invite à nous mettre à l’écoute, à l’écoute de la Grèce.

Madame Sophie Nikolaides-Salloum, avec la maîtrise que lui confèrent ses compétences universitaires, va jouer pour notre plus grand intérêt de cette « lyre à trois cordes » qui lui est chère.

Ces trois cordes de la même culture ont vibré pour chanter l’âme grecque : le peuple, son désir de liberté, le pays. Ces trois « Cordes » ont un nom dans la littérature grecque et internationale :

Par leurs poèmes, leurs romans célèbres, et par les films qui s’inspirent de leurs œuvres, les trois écrivains de la Grèce moderne, perpétuent l’héritage littéraire et millénaire de la Grèce des Lettres.

Monsieur Gérard Bejjani, en maître incontesté et passionnant, nous introduit au cœur mystérieux et lointain de la mythologie grecque. En citant Mircéa Eliade : « on devient hommes véritables qu’en se conformant à l’enseignement des mythes, en imitant les dieux », le conférencier se fait notre initiateur.

Trois grands mythes ont accompagné le rayonnement de la pensée grecque. Ils sont des questionnements profonds de l’Homme sur lui-même, sur les dieux, sur la société.

-         Le mythe d’Œdipe, dont on trouve la trace chez Homère et qui sera repris avec Sophocle. Mais nous connaissons mieux ce mythe par les interprétations modernes qu’en feront Freud, Girard et Nietzsche…

-         Le mythe d’Icare raconté par Ovide. Lui aussi sera savamment interprété.

-         Le mythe de Sisyphe, le perpétuel supplicié des Enfers, le héros absurde de la condition humaine.

Dans le cadre global de ce parcours culturel, cette approche du sens de ces mythes antiques, nous ramène à une autre vision, celle qu’offraient les Icônes.

Devant l’Epitaphios, qui représente le Christ, nu, allongé, descendu de la croix, puis devant le Christ glorieux, vivant, qui arrache de la mort par sa Résurrection, l’homme et la femme, comment ne pas croire qu’en Lui, Dieu fait Homme, tous les mythes antiques trouvent la seule réponse à leurs questionnements et à leurs quête ?

Après avoir atteint de tels sommets culturels, intellectuels et spirituels, notre parcours allait opérer un séduisant atterrissage : celui des paroles conviviales, de la musique et …. Enfin, de la gastronomie grecque (qui ne fut point un mythe !)

Il revenait à Madame Joumana Hobeika d’ouvrir le ban. De sont mot d’accueil, nous voulons rappeler cette remarque ai opportune : « … comment ne pas regarder et jalouser la Grèce, laboratoire de l’idéal démocratique, et banc d’essai où furent expérimentées les idées de citoyenneté, d’égalité et de responsabilité collective ».

Le R.P. Salim Daccache, s.j. souligne le rôle chrétien de la Grèce : « cette Grèce qui, par la force de l’esprit et par la foi d’un Paul apôtre lui-même formé à la civilisation de l’aréopage, a présenté ses lettres de créance au christianisme vécu de tout temps dans l’orthodoxie, le témoignage du Mont Athos et les épreuves de la fierté d’être croyant ».

Enfin, S.E.M. Panos Kalogeropoulos, ambassadeur de Grèce, et maître d’œuvre de la réussite de cette Flânerie, concluait en évoquant les liens de la Grèce et du Liban : « entre le Liban et la Grèce, il y a une mer, mais cette mer ne nous sépare pas : au contraire elle nous unit par la culture, par le commerce, par des biens humains mais surtout par cette attitude commune face à la vie ».

L’heure du Chef Ilias Mamalakis était, enfin, venue. La culture grecque devenait arôme, saveur, délice…

Au rythme du sirtaki, les convives s’approchaient des buffets où les mets gastronomiques commençaient à séduire l’œil par la palette de leurs couleurs.

Le Chef nous pardonnera de ne pas énumérer tous les plats présentés : certains choix ont mérité un rappel.

Les danses rythmées du groupe du Club hellénique imposaient la cadence aux fourchettes. Nos palais ravis ont pu ainsi décerner des étoiles aux « Anginares à la polita », à la « viande de veau avec kritharaki » (un délice !), aux « Lahanodolmades » farcies… L’amitié libano grecque était scellée par les vins de Ksara.

Des cadeaux appréciés prolongeaient cette fête : safran, mastic et mignonnette de cognac Metaxa.

Près de l’estrade, trois drapeaux étaient réunis : le Liban, la Grèce et l’Europe.

Aussi, en achevant ce magnifique parcours qui fut pleinement culturel, nous n’avons pas pu nous empêcher de faire un rapprochement. La Grèce a été la première terre de l’Europe où le Christianisme a planté ses racines : Saint Paul l’apôtre missionnaire, les premières communautés, les martyrs, les Pères de la foi, les moines, les peintres d’icônes, la liturgie et tant d’autres témoins.

Grèce, terre de l’esprit et de la foi.

P. Bruno Pin