En ce lundi 4 février 2008, nombreux étaient les participants qui, dès 19h, se pressaient dans la galerie du Bâtiment Wafic Rida Saïd du Centre sportif, Culturel et Social du Collège Notre-Dame de Jamhour.
Au fil des propos échangés, on sentait percer un double sentiment. Tout d’abord, celui d’une réelle humilité qui prédisposait chacun à découvrir, sans aucun préjugé, un monde peu connu et pourtant si attirant. C’est pour cela que la curiosité intellectuelle motivait l’intérêt de tous : flâner en Inde, certes. Mais ce soir-là, il fallait accepter le risque d’être déconcerté ou d’être ébloui, ou plus exactement d’être fasciné. Car la fascination de l’Inde allait tout de suite s’imposer comme l’objectif culturel, visé et atteint grâce à la programmation réussie de cette soirée.
La citation de Malraux, plusieurs fois mise en valeur, allait donner le ton de cette flânerie indienne.
« Il y a dans la pensée de l’Inde quelque chose de fascinant et de fasciné qui tient du sentiment qu’elle nous donne de gravir une montagne sacrée dont la cime recule toujours ». (André Malraux, Antimémoires, 1957)
Première fascination des yeux et de l’esprit, l’exposition d’art tantrique bouddhiste et hindou ne pouvait laisser indifférent. L’exposition invitait à bien plus qu’un simple regard intrigué par des formes et des couleurs. Ces motifs religieux, reflets de l’âme indienne, invitaient à une véritable contemplation. Cette géométrie du divin, cosmique mais tellement humaine, à la fois intemporelle et réelle, confirmait la précieuse notice : « Le grand art est une porte ouverte sur le Divin » (Lotus Soft).
En prenant le temps de laisser le regard être saisi par ces motifs, on sentait que l’esprit s’imprégnait d’une émotion spirituelle. Ces peintures n’étaient point neutres : il s’en dégageait un appel à l’élévation, à la sagesse, au dépassement, à l’éveil. « En contemplant ces œuvres extraordinaires, nous sommes transportés dans les sphères les plus secrètes du psychisme, un lien où tout est possible ». (Lotus Soft).
Égrenons ces titres aux résonances étranges : SHRI YANTRA, AVALOKITESWARA, MANDALA, KALACHAKRA, SAKYAMUNI… chacun désigne une féerie de formes : cercles cosmiques, carrés encerclés, triangles ; on y croise tant un panthéon de divinités : Bouddha, sages, démons. Chaque sujet déploie toute une symphonie de couleurs où les tons les plus vifs s’ordonnent avec les teintes les plus douces.
« Ce voyage spirituel mène à la bienheureuse exultation de l’esprit, ainsi qu’à l’extase originelle incarnée par ces figures symboliques ».(Lotus Soft)
Si l’exposition des tantras était la pièces majeure, d’autres vitrines présentaient d’autres richesses de l’Inde : statuettes de divinités hindouistes, bouddhas paisibles, bijoux, marionnettes du Rajasthan. Mais comment oublier le choc visuel créé par le grand mantra, tracé avec du sable coloré, qui ornait le sol du hall d’entrée. Vu du balcon et des escaliers, il invitait à plonger dans l’Inde mystérieuse.
Délicieusement sustentés par de fines bouchées, dont la saveur exotique et épicée préparait au dîner, les participants se sont installés dans l’Auditorium. La « Flânerie en Inde » allait maintenant franchir un nouveau seuil culturel : la connaissance de l'Inde.
Les cinq intervenants s’étaient donné comme objectif de nous faire partager leur propre fascination de l’Inde, où voyages touristiques ou professionnels les avaient conduits. Le démarrage fut assuré par Madame Anne-Marie Hage. Avec sa compétence journalistique, elle a su tout de suite faire saisir cette réalité : l’Inde est un pays de contrastes. Le choc des images présentées et leurs commentaires nous disaient l’Inde dans sa variété et sa réalité : modernité et vie quotidienne, Taj Mahal et bidonvilles, transports et sourires… tout un peuple, toute l’Inde.
En voyagistes professionnelles, Mesdames Myriam Shuman et Sana Tawil ont pris le relais pour offrir sur un plateau visuel l’Inde touristique : ses chaînes d’hôtels, les circuits conseillés, le Rajasthan, le Kerala. Cette séduisante invitation au voyage nous invitait à passer du rêve au départ.
Le professeur Antoine Messarra, dans cette progression culturelle, s’est chargé de nous introduire dans l’Inde politique. Ses propos étaient aussi une véritable initiation à la démocratie. En posant cette évidente réalité "l’Inde est la plus grande démocratie du Monde", le conférencier a su mener la démonstration de cette vérité. Il a exposé les règles de ce système politique original qui est fondé sur les valeurs philosophiques et religieuses de l’Inde et la pensée de Ghandi. La République indienne s’est constituée en un système fédéral qui respecte les droits de chaque groupe ethnique et religieux. Par le système des quotas, chaque communauté participe de plein droit à la vie politique et se trouve représentée dans le système. La démocratie est faite des 230 partis politiques par lesquels s’expriment des millions de citoyens.
Enfin, Monsieur Gérard Bejjani, par une magistrale démonstration, a réussi à nous communiquer, avec fougue et compétence, sa propre fascination de l’Inde. Il l’a fait à partie de ces pôles qui lui sont chers : Ghandi, Bouddha, Mère Teresa et, bien sûr, le Taj Mahal, évoqué aussi par tous les intervenants.
Nous conserverons ces quelques citations qui accompagnaient son exposé :
Gagnés par l’enthousiasme qu’avaient su nous faire partager ces intervenants, il nous restait encore à nous hausser à un autre niveau : celui de la convivialité gastronomique indienne, autre source de fascination.
La vaste salle à manger avait pris un visage indien. Sur chaque table, une nappe aux tons chatoyants, créait l’atmosphère et nous offrait de délicieux cadeaux qui ont achevé de fasciner les « Indiens » que nous étions devenus.
Le temps imparti aux bons usages protocolaires ne faisait qu’aiguiser l’appétit tout indien qui se voyait excité par des arômes qui s’échappaient du buffet, encore fermé.
L’heure est donc aux paroles de bienvenue. Madame Joumana Hobeïka, en parfaite organisatrice et hôtesse, salue les invités dont plusieurs membres du Corps diplomatique. Elle nous rappelle que l’Inde fut un sujet cher aux écrivains romantiques.
Le Père Jean Dalmais, représentant le recteur, nous fait part aussi de ses souvenirs indiens. Il précise que la compagnie de Jésus a tissé avec l’Inde une longue et riche histoire. Les provinces jésuites de l’Inde comptent près de 270 jésuites, fidèles à l’héritage de Saint François Xavier. Les jésuitologues avertis comprendront ainsi que le poids et la représentativité des provinces d’Asie aient pesé dans l’élection du nouveau Supérieur général, bien enraciné dans ce continent.
Enfin, il revenait à Son Excellence Madame Nengcha Zhanvum, ambassadeur la République de l’Inde, de s’adresser à l’assemblée. Avec beaucoup d’affabilité, elle a dit sa fierté de pouvoir présenter son pays à travers cette Flânerie. Et elle en a remercié chaudement le Collège et les organisateurs du Centre Sportif, Culturel et Social.
Tout était prêt pour l’acte final : les portes du buffet s’ouvrirent.
Que dire de cette gastronomie exposée à nos appétits affinés et à nos goûts éclectiques ? Pour ne pas entrer dans le détail de la terminologie des spécialités indiennes magistralement préparées, nous allons emprunter une image artistique. Sur la longue table, couverte d’une nappe bleue foncée, l’assortiment des plats exposés dessinait une vaste palette d’un peintre. Si le jaune brillant du curry traditionnel dominait, il se déclinait en une multitude de teintes profondes ou nuancées. Les diverses préparations du célèbre poulet à l’indienne, apportaient autour du riz, toutes les variations de ce jaune typique. Chacun pouvait ainsi composer dans son assiette un petit chef d’œuvre qui enchantait d’abord les yeux avant de séduire les papilles. Mais notre fascination gastronomique ne devait point s’arrêter là. Elle tint même d’un miracle. Jugez-en. Une alliance, que dis-je, un mariage imprévu se réalisait dans nos palais avertis. Le doux piquant des épices indiennes venait s’allier avec la vivacité et le banquet du Ksara libanais ! La mondialisation de la gastronomie triomphait ce soir-là.
Sans doute avez-vous remarqué les deux drapeaux qui se côtoyaient sur l’estrade : celui du Liban et celui de l’Inde. Ils n’avaient pas seulement qu’une fonction protocolaire. Se touchant presque, ils semblaient vouloir unir leurs symboles : le Cèdre et la Roue. Le Cèdre, signe de la pérennité d’un pays et de sa grandeur dans l’histoire. La Roue, symbole religieux de la perpétuation cyclique de la vie. Deux symboles, deux cultures mais une même foi : la Vie !
P. Bruno Pin