Si l’on doit définir le thème central qui a guidé la merveilleuse « Flânerie au Japon », il faut absolument citer la formule pertinente que Madame Joumana Hobeika a su donner fort à propos dans son intervention d’accueil.
« Pays de contrastes fascinants, le Japon ne cesse de surprendre ceux qui s’y aventurent. Alliant traditions rigoureuses et modernisme exalté, la mentalité nippone plonge l’étranger dans un paradoxe de tous les instants ».
Aussi, en ce lundi 10 mars 2008, les habitués des soirées culturelles du Centre Sportif, Culturel et Social pénétraient dans ce haut lieu de la culture jamhourienne, avec un esprit disposé à saisir toutes les subtilités paradoxales du Japon, cette harmonie qu’il a su préserver entre tradition et modernité.
Le premier contact avec le Japon était direct et simple : le thé ! De très bon gré, chacun avait oublié les habitudes apéritives plus corsées pour se laisser séduire par l’arôme, la saveur et la teinte de ce thé de bienvenue. Par la suite, nous devions être initiés au symbolisme de cette tasse fumante et parfumée. Au Japon, en effet, le thé est l’objet d’une véritable liturgie conviviale, quintessence d’un art de vivre pour lequel le temps prend toute sa valeur grâce à des gestes rituels minutieux consacrés à la théière et à son contenu.
D’ailleurs, le programme devait nous confirmer cette vérité. Du Japon, pour circuler à travers la mégapole, on prend les trains les plus rapides du monde. Mais pour communiquer entre proches, on prend le thé de la façon la plus lente du monde. Paradoxal Japon !
La tasse aux doux reflets verts bien en main, chacun pouvait commencer sa flânerie d’un soir. Plusieurs pôles permettaient de s’initier à l’harmonieuse unité de la tradition et de la modernité du pays du soleil levant.
Première rencontre : les poupées ! Les figurines japonaises exposées emportaient l’admiration de tous. Elle n’avaient rien à voir avec de banales et enfantines poupées. La présentation pyramidale de ces personnages n’était point due au hasard. Elle reproduisait l’antique et immuable hiérarchie impériale. Leurs majestés, l’empereur et l’impératrice dominaient la pyramide. Ils étaient revêtus des vêtements d’apparat minutieusement reproduits. En dessous, d’autres personnages hiératiques formaient la cour : princes et princesses, nobles courtisans, vieux samouraïs, musiciens traditionnels.
L’ensemble était tellement saisissant que quelques admirateurs hésitaient devant la solennité de cette représentation : une inclinaison protocolaire n’était-elle pas ici de rigueur ?
Dans l’ensemble des galeries, une série de 32 panneaux invitait à partager le regard artistique que Monsieur Saer Karam avait porté sur le Japon. Ses photos magistrales illustraient parfaitement le thème de la soirée tant ces vues alternaient entre la tradition et la modernité japonaises. Un exemple ? Ce torii rouge se détachant sur l’eau argentée et plus loin, cette foule urbaine se pressant dans un métro bondé.
Un vitrine sympathique invitait à examiner ces objets de bois, si simples et si ingénieux : des toupies, jouets d’enfants sages tels qu’on en voit sur des estampes.
Le regard du flâneur devait ensuite se livrer à une double gymnastique : s’abaisser puis s’élever. En effet, les cerfs-volants multicolores devaient être admirés d’abord d’en haut, pour avoir une vue plongeante sur leur vol plané au-dessus du hall. Mais il fallait aussi descendre et les admirer d’en bas pour apprécier les motifs : lettres, figures, personnages.
C’est alors que le regard venait se poser sur une table où étaient exposés de petits trésors d’habileté manuelle : tout l’art de l’origami, par lequel le papier coloré se transforme en formes ravissantes : fleurs, tableaux, poupées, maisonnettes…
Ce pays s’impose mondialement par ses réalisations industrielles et technologiques. Or ce ne sont point des ordinateurs ultra performants qui étaient offerts à notre admiration. Mais nous nous sommes penchés sur des poupées, sur des toupies, sur des cerfs-volants et sur des papiers pliés. Et c’est aussi à travers la beauté simple de ces choses que nous avons admiré ce paradoxal Japon.
Les yeux charmés par quelques compositions florales d’ikebana, les flâneurs se sont alors retrouvés dans l’auditorium. Deux causeries allaient nous faire pénétrer plus en avant dans la culture japonaise.
Après un documentaire « Yokoso Japon », il revenait à Madame Liliane Barakat de nous entretenir de sa rencontre avec le Japon. Fort bien illustrée et étayée de synthèses essentielles, sa conférence proposait un large tour d’horizon du Japon traditionnel et moderne. Et il est nécessaire de reprendre ici quelques faits et chiffres les plus frappants.
Le Japon est un archipel. Le relief montagneux occupe 70% de son territoire. Il compte 265 volcans dont 20 actifs. Les tremblements de terre si fréquents ont donné naissance à une ancienne légende. Les secousses s’expliquent par le conflit entre le remuant poisson-Chat NAMAZU et les efforts de la divinité KASHIMA pour le calmer. Le relief montagneux tourmenté oblige les constructeurs à des trésors d’ingéniosité pour exploiter au maximum le minimum. Le bois est la matière première de l’habitation traditionnelle.
Le thé se présente sous la forme d’une poudre verte, le MATCHA. Le cérémonial de préparation et de consommation du thé s’intitule CHANOYÜ ; il requiert beaucoup de temps. Ainsi, dans une simple CHA-SHITU (maison), le CHANOYÜ s’accompagne de l’IKEBANA (art floral) ou du SHODO (art de la calligraphie). Tout en savourant, enfin !, sa tasse, on peut déguster, à genoux, de petits CHA-GASHI (gâteaux sucrés) présentés par l’hôtesse qui a revêtu son plus beau KIMONO.
L’âme japonaise se nourrit de plusieurs traditions spirituelles : les japonais vivent en confucéens, se marient selon le rite shinto et se font enterrer dans des cimetières bouddhiques.
Autre art de vivre japonais : la jardin par lequel on veut reproduire la beauté de la nature. Le jardin sec, KARE SANSUI, est d’inspiration ZEN et entretient la méditation. Jardins miniatures mais aussi la mégapole qui étend sa concentration urbaine sur des centaines de kilomètres, rapidement parcourus par le SHINKANSEN, train à grande vitesse.
C’est un tour culturel complet que nous avons effectué à « petite » vitesse grâce à notre conférencière pilote.
Monsieur Gérard Bejjani prenait alors le relais pour nous initier à un domaine culturel, encore vierge pour nous : la littérature japonaise. Notre maître conférencier avoue franchement que s’il aime le Japon, ce n’est point pour sa modernité mais pour sa tradition. Mais devinez d’où est née sa passion littéraire pour le Japon ? Dans une tasse de thé ! Mais pas n’importe laquelle : celle de Proust, bien sûr. Il décrit avec sa minutie habituelle un jeu japonais dont la tasse de thé est le centre. Il observe et décrit ce qui se déroule dans cette fameuse tasse de thé, avant d’y plonger sa non moins célèbre madeleine, qui devient ainsi la cousine nippone de petits CHA-GASHI !
Mais reprenant un ton plus doctoral, le conférencier nous présentait les cinq écrivains japonais qui ont le plus marqué la littérature mondiale.
Les voici :
Limitons-nous ici à citer quelques œuvres.
Akinari Veda est célèbre pour « les contes de pluie et de lune ». Le film «conte de la lune vague après la pluie », tiré de cette œuvre est classé parmi les dix meilleurs films mondiaux.
Junichiro Tanizaki, dans ses « confessions impudiques » apporte une facture érotique. Vieux messieurs encore verts et dames coquines s’y ébattent dans un contexte très traditionnel. La littérature contemporaine retrouve la finesse des estampes, dites justement, japonaises. Les Flâneurs, soudain intéressés, ont pu ainsi découvrir que « l’accolade » n’est pas au Japon, le signe graphique que nous connaissons. Bref… !
Dans toute l’œuvre de Kawabata on retrouve la déchirure entre la nostalgie d’un Japon traditionnel et l’amère nécessité de la modernité.
Bien sûr, Mishima nous est plus familier car ses œuvres sont traduites et diffusées en occident. Lui aussi est un admirateur de la tradition japonaise, de l’empire et des vertus des samouraïs. Ne disait-il pas : « La vie est brève mais je voudrais vivre toujours ».
Dans la littérature japonaise, il faut faire une place de choix à ces petits chefs d’œuvre de concision poétique : le HAÏKU.
En voici un qui illustrait le célèbre tableau « La vague » :
Me voilà
Là où le bleu de la mer
Est sans limite.
Leur appétit culturel étant rassasié, les Flâneurs n’avaient plus qu’à porter leurs pas vers l’accueillante salle à manger, où justement, élégamment disposées sur les tables, les attendaient les traditionnelles entrées de la gastronomie japonaise : shushi au soja, makis, rouleaux et autres délices…
Tout en maniant habilement les baguettes, chacun prêtait une oreille attentive aux traditionnels mots de bienvenues : celui de Madame Hobeika d’abord, puis l’intervention du Père Dalmais qui, avec compétence, a présenté les liens qui réunissent la Compagnie de Jésus et le Japon. En voici quelques lignes essentielles :
« Les liens d’amitié de la Compagnie de Jésus avec ce beau pays ne sont pas nouveaux. Ils remontent au 16e siècle avec l’épopée de l’un des premiers compagnons d’Ignace de Loyola, François Xavier, qui fut le grand voyageur et découvreur de l’Extrême-Orient…, séjournant trois ans au Japon.
… Plus de 450 ans ont passé depuis la rencontre de Xavier avec le peuple japonais, et la Compagnie de Jésus est toujours présente au Japon avec ses 235 religieux, bien intégrés au pays grâce en particulier au rayonnement de la prestigieuse université « Sophia » de Tokyo.
… Nous ne pouvons pas oublier non plus que le Père Pedro Aruppe avait été provincial du Japon (avant son généralat) et avait connu lui-même, en 1945 l’horrible tragédie de Hiroshima. C’est encore un espagnol, le Père Adolfo Nicolas, lui aussi ancien provincial du Japon, qui vient d’être élu Supérieur Général de la Compagnie. »
Son Excellence, Monsieur l’Ambassadeur du Japon avait su trouver les mots chaleureux pour exprimer sa fierté d’être l’hôte de ces Flâneries qui mettaient si bien à l’honneur le pays qu’il représente et dont il a su si bien nous parler.
Avec l’ouverture du buffet, le doux bruit des baguettes fut couvert par les échanges les plus cordiaux qui se tissaient autour du menu asiatique, et donc, raffiné. Et une nouvelle fois, le célèbre Blanc de Blanc, de Ksara, faisait merveille. Près de l’estrade, le Cèdre vert tendait ses branches fraternelles vers le rouge soleil levant, image de la chaude convivialité qui unissait, en cette soirée, les hôtes japonais et les Flâneurs libanais.