Si, devant le Bâtiment Wafic Rida Saïd, on avait sondé quelques flâneurs du lundi avec cette question : « À quel nom attribuerez-vous spontanément le qualificatif suisse ? », les réponses auraient certainement énuméré : « Un couteau… », « Une montre… », « Un garde… », « Une banque… ».
Mais, à peine entré dans le pavillon W.R.S., le flâneur, alléché, se serait écrié : « le chocolat … ! »
Car c’était sous les auspices de cette délicieuse friandise que la flânerie de ce lundi 14 avril 2008 était introduite.
Une fois les retrouvailles amicales entre habitués et les salutations mondaines avec les invités diplomatiques achevées, les flâneurs pouvaient suivre le circuit prévu pour leur faire découvrir, et goûter, l’histoire du chocolat, suisse, bien sûr.
Une série de panneaux, présentés par la prestigieuse marque LINDT, retraçait, en anglais et en arabe, la grande épopée du chocolat. Et notre curiosité culturelle nous poussait à comprendre comment le chocolat avait pu devenir « suisse ».
Nous découvrions ainsi, de panneau en panneau, comment un pays enclavé au cœur de l’Europe, cerné de montagnes et de fleuves, avait pu s’ouvrir à la fève du cacaoyer, arbuste hautement américain, cultivé par les Mayas. L’épopée suisse du chocolat avait commencé en 1819 avec son génial promoteur, François Louis Cailler.
On imagine tout le trafic commercial qu’il avait fallu mettre en route pour que des trois mâts, des cargos, des céréaliers acheminent vers les ports européens leur précieuse et adorante cargaison récoltée en Amérique, en Afrique, en Asie.
Qui prétendra encore que les Suisses ne sont pas des marins ?
Quatre grandes figures ont donné au chocolat ses lettres de noblesse suisse. Ces génies du goût, ces orfèvres en gourmandise, ces industriels chocolatiers ont créé l’art du chocolat. Par de savantes techniques, ils ont traité, modelé, mélangé, accommodé, présenté le chocolat pour en faire ce chef d’œuvre qu’est le chocolat suisse. Saluons ces bienfaiteurs de l’humanité gourmande : Rudolf LINDT, Henri NESTLE, Jean TOBLER, Philippe SUCHARD.
Mais la théorie chocolatière était, fort heureusement, suivie de l’expérimentation. En effet, M. Adalbert BUCHER, authentique maître chocolatier de la Maison LINDT, se livrait sous les yeux attentifs des flâneurs, à une démonstration : l’art de faire des pralines. L’effet était irrésistible et les coquettes serveuses chargées d’offrir des pralines confectionnées sur place, n’arrivaient pas à satisfaire les gourmets empressés.
Quelques connaisseurs, férus d’héraldique, pouvaient aussi détailler les bannières des 26 cantons helvètes. Majestueusement suspendues au-dessus du hall, elles tissaient par leurs couleurs et leurs figures toute l’histoire de la confédération. L’ermite Saint Gall voisinait avec d’autres emblèmes : ours, vaches, aigles, étoiles, noix…
Après cette introduction à la Suisse par le goût, l’heure était venue de se laisser guider au cœur de la réalité suisse. S.E.M. François BARRAS, Ambassadeur de la Confédération Helvétique (CH) venait nous offrir une démonstration de son savoir-faire diplomatique. Debout, magistral, face à un public attentif, et distingué, Monsieur l’Ambassadeur a su immédiatement gagner l’attention, l’intérêt et le cœur des flâneurs : « La Suisse, un « cas spécial » au cœur de l’Europe ».
Pendant que se déroulait en chaîne sur l’écran un magnifique documentaire sur la Suisse, le conférencier a su initier son public à ce « cas spécial » qu’est la Suisse.
Nous ne pouvons oublier l’essentiel de ses propos que nous allons synthétiser ici.
La Suisse se comprend à partir de la lecture de 3 actes :
- La carte des langues : allemand, français, italien, romanche.
- La carte des religions : catholicisme et protestantisme.
- La carte des 26 cantons qui composent la Confédération.
Deux dates fondamentales marquent l’histoire de la Suisse.
- 1291 : l’alliance de communautés rurales permet de repousser les tentatives hégémoniques des Habsbourg. C’est l’acte de naissance de la Confédération.
- 1515 : François 1er défait les troupes des cantons à Marignan. À partir de cette date se forge le choix de la neutralité. À ce sujet, il faut signaler la sage influence politique de saint Nicolas de Flue, patron de la Suisse.
Sur cette base historique, Monsieur Barras peut alors nous offrir une démonstration de « culture politique » à propos de la spécificité de la Confédération. Il présente alors chacune des cinq composantes du système politique helvète.
- Le Fédéralisme
En suisse, la cellule de base est la commune. On en compte 3.000 dans le pays. Celles-ci se regroupent en 26 cantons, régionaux et linguistiques. Chaque canton a son propre gouvernement. Enfin, les cantons constituent la Confédération avec ses organes de gouvernement commun. On remarque que la structuration politique commence par l’entité la plus petite pour se structurer en regroupements de plus en plus larges.
- La Collégialité
La diversité sociopolitique de la Confédération est fondée sur trois sphères d’influence : les quatre langues parlées, les deux confessions représentées et les cantons avec leur propre mode de fonctionnement. Le gouvernement de la Confédération est donc collégial afin d’associer à la décision politique ces trois composantes. La règle du jeu politique est le compromis, qui, au lieu d’être une faiblesse, apparaît comme une force d’équilibre.
- La Démocratie directe
Celle-ci s’exprime par le vote populaire régulièrement requis. Ainsi des référendums sur des thèmes précis permettent aux citoyens d’exprimer démocratiquement leurs choix sur des sujets qui concernent le pays. C’est de cette façon que le citoyen est régulièrement associé à la vie politique ; de cette façon, le peuple helvète est souverain.
- La Neutralité
Pensée par saint Nicolas de Flue au 15e siècle, elle a su s’imposer et être reconnue en 1748 par les états de l’Europe. Lors des deux dernières guerres mondiales, la neutralité suisse a été respectée par les belligérants.
Cependant cette neutralité est armée. La Suisse forme ses citoyens à la défense de leur nation et de sa spécificité. Ainsi, le citoyen doit conserver chez lui son fusil et son équipement militaire, et il est tenu à participer à des entraînements.
- La Relation citoyen-gouvernement
Le citoyen helvète respecte le gouvernement issu de ses choix. Il règne même une forme de complicité familière dans les relations entre les citoyens et les hommes politiques qui gouvernent.
Enfin, l’avenir de la Suisse est-il dans l’Union Européenne ? Monsieur Barras précise que la question se pose désormais. Cependant les citoyens ne sont pas pressés de tenter une démarche d’intégration qui atténuerait certainement la spécificité de leur système politique. Cependant, des accords bilatéraux sont déjà conclus avec l’Europe.
Monsieur l’Ambassadeur est vivement applaudi pour la clarté de son exposé qui nous a fait saisir tous les aspects de la « culture politique » de la Suisse.
Les flâneurs, devenus convives, se retrouvent chaleureusement autour des tables. Mais avant de succomber aux délices de la gastronomie helvète, chacun s’impose une attention soutenue pour écouter trois intervenants. Madame Joumana Hobeika du fait de sa fonction, ouvre la dimension proprement culturelle, en rappelant quelques grands noms des lettres et des arts de la Suisse : Rousseau, Ramuz, le Corbusier, Fontana, Klee…
Le Père Salim Daccache, dans ses propos hospitaliers envers Monsieur l’Ambassadeur, apporte cette petite pointe d’humour jésuite (ça existe !). Il relève en effet que la démocratie directe helvète s’est exercée en faveur des Jésuites en 1974 grâce au référendum qui a permis le rétablissement de la Compagnie de Jésus en terre helvétique.
S.E. Monsieur Barras tient à confirmer combien les missions diplomatiques, et donc la sienne, apprécient le partenariat avec des centres culturels comme celui de Jamhour, grâce à l’accueil, à l’organisation et aux équipements du Centre Culturel, une mission diplomatique peut trouver une scène accueillante pour présenter sa culture.
Les « flâneries » sont l’illustration parfaite de ce partenariat culturel.
Déposé sur chaque table, un bocal rempli d’onctueuses boules de LINDT, permettait à chaque auditeur de soutenir son attention.
Enfin, le menu vint ! les mets proposés méritent d’être cités :
- Pâté de truite à la romande
- Gnocchis aux épinards
- Emincé à la zurichoise, Roesti, pois mange-tout
- Fromages des montagnes suisses
- Sabayon aux langues de chat
Les zélés serveurs veillaient à garder haut le niveau des verres des convives. Les « Bretèches » et « La Dame Blanche » de Kefraya faisaient la preuve de leur parfaite communion avec la gastronomie helvète, et, soulignons-le, avec les fromages.
Une nouvelle fois, la cinquième « flânerie à travers le monde » avait réussi à créer cette atmosphère, typiquement « jamhourienne » faite de culture, de plaisir d’être ensemble et de convivialité.
D’ailleurs, par un effet de magie culturelle, un phénomène de transfert s’est progressivement opéré. « Les flâneries à travers le monde », grâce à l’ouverture culturelle et au partage des idées, sont devenues cette réalité :
Le monde à travers Jamhour !
P.Bruno Pin