Lundi 06 novembre 2006
Fouad Ephrem
Boustany. Un maître à penser qui a marqué des générations entières de jeunes et
de moins jeunes. L’érudit, l’historien, l’écrivain, l’encyclopédiste, le
linguiste, le chercheur, bref la souveraine référence devenue une véritable
institution. Une institution de connaissance et de lumière puisées aux sources
des grandes civilisations pour un ardent et farouche nationalisme. Une figure
aussi aimée du grand public comme de ses étudiants à travers des cours
captivants tant dans les universités que dans les médias, à l’audimat
impressionnant. Infatigable et intrépide explorateur des connaissances dont
aucun secret ne lui était étranger, Fouad Ephrem Boustany est, sans nul doute,
une des figures intellectuelles libanaises les plus riches et les plus
attachantes. Un vibrant hommage lui a été consacré en week-end par le Club
culturel de Jamhour (en collaboration avec l’Amicale des anciens du collège
secondaire de l’USJ et de Jamhour et la Fondation Fouad E. Boustany, preuve,
s’il en fallait une, que le rayonnement de son œuvre et de son influence
demeure toujours d’actualité). À cette occasion, le père Camille
Héchaïmé a évoqué le professeur ; Me Émile Bejjani a décrit l’historien
; Me Nabil Mallat a parlé de l’impact du maître sur les générations futures.
Enfin, Élie Saliba, de la LBCI, a projeté le film de la dernière interview
de l’éminent penseur en septembre 1993. Une séance clôturée par le mot de la
famille dit par sa fille, Marina Boustany Bernotti. Un moment d’intense émotion
pour les personnes qui ont connu ce grand homme. Une exposition de manuscrits,
de décorations et d’objets précieux qui ont appartenu au maître a été
organisée. Et la recette de la vente de l’œuvre a été offerte à la caisse de
solidarité du collège.
C’est le père Camille Héchaïmé qui, le premier, a pris la parole pour parler du
professeur qu’a été, entre autres, Boustany. Son propre professeur. Dans son
allocution empreinte de nostalgie, le père Héchaïmé renvoie les présents aux
bancs de l’école alors qu’il était élève chez les pères jésuites en classe de
rhétorique. «Maître Fouad, c’est ainsi qu’on appelait ce nouvel enseignant en
littérature arabe... Et tous les élèves étaient intimidés par sa notoriété qui
l’avait précédé. Auteur des ouvrages al-Rawa’eh et de l’Ère de l’émir,
c’est à lui qu’on doit l’amour de la langue arabe... Un humour drôle, caustique...
Un puits de connaissances... Des valeurs humaines inestimables.» C’est par ces
mots si simples et pourtant tellement évocateurs et rares que le père Héchaïmé
dépeint celui qui a marqué de son empreinte tant de générations.
Membre du Conseil constitutionnel, l’avocat et historien Émile Bejjani a
pris par la suite la parole, avouant sa crainte devant cette lourde charge qui
lui incombe: «Crainte de ne pouvoir cerner le sujet. Monarque au royaume de la
plume, universel dans l’univers des lettres, professeur au sens cardinal, ayant
apporté la joie de comprendre et la magie du verbe, Fouad Ephrem Boustany
fournit une immense grille d’analyse qui se prête difficilement à l’abréviation
ou au cloisonnage. Écrivain, historien, encyclopédiste, linguiste, enseignant,
pédagogue, journaliste, chroniqueur, conférencier, chercheur, administrateur,
voyageur et partout savant et homme de science, il fut tout cela – et j’en
passe: un soleil que ne saurait éclairer ma petite lanterne...» Assujetti donc
à un horaire limité, l’historien va devoir enserrer son sujet dans des «justes
et possibles limites» pour saisir le personnage et sa dimension historique, le
situer dans cette «période cruciale de notre histoire, période qui s’échelonne
sur plus d’un demi-siècle, qui débuta en 1920 par la proclamation de
l’État du Grand Liban, et à laquelle succéda l’ère de l’indépendance en
1943, accompagnée d’un pacte non écrit dit Pacte national... L’homme dont nous
commémorons ce soir le souvenir, dit-il encore, percevait des trous d’ombre,
entrevoyait de loin le mirage non plaisant de débordements futurs dans
1’évolution des idées et des faits. Et autour de cette perspective,
cristallisait une bonne fraction de l’opinion.»
Après avoir survolé l’action de Fouad Ephrem Boustany et l’avoir replacée dans
le contexte actuel, Me Bejjani conclut son allocution en citant Charles Corm :
«Âme de mon pays, où sont votre génie,
Vos travaux, vos chefs-d’œuvre et vos nobles trésors,
Où sont votre prestige et votre hégémonie,
Où sont vos ailes d’or!»
Un guide
Pour sa part, Me Nabil Mallat, avocat à la Cour, mettra l’accent sur l’impact
du maître sur les générations futures. «Une cérémonie en hommage à Fouad Ephrem
Boustany au Collège N-D de Jamhour relève plus du destin que du hasard,
signale-t-il. En effet, la qualité de formateur de générations futures que se
partagent l’homme et l’institution a décidé du lieu pour tenir un pareil
hommage.»
«Professeur, historien, écrivain, premier recteur de l’Université libanaise,
Fouad Ephrem Boustany est, au-delà de tous les titres, l’exemple parfait du
véritable homme libanais dans un Liban que l’introduction du Dae’ret el-Ma’aref
charge d’une “mission originelle au service de la culture arabe humaniste”.»
«Pour les générations futures qui recherchent – peut-être même sans le savoir –
un exemple à suivre, un modèle à imiter ou un rêve à réaliser, Fouad Ephrem
Boustany, l’homme, s’impose tout naturellement comme un guide qui éclaire les
ténèbres du doute.»
«Ce doute, les jeunes d’aujourd’hui le ressentent: du chômage à l’émigration et
de l’insécurité à la guerre, ils ont tout vécu et craignent de tout revivre
encore une fois. Certains, flanqués de pessimisme pourront même dire: “Comment
Fouad Ephrem Boustany améliorera-t-il notre présente condition?” La réponse est
pourtant simple, avoue Mallat. Fouad Ephrem Boustany a vécu dans ce même Liban
et l’a accompagné dans une des périodes les plus difficiles de son existence.
Il est né en 1906 dans une mutassarifiyah fragile, a connu la guerre de
1914-1918 et la terrible famine qui a ravagé ce Mont-Liban et qui a coûté la
vie, on l’oublie des fois, à des centaines de milliers de Libanais. Puis il a
connu cette période de panarabisme, de mandat et de Seconde Guerre mondiale et
il a aussi témoigné, comme cette jeunesse, de ce rêve d’indépendance enfin
réalisé en 1943 pour revoir l’insécurité et la guerre reprendre leurs places de
force avec les événements de 1958, puis de 1975.»
Former des hommes
En évoquant les conditions de vie de l’historien, Mallat a établi un parallèle
entre la jeunesse de Fouad Ephrem Boustany et celle du Liban actuel: «Les
conditions de vie de Fouad Ephrem Boustany n’étaient pas meilleures que celles
de la jeunesse d’aujourd’hui et les conditions de vie de cette même jeunesse ne
sont pas pires que celles de Fouad Ephrem Boustany et, malgré tout, il a su
donner l’exemple en réalisant le miracle libanais. Un miracle que le Liban ne
doit ni à son hégémonie politique ni à sa puissance économique, mais à la
créativité d’un peuple qui a pu, presque en permanence, trouver des solutions à
ses problèmes, en demeurant simple et égal à lui-même malgré la complexité de
son environnement et des situations auxquelles il a dû faire face...»
«L’exemple de cette clairvoyance nous est transmis justement par la plume de
Fouad Ephrem Boustany, poursuit Mallat. Une histoire tirée de l’ouvrage Au
temps de l’émir me permettra d’illustrer l’impact de Fouad Ephrem Boustany sur
cette jeunesse... À travers l’histoire d’Akhwat Chanay (connue de tous),
nous pouvons comprendre ce que Fouad Ephrem Boustany essaye de montrer à cette
jeunesse en particulier, c’est que l’effort collectif est une chose simple
quand l’objectif est commun et l’intérêt public. La leçon ici est grande tant
sur notre vie privée que sur notre engagement public: il faut toujours définir
des objectifs avant de demander des efforts de soi-même ou des autres.»
Et de poursuivre: «Chaque jeune Libanais peut aspirer à une ouverture d’esprit
qui est nécessaire si le Liban espère conserver un rôle dans ce monde globalisé
et que certains pensent unitaire. L’impact de Fouad Ephrem Boustany sur cette
nouvelle génération a donc été de former des hommes; pas des gens ni un peuple,
mais des hommes qui, une fois intégrés dans leur environnement, pourront se
distinguer par leur culture et leur créativité.»
Enfin, conclut Mallat sur une note d’espoir: «Si un jour nous arrivons à
perdre, comme l’émir, le goût de vivre et si le conseil d’Akhwat Chanay de
mettre un peu de sel à notre existence ne produit pas le résultat requis, il
nous suffira de feuilleter Au temps de l’émir pour être convaincu que les temps
que relate Fouad Ephrem Boustany en 27 contes et nouvelles étaient bien plus
durs que les temps modernes et qu’au bout du tunnel, la lumière finit toujours
par rejaillir.»
Enfin, le mot de la fin revient à la famille de ce grand homme, exprimé par sa
fille, Mme Marina Boustany Bernotti, professeur de littérature française à
l’Université libanaise. S’adressant à son père, elle dira: «Papa… Douze ans
déjà que j’ai refermé mon livre d’images. Je voudrais le rouvrir aujourd’hui
pour pouvoir partager, avec tous ceux qui sont là pour te rendre hommage, cet
univers fabuleux qui fut le mien durant quarante-deux ans.»
Au fil des souvenirs heureux, Bernotti a évoqué les moments enchanteurs vécus
avec ce père fabuleux et les instants d’émerveillement partagés. En toute
pudeur, elle rendra également hommage à sa mère qui a permis aux six enfants
d’être ce qu’ils sont aujourd’hui. Et enfin, elle clamera devant toute
l’assemblée sa fierté d’avoir eu un tel homme pour père.