Atelier "Actualité internationale", le 26 janvier 2004
Intervention de M. Samir Frangié sur le thème : l'état du dialogue islamo-chrétien

 

 

Le dialogue islamo-chrétien a acquis, depuis les attentats du 11 septembre 2001, mais surtout depuis la guerre d'Irak au printemps 2003, une importance nouvelle. La chute de Bagdad a provoqué un véritable séisme dans le monde arabe. Fortement secoués par les ondes de choc qui ont suivi l'effondrement du régime irakien, les pays arabes ne sont plus désormais à l'abri de la violence. Leur situation est semblable à celle qu'ont connue les pays de l'Empire soviétique après la chute du Mur de Berlin en 1989.

La dissolution de l'Union soviétique avait, rappelons-le, entraîné de sanglants affrontements sur toute la frontière des deux mondes slave et musulman : guerre du Haut Karabakh entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, expulsion des Turcs de Bulgarie, conflit bosniaque, sécession de l'Abkhazie, guerres en Tchétchénie, guerre civile au Tadjikistan, guerre du Kosovo, etc. Elle avait ensuite fait basculer vers l'Ouest toute l'Europe centrale et orientale, faisant éclater au passage l'union yougoslave et l'union tchécoslovaque. Elle avait enfin entraîné une destruction considérable de richesses, provoquant, en Russie notamment, une augmentation spectaculaire de la mortalité et un accroissement sensible de la violence au sein de la société.

Le monde arabe aurait du être directement affecté par l'effondrement de l'Empire soviétique ; beaucoup avaient d'ailleurs cru, avec l'invasion du Koweït et la seconde guerre du Golfe en 1991, que l'ordre régional issu de la guerre froide allait être modifié. Mais ce changement n'a pas eu lieu, car il a été, dès la fin du conflit irakien, lié à la paix avec Israël. Or cette paix ne s'est pas faite et le monde arabe s'est retrouvé de 1991 à 2003 dans une situation totalement bloquée, géré par des régimes dont le seul objectif était de se maintenir en place. Ces années "suspendues" vont se révéler être extrêmement coûteuses en terme d'avenir. Les deux rapports sur le développement humain, publiés par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) en juillet 2002 et octobre 2003 sont, à cet égard, accablants.

Dans cette conjoncture nouvelle, le dialogue islamo-chrétien prend une importance toute particulière à cause justement des objectifs que la situation lui assigne. Il ne s'agit plus simplement d'échanger des opinions ou de concilier des positions religieuses, mais de réfléchir sur les moyens d'éviter le pire en réalisant les objectifs suivants :

Mais ce dialogue, pour atteindre les objectifs cités, doit se baser sur notre expérience commune de la convivialité et de la guerre. Il doit aborder le problème de la guerre, non pas pour régler des comptes, mais pour comprendre ce qui s'est passé. Il ne s'agit pas de juger les vivants - "laissons les morts enterrer les morts" -, mais de nous réapproprier notre mémoire, car c'est le fait "d'avoir" une histoire qui permet d'en "faire" une, c'est le fait d'assumer la responsabilité de notre passé qui nous donne la possibilité de nous engager pour l'avenir. C'est également le fait de comprendre qui nous permettra de remettre en ordre les multiples appartenances qui constituent notre personnalité et éviter de tomber, une nouvelle fois, dans le piège des "identités meurtrières". "Une nation qui se refuse à affronter son passé est nécessairement condamnée à le revivre."

Le dialogue doit porter également sur le rôle que le Liban est appelé à jouer dans les changements en cours dans le monde arabe où une même revendication de liberté, de démocratie, de respect des droits de l'homme, de libération de la femme, commence à émerger. Il s'agit, pour les Libanais, de définir leur contribution aux efforts déployés pour sortir ce monde arabe de la stagnation dans laquelle l'a plongé un demi-siècle de tyrannie et de dictature. Les Libanais sont plus habilités que d'autres à jouer un rôle important à cause de leur expérience de la démocratie et à cause des moyens - écoles, universités, maisons d'édition, journaux, hôpitaux, banques  -  dont ils disposent pour aider à ce changement.

Le dialogue doit porter aussi sur le fait de savoir quoi faire pour pallier la déliquescence de l'Etat empêtré dans une succession de scandales sur fond de rivalités politiques entre les principaux responsables. Les dirigeants libanais sont aujourd'hui probablement les seuls dans la région à ne pas être concernés par les changements en cours. Ils se disputent sur les échéances à venir, estimant que rien n'est appelé à changer et que la Syrie dont leur avenir dépend parviendra à maintenir le statu quo actuel. Ils continuent, de ce fait, à s'opposer à tout dialogue entre les Libanais, estimant qu'une entente nationale ne peut que leur être préjudiciable, car elle remettrait en question la présence militaire syrienne au Liban, celle-ci ayant pour principale justification le fait de prévenir une reprise de la guerre civile, Chrétiens et Musulmans, n'ayant tiré, de l'avis de leurs dirigeants, aucune leçon de la guerre qui a ravagé leur pays.

Samir Frangié