Ma première expérience dans le domaine social
Rien ne me destinait à travailler dans le social.
Rien ne me destinait à travailler dans le social puisqu'à la base j'ai suivi une formation en économie. A une époque où la crise économique était importante, où il y avait beaucoup de chômage et peu de possibilités de travail, je me suis retrouvée à aider une assistante sociale qui travaillait dans un quartier populaire, quartier de déplacés, Fanar Zaaytrieh.
J'ai donc été parachutée dans le social et petit à petit j'ai commencé à me sentir impliquée, voire même passionnée par le travail. Il faut avouer que je me sentais gratifiée en aidant les autres, en diminuant leurs souffrances.
En fait, j'étais révoltée par la souffrance des autres que je prenais en pitié. Je n'arrivais pas à accepter, par exemple, la situation d'une femme âgée qui vivait seule avec les deux jambes amputées et qui n'avait pas les moyens de faire une prothèse. Elle habitait au 3ème étage et glissait par terre la nuit sous les obus pour arriver aux toilettes
Je portais cette souffrance avec moi à la maison et je n'arrivais pas à dormir la nuit.
De même, je n'arrivais pas à supporter la situation d'une femme veuve qui avait 5 enfants, qui était sans travail et sans ressources matérielles pour nourrir ses enfants et les scolariser et qui vivait dans une insécurité totale par rapport à l'avenir.
Que de fois j'intervenais aux moments des entretiens avec l'assistante sociale d'une façon négative, déviant ainsi le cheminement de son processus d'aide.
J'ai senti le besoin de me former.
Et c'est à ce moment-là que j'ai senti le besoin de me former pour apprendre à affronter ces situations difficiles et les gérer. Je me suis donc inscrite pour suivre une formation d'assistante sociale en cours d'emploi - ce qui signifie que je prenais des cours en même temps que je travaillais.
Grâce à cette formation, j'ai eu 2 apports importants, l'un au niveau personnel et l'autre au niveau professionnel.
J'ai appris à mieux penser, à mieux réfléchir et analyser les situations.
J'ai appris à voir les choses autrement. J'ai pu passer de la notion de charité, de bienfaisance, de pitié (un riche qui vient aider les pauvres), d'une relation hiérarchique, de haut en bas à la notion de droit de l'Homme, à une relation d'égal à égal entre les personnes.
Cette personne qui est devant moi est une personne unique, qui a sa dignité, sa valeur, ses droits (à vivre, au travail, aux soins.) et elle a en elle des capacités qu'elle pourra développer pour avancer et se prendre en charge elle-même. Par ailleurs, c'est une personne qui peut beaucoup m'apporter, cette personne que je suis appelée à aider.
J'ai compris que mon rôle consiste à aider cette personne à se prendre en charge pour qu'elle puisse elle-même résoudre ses problèmes. J'ai compris en d'autres termes que je ne dois pas donner le poisson à la personne, mais je dois lui apprendre à pêcher le poisson elle-même. Je dois m'efforcer de découvrir chez la personne son potentiel et l'aider à le développer plutôt que ne voir en elle qu'une maladie à soigner.
J'ai commencé à trouver un autre sens à la vie. J'ai découvert le plaisir de donner plutôt que de recevoir et la satisfaction qu'on éprouve quand on rencontre une personne souffrante et que l'on fait quelque chose avec elle et pour elle.
Petit à petit, ce qui faisait le centre de ma vie s'est déplacé: j'étais moins attirée par les soirées et les sorties et de plus en plus impliquée dans ce travail qui me passionnait et donnait un sens à ma vie. (cela ne veut pas dire que je n'avais plus envie de sortir ni de m'amuser).
Cette formation qui a nécessité un travail continu sur moi-même m'a aidée à mieux analyser la situation que vit une personne, à mieux identifier les problèmes multiples dont elle est victime en suivant des méthodes, des processus, des techniques et des démarches planifiées et projetées dans l'avenir.
Les problèmes dans le quartier où je travaillais étaient multiples :
Travailler en partenariat avec des professionnels
Ces nombreux problèmes nécessitaient des personnes formées et professionnelles pour pouvoir tenir le coup, voir clair, analyser la situation dans toutes ses dimensions et toute sa complexité, établir des priorités et dresser des plans d'action à court, à moyen et à long terme.
Des personnes qui savaient travailler en partenariat, en collaboration avec toutes les instances qui existent dans la région (le prêtre, le cheikh, les directeurs des écoles, les municipalités.) et avec toutes les structures sociales et étatiques.
A titre d'exemple :
C'est un travail énorme qu'une personne seule ne peut pas accomplir. Il faut être réaliste autant que possible. Il a fallu rassembler toute une équipe multidisciplinaire formée de personnes spécialisées telles que des assistants sociaux, des animateurs sociaux, des psychologues, des médecins, des avocats.
Impliquer les gens du quartier
Et surtout, il ne faut pas oublier d'impliquer les gens du quartier dans l'identification de leurs problèmes et l'élaboration des plans d'action. Il s'agit d'un travail de développement de l'Homme et de son quartier.
Il faut toujours garder présent à l'esprit que nous sommes là momentanément. Même si nous sommes touchés par l'autre, même si nous sentons avec l'autre, nous sommes à l'extérieur de son problème et nous venons l'aider à se prendre en charge, en sachant que nous nous retirerons un jour.
Passer de l'assistanat à l'action de développement
C'est vraiment cela le passage de l'assistanat au partenariat, de l'action qui se limite à offrir des services à l'action de développement qui veille à promouvoir le sens du bien commun et de la solidarité et qui éveille les individus et les groupes à leurs droits et responsabilités.
L'engagement social est un état d'esprit
Voilà, j'arrive à la fin de mon témoignage. Parachutée à l'âge de 24 ans dans le social, je vis cet engagement tant au niveau personnel que professionnel.
Je voudrais, avant de vous quitter, insister sur un point. Vous arriverez d'ici deux ou trois ans, à la fin de votre parcours scolaire. Vous ferez, pour la plupart, des études universitaires avant de vous lancer dans la vie active. Certains d'entre vous choisiront un métier dans le social ou lié au social, et d'autres pas. Hommes d'affaires, chercheurs, ingénieurs, politiciens. La liste est longue. Vous serez alors peut-être bien loin du social au niveau de votre engagement professionnel.
Souvenez-vous alors que l'engagement social n'est pas un bénévolat mais un état d'esprit. Il est bien sûr louable de consacrer quelques heures durant la semaine ou le mois à travailler bénévolement avec des personnes en marge de la société. Mais il est encore plus important de vivre votre engagement social au quotidien, dans tous les domaines de votre vie (professionnelle, familiale, relationnelle).
Dans tout ce que vous faites, soyez attentifs aux autres, attentifs à leurs problèmes et à leurs droits en tant que personnes. Efforcez-vous de voir en tout autre une personne qui a des ressources, un potentiel et soyez disponibles pour aider ceux qui en ont besoin à développer leur potentiel.
Votre récompense sera grande car c'est étant humain avec les autres que vous grandirez en humanité.
Nada Turk
Ocotbre 2003