Vendredi 4 avril 2003, en début d'après-midi : le pas et l'allure un peu nonchalante, les élèves de Terminale se dirigent vers la salle d'académie. Ils vont assister à une conférence-débat sur le thème : « Les étudiants dans la vie politique estudiantine au Liban » et dont le principal intervenant est le sociologue Docteur Antoine Messarra entouré d'étudiants de l'USJ et de l'AUB. C'est au Dr Messarra qu'il revient de faire un état des lieux de la vie politique estudiantine au Liban. Dans une intervention très intéressante, il se propose d'apporter des éléments de réponse à quatre questions : Qu'est-ce que l'engagement ? Y a-t-il des risques de recul de l'engagement ? Où en est l'engagement politique des étudiants au Liban par le canal des partis ? Les étudiants universitaires dans le Liban d'aujourd'hui : que faire ?
A propos de l'engagement, le Dr Messarra rappelle qu'un engagement signifie « lier, attacher par une obligation, faire participer à, commencer une action. » et que l'engagement implique, de la part de celui qui s'engage, un sentiment de responsabilité et de solidarité. Le Dr Messarra souligne alors combien l'engagement politique est paradoxal : « L'engagement politique est très difficile à vivre car la politique est, d'une part, rapport de force, lutte pour le pouvoir, conflit, mobilisation, . mais aussi gestion de la chose publique (res publica), du bien commun. » Et pourtant, chaque citoyen doit s'impliquer dans la politique car si « les gens ne se mêlent pas de politique, une politique dictatoriale s'occupera d'eux ».
« Y a-t-il des risques de recul de l'engagement ? », poursuit le Dr Messarra. La réponse est affirmative. Au plan mondial, ce recul est dû à quatre facteurs : « le recul des idéologies, une philosophie hédoniste de la vie, une dérive individualiste d'une idéologie déviante des droits de l'homme et une mondialisation qui provoque un sentiment d'impuissance chez les individus ». Ces facteurs sont tempérés au Liban par « l'existence d'une tradition démocratique pionnière dans l'histoire » mais aggravés par une tradition d'assistanat, le fameux « je n'y peux rien », ainsi que la lassitude de l'après-guerre.
Où en est l'engagement politique des étudiants au Liban par le canal des partis ? C'est probablement sur ce point que le Dr Messarra est le plus critique. Il souligne d'abord que les partis libanais sont en mutation, les « débats conflictuels dualistes qui prévalaient avant la guerre étant dépassés ». Par ailleurs, il reproche aux étudiants de « reproduire ce dont ils se plaignent » et leur « clientélisme vis-à-vis des élites existantes ».
Les étudiants universitaires dans le Liban d'aujourd'hui : que faire ? Antoine Messarra invite les étudiants à comprendre l'engagement politique au sens large de « res publica », c'est-à-dire au sens d'un intérêt général et partagé. Citant le philosophe Nietzsche «là où tu es, creuse profondément », il les invite à travailler au niveau micro, et à mener, à ce niveau des actions ponctuelles, comme par exemple le programme « Nous le pouvons ! » lancé par l'association Offre-Joie ou le programme de promotion de la société civile lancé par la Fondation libanaise pour la paix civile. Ces actions, en se multipliant, peuvent changer en profondeur le pays car le Liban est un petit pays.
Les étudiants invités ont ensuite pris la parole pour témoigner de leur engagement politique à la faculté. Un étudiant en psychologie de l'USJ a ainsi déclaré s'être engagé dans l'amicale des Sciences Humaines lorsqu'il était en 3ème année, « face à l'inertie générale, à la passivité ». Elu président de l'amicale en 4ème année et réélu l'année suivante, il déclare : « nous avons lancé de nombreux projets, des projets importants qui nous tenaient à cour comme par exemple un chantier social dans la région de Nabaa. Cette année, nous allons organiser un forum de réflexion sur le Liban. Pour moi, si quelqu'un n'agit pas, il n'a pas le droit de se plaindre. Je vous invite à vous engager et à croire en vous. Chaque personne peut faire la différence. » Un autre étudiant en droit de l'USJ a dit que « dès le Collège, je m'intéressais à la politique. Quand je suis arrivé à la faculté, avec un groupe d'amis, nous avons refusé de nous engager politiquement, pendant les deux premières. Nous avons essayé de réfléchir à la situation du Liban. Depuis 3 ans, seule l'action nous intéresse. »
Les élèves de Terminale ont posé un certain nombre de questions aux intervenants, en particulier sur la liberté d'engagement. En guise de réponse, Antoine Messarra a rappelé que, dans le monde, les jeunes sont la cible de tous les partis politiques. « Vous devez vous efforcer de ne pas vous laisser mener par le bout du nez mais au contraire d'avoir un engagement lucide, mûr. Le Liban manque de citoyens lucides et vigilants qui s'engagent pour l'avenir du Liban. » En guise de conclusion il donne un exemple de l'efficacité de l'engagement : « à partir du jour où les gens d'un quartier se mobilisent pour réclamer un changement de l'école officielle, personne ne pourra s'opposer à leur demande ».