Billet de la quinzaine

« Tais-toi… tu ne sais pas ce que tu dis »

 

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30 mars 2006

« Pourquoi le monsieur met-il son coude sur la table ? » c’est la voix fluette de Jacques - cinq ans - qui vient de lancer, à la table familiale, cette bombe sans gravité, mais si gênante pour papa et maman… Frères et sœurs tâchent de garder leur sérieux ; maman regarde papa avec consternation ; le désarroi est tel qu’au lieu de détourner promptement la conversation, papa s’écrie : « Tais-toi… tu ne sais pas ce que tu dis… ».

C’est bien souvent, n’est-il pas vrai, quelque propos candide de ce genre qui vaut à un enfant d’entendre pour le première fois cette affirmation péremptoire : « Tu ne sais pas ce que tu dis… ». Première expérience- anodine pour papa, qui n’a pas trouvé d’autre bouée de secours ; plus ou moins sensible pour l’enfant- de l’affrontement d’évidences contraires : « Elle n’était pourtant pas stupide ma question… ». Première expérience ; premier maillon de réactions en chaîne. Ce seront plus tard les discussions sur des vétilles : « On t’avait dit de faire ceci… » - « Je l’ai fait » - « Tu ne sais pas ce que tu dis » ; au soir d’une journée de travail plus difficile, ce sera le brusque point final mis par un père de famille excédé aux récits quelque peu rocambolesques du plus « crâneur » de ses enfants ; puis les heurts, plus ou moins légers, entre une mère et sa fille, autour d’une règle de grammaire dont la formulation n’est plus la même que « de notre temps » : « Allons, ma fille, ne discute pas et tais-toi ; je le sais mieux que toi… ». Enfin, surtout au moment de l’adolescence, les agacements brusques, irraisonnés, à l’encontre des enthousiasmes, puérils peut-être, pour un tel film, tel acteur, ce roman, cette danseuse, ce coureur cycliste, cet international de football : « Cet enfant est stupide… Allons tais-toi ; tu ne sais plus ce que tu dis… ».

Notre propos n’est pas ici de tenir rigueur aux éducateurs de leurs moindres mouvements d’humeur ; d’exiger d’eux tous - chimère - une constante et sereine disponibilité ; pas davantage de faire croire que l’enfant ne dit jamais de sottises, et d’affirmer qu’il ne faille jamais le reprendre ; ni de prétendre que nous ayons à renoncer à nos goûts pour adopter les siens ; en un mot, de nier que son jugement ait à être éveillé. Mais de réfléchir sur les conditions propices à cet éveil authentique.

Yousra Rahmé
Enseignante de Français



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