Billet de la quinzaine
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24 juillet 2006
Le départ, naissance à la vérité et à la liberté
« Nathanaël, à présent, jette mon livre. Emancipe-t-en. Quitte-moi. Quitte-moi » [André Gide, Les Nourritures terrestres (1897)]
Très chers élèves de Te
Peut-être diriez-vous en ce moment du départ : « Selon quel rituel implacable, l’école, notre bien-aimée école, nous expulse-t-elle hors de son enceinte familière et rassurante pour nous propulser dans le monde de tous les possibles et de tous les risques ? Est-ce parce que nous y avons « fait notre temps » qu’il nous faut maintenant, comme tous nos prédécesseurs, laisser la place aux suivants ? »
Je réponds : « n’est-ce pas plutôt un cri de douleur, déchirant mais inéluctable, celui de l’enfantement, qui expulse l’enfant du sein nourricier de sa mère vers la vie ? » Tout l’amour du monde ne saurait garder un enfant dans le ventre de sa mère ; tout l’amour que je vous porte ne saurait vous garder près de moi. C’est pourquoi, à l’instar de la venue de l’enfant au monde, votre départ est une naissance. Non pas naissance biologique mais intellectuelle et spirituelle, naissance à la vérité et à la liberté.
« Nathanaël, jette mon livre ; ne t’y satisfais point. Ne crois pas que ta vérité puisse être trouvée par quelqu’un d’autre […] Cherche la tienne. » (op.cit.)
Très chers élèves de Te,
Au moment où vous vous apprêtez à fermer définitivement le(s) livre(s) de l’école, forts de tous les savoirs, savoir-faire et savoir-être que vous y avez acquis, je ne puis que m’approprier la parole de Gide. M’approprier, justement, une parole qui lie inextricablement vérité et liberté, une parole qui refuse le mimétisme aveugle, se faisant ainsi l’écho d’un Platon qui appelle chacun à se libérer de la pénombre de la caverne pour contempler la lumière de la vérité et d’un Kant qui conjure le mineur intellectuel à s’affranchir de toute tutelle et à s’aventurer sur la voie de l’autonomie, à se hasarder à penser par lui-même.
Chers amis,
La Terminale est maintenant vide mais vous en êtes « pleins », pleins de chaque minute passée entre ses murs. Maintenant, la cloche a sonné pour la dernière fois. Maintenant, vous partez : du haut de ses fenêtres donnant sur la beauté enneigée du Mont Sannine, la Terminale vous ouvre sur le monde, elle vous libère. « Volez de vos propres ailes, vous crie-t-elle, volez du battement de vos propres ailes. Ne permettez à rien ni personne de vous couper les ailes ! »
Mona Hamouch
Enseignante de philosophie en terminale