Conférence du père Ducruet,s.j.,
ancien recteur de l'Université Saint Joseph (USJ)

«Statut du religieux dans un collège chrétien»
(version à imprimer)

 

            Le Père Recteur m'a demandé de réfléchir avec vous sur le caractère chrétien du Collège. Je lui ai souligné que j'étais totalement incompétent en ce domaine. Une réflexion sur la façon dont le Collège vit son christianisme ne peut être faite que par vous, élèves, parents, enseignants, responsables de l'institution ; quelle que soit son amitié pour vous, personne ne peut faire cette réflexion à votre place. De l'extérieur, je peux simplement vous proposer un cadre pour cette réflexion, un cadre que, faute de mieux, j'intitulerai « Statut du religieux dans un collège chrétien».

          Le religieux dans un tel collège prend place dans diverses activités qui peuvent donner lieu à réflexions. Je retiendrai : la transmission d'une culture avec sa dimension religieuse, la dispensation d'un enseignement sur les religions, la proposition de la foi chrétienne dans une catéchèse et l'animation des activités pastorales. Ce sont là des démarches différentes, même si elles ne peuvent pas toujours s'isoler complètement les unes des autres. Elles recouvrent d'ailleurs des champs différents : la transmission de la culture fait appel à la mémoire, la dispensation d'un enseignement est du domaine du savoir, la catéchèse fait appel à la foi [1] et la pastorale à l'agir de cette foi : « la foi qui n'agit pas, est-ce une foi sincère [2]  ! »

            Transmettre une culture avec sa dimension religieuse

            Transmettre à un jeune une culture avec sa dimension religieuse, c'est, dans un enseignement, ne pas passer sous silence mais au contraire expliciter l'impact d'une religion sur une culture, lorsque cet impact existe. Quel que soit le cours, littéraire, artistique, historique, philosophique ou scientifique, l'enseignant doit considérer comme partie intégrante de son programme le fait religieux, tel qu'il se donne à observer dans l'histoire, les actions et les ouvres des hommes et sans lequel cette histoire, ces actions ou ces ouvres ne seraient pas compréhensibles.

          Jean CARPENTIER, Inspecteur général de l'éducation nationale en France, raconte qu'on lui avait offert deux ouvrages parfaitement documentés dans un domaine largement religieux, l'art roman des XI° et XII° siècles ; mais tout en admirant le travail, une évidence s'imposa à lui : sur la religion, il n'avait rien appris. Il écrit : « pourquoi toutes ces églises ? pourquoi tant de sculptures, de peintures, de vitraux ? quelles raisons poussaient tant d'hommes à se consacrer à tant de travail ? On parlait autour de la religion et tout ce qu'on disait autour semblait bien supposer qu'au centre il y avait quelque chose d'important. Et ce quelque chose n'était pas dit [3] .»         

          Il y a encore vingt ou trente ans, dans de nombreux pays de civilisation chrétienne, le climat ambiant restait imprégné de culture religieuse avec ce que cela suppose de croyances héritées, de mentalités et de rites transmis. Aujourd'hui en ces pays, on constate une pénurie de culture religieuse, celle-ci n'ayant plus été transmise par la famille ou par l'école. Ce manque est tel qu'il constitue une rupture des chaînons de la mémoire nationale rendant incompréhensibles ou vidées de leur sens beaucoup d'ouvres et d'activités. C'est ainsi qu'en France, en février 2002, M. Régis DEBRAY a remis au Ministre français de l'Education Nationale, à sa demande, un rapport sur la nécessité de l'enseignement du fait religieux dans l'Ecole laïque, rapport qui relève d'ailleurs que « l'inculture religieuse affecte autant les établissements privés à profil confessionnel que l'école publique [4] . »

Northrop FRYE, l'auteur d'un livre sur la Bible et la littérature, confiait : « Je me suis vite aperçu que ceux qui étudient la littérature anglaise sans connaître la Bible ne saisissent pas une grande partie de ce qui se produit dans ce qu'ils lisent : même s'ils sont très consciencieux, ils vont sans arrêt interpréter de travers les implications et même les significations de ce qu'ils étudient. C'est pourquoi je me suis proposé de faire un cours sur la Bible qui serait un guide pour l'étude de la littérature anglaise. [5] . » S'il en est ainsi de la littérature anglaise, que dire de la littérature française ! La Bible a irrigué la création littéraire de François VILLON, de RIMBAUD et de BAUDELAIRE, de RACINE et de CORNEILLE, de BALZAC et de Victor HUGO, de SARTRE, de GIDE et de MAURIAC, de PEGUY, de CLAUDEL, de Julien GREEN et de MALRAUX. Si la Bible a ainsi marqué la littérature française, c'est qu'elle lui a fourni quelques-uns uns de ses thèmes les plus profondément humains . Quel dommage que les jeunes n'aient pas plus souvent directement accès aux sources bibliques de la culture.

Deux voies peuvent expliciter la dimension religieuse de la culture dans l'enseignement des diverses disciplines. La première voie est de dégager cette dimension religieuse d'une ouvre littéraire (par exemple, la part du Jansénisme dans les tragédies de Racine) [6] , philosophique (le protestantisme de Kant), historique (les grandes fractures entre les peuples sont très souvent religieuses), artistique (l'art baroque et la contre-réforme). La seconde voie est de percevoir une dimension d'absolu dans des ouvres qui ne sont pas immédiatement religieuses.

Les artistes font partie des passeurs vers l'invisible, y compris en art moderne à première vue si éloigné de l'art sacré des icônes. Alors que MATISSE peignait pour la chapelle de Vence des saints aux visages ovales, vides et nimbés d'or, on lui demanda : « N'y aura-t-il aucun visage ? » - Il répondit « Absence ? Présence ? Je dis là mon respect et mon ouverture. Si Dieu existe.. si le modèle existe. qu'il s'y mette ! » Françoise BURTZ, peintre elle-même, qui fréquenta MATISSE et CHAGALL, regrettait, quant à elle, que l'art abstrait s'exerce sur une sagesse qui a perdu son corps. Elle confiait : « Je suis allé à Bethléem. A genoux devant le mystère de l'Incarnation, j'ai compris que je ne pouvais dire l'âme sans le corps. L'illimité divin se dit dans le limité ! » Dans la peinture moderne, il faut savoir discerner le creuset de l'attente ou même déjà l'expérience de la lumière qui « luit dans les ténèbres [7]

Interrogé sur la danse, Maurice BÉJART déclarait : « La danse, à l'origine, est un art sacré. Elle est une liturgie dans la mesure où elle dit quelque chose de l'homme et de sa relation à Dieu (.). L'art ne sert à rien s'il se résume à n'être qu'une voie d'évasion, de distraction (.). Une danse qui ne contiendrait pas une infime parcelle de dimension divine et sacrée ne serait plus une danse, que l'on ait ou non conscience de cette dimension sacrée qui, souvent, s'exprime à notre insu [8] . »

Pour clore cette réflexion consacrée à la dimension religieuse de la culture, je voudrais évoquer le problème du langage. Nous pratiquons de plus en plus un discours uniquement positif, pour ne pas dire conceptuel et les nouveaux moyens de communication accentueront cette tendance. Il ne faut cependant pas laisser s'assécher le langage chez les jeunes, sans quoi il ne sera plus apte à transmettre que le pur rationnel. Le savoir intellectuel sur les choses n'épuise pas la connaissance et la compréhension de la vie mais la restreint. L'intimité personnelle se communique généralement par symboles. Sans sa fonction symbolique le langage est malhabile à exprimer l'humain et à célébrer la plénitude du message chrétien. Le symbole est pour la Bible la chair même de son langage et il occupe une place de choix dans le langage du Christ : « Je suis la lumière du monde ! », « Je suis venu apporter le feu sur la terre ! », « Je suis le pain de vie ! » Les sacrements de l'Église ont également adopté cette fonction symbolique. Sauvegarder la fonction symbolique du langage chez les jeunes, c'est sauvegarder l'humanisme, permettre l'accès à un enseignement sur les religions et faciliter la catéchèse [9] .

Je mentionnerai enfin la manière d'enseigner les sciences. La didactique des sciences, comme celle de toute discipline, transmet une certaine vision du monde [10] . Il faut que dans cette vision du monde l'homme ne soit pas marginalisé : l'homme à l'origine du savoir avec sa passion de connaître, l'homme dans son rapport au savoir qu'il construit et qui le construit, l'homme au service duquel doit demeurer le savoir. Ce n'est qu'amputé de son histoire humaine et de sa philosophie que l'enseignement des sciences risque de dessécher. Il importe non seulement de transmettre une culture avec sa dimension religieuse mais de sauvegarder aujourd'hui la dimension humaine de la culture sans laquelle la religion a peine à se frayer un chemin.

Dispenser un enseignement sur les religions

            La nécessité de transmettre une culture avec sa dimension religieuse, ne serait-ce que pour sauvegarder un patrimoine et sa compréhension, est aujourd'hui largement admis. Le risque est cependant grand en n'abordant le religieux qu'à propos du culturel de ne parler qu'autour de la religion. C'est pourquoi tout en veillant à ne pas marginaliser le religieux à l'intérieur de l'enseignement des divers disciplines qui transmettent la culture humaine, on ne saurait négliger un enseignement spécifique sur les religions.

          Proposer un enseignement sur les religions suppose une réponse à quelques questions sur la nécessité de connaître les religions, et pas seulement la sienne, sur la définition des religions et de ce qu'on attend de leur connaissance, sur la manière enfin d'aborder cet enseignement.

          Pourquoi est-il nécessaire de connaître les religions ? - Parce que les religions existent, qu'elles imprègnent la vie de milliards d'hommes et que leur connaissance est nécessaire pour comprendre des sociétés qui aujourd'hui sont de plus en plus pluriculturelles. - Parce que nous vivons chaque jour avec des personnes qui trouvent dans une religion, qui peut ne pas être la nôtre, des réponses aux problèmes de leur existence et qu'il est difficile d'entretenir des relations profondes avec ces personnes en ne sachant rien sur leurs religions. - Enfin, parce que le savoir permet à chacun d'assumer sa liberté et ses responsabilités, alors que l'ignorance nourrit l'intolérance et le fanatisme.

          Une religion est une référence vitale à une transcendance ; elle suppose l'acceptation d'une transcendance que nous appelons Dieu et un impact de cette acceptation sur notre vie humaine. Un enseignement sur une religion doit donc expliciter la réponse de cette religion à la double interrogation : « Qui est Dieu pour l'homme ? » et « qui est l'homme pour Dieu ? ». Si nous nous limitons aux trois religions qui nous sont proches : - Que dit le croyant juif, chrétien ou musulman de Dieu et quelle relation entretient-il avec lui ? - Quelle lumière ce croyant déclare-t-il recevoir de Dieu en réponse à ses questions sur le sens de la vie, de la souffrance, de la mort, sur la liberté, sur le vivre ensemble des hommes en société.

          Il y a bien des manières d'aborder un enseignement sur les religions qui répondent aux préoccupations ainsi rappelées et rendent compte de leurs points communs et de leurs divergences. L'histoire de ces religions, la signification des fêtes célébrées, la place donnée aux Livres saints sont les approches les plus habituelles de cet enseignement. Je retiendrai la référence aux Livres saints.

          Le judaïsme, l'islam et le christianisme ont en commun l'affirmation d'un Dieu unique pensé comme créateur, plein d'attention pour l'homme et lui offrant les moyens d'un salut éternel. Dans ce cadre théologique monothéiste prennent place des Livres saints dont le rôle dans les trois religions n'est pas identique sous de nombreux rapports mais notamment sous celui de la figure révélée de Dieu, le seul que j'évoquerai très sommairement ici [11] .

          Dans le judaïsme, la Bible se présente comme un ensemble de récits où Dieu intervient dans l'histoire de l'homme en vertu d'une Alliance. Dans cette Alliance dont il est le promoteur, Dieu conserve sa transcendance mais se dévoile néanmoins en ses actes à l'égard de son peuple dont il est le libérateur. Quant à la conduite que celui-ci doit tenir, individuellement et collectivement, elle est la condition et l'expression de cette Alliance entre Dieu et son peuple, Alliance dans un temps ouvert à l'espérance messianique.

          Dans le prolongement du judaïsme et de ses Écritures dont il reconnaît la valeur permanente [12] , le christianisme reprend la donnée de la manifestation de Dieu dans l'histoire mais en affirmant la plénitude de cette manifestation en Jésus-Christ, Messie et Fils de Dieu fait chair. Les Livres saints ouvrent à l'écoute de la Parole manifestée en Jésus-Christ. Le thème de l'Alliance est maintenu ; mais celle-ci est qualifiée de « nouvelle » car fondée sur la mort et la résurrection du Christ. En cette mort et cette résurrection, l'homme est pardonné et il est désormais appelé à partager la vie même de Dieu à la suite du Christ, Fils de toute éternité et premier homme entré dans la gloire du Père. Une telle proximité de Dieu avec l'homme, dans le respect de la transcendance de Dieu, ne peut prendre sens que dans une transformation de l'homme ; celle-ci est l'ouvre de l'Esprit Saint.

          Dans sa lutte contre le polythéisme, l'idolâtrie, l'associationnisme reproché aux Chrétiens, l'islam est profession de foi à la transcendance absolue et à l'unicité de Dieu ; il s'y ajoute la reconnaissance de la mission prophétique de Mohammad venu restaurer la religion telle qu'Abraham la connut dans sa pureté originelle avant les falsifications et altérations que les hommes lui ont fait subir. Le Coran est le Livre qui contient le message que Mohammad a reçu de Dieu pour le transmettre aux Arabes et par eux à tous les hommes. Dieu ne se révèle pas, à proprement parler dans le Coran ; Dieu est hors d'atteinte ; dans le Coran, Dieu révèle sa volonté aux hommes quant à la conduite qu'ils doivent tenir. L'islam reste fidèle à la notion d'Alliance, celle du créateur envers sa créature, sur fond d'adoration et de respect de la volonté divine.

          Voilà en quelques lignes un exemple d'une manière de présenter les trois religions ; le développement en est aisé et la documentation abondante. Dans ces religions, Dieu apparaît comme quelqu'un qui parle à l'homme, ce qui entraîne pour celui-ci une certaine structure de vie personnelle et sociale qui trouve en Dieu sa référence. C'est sans doute là l'essentiel de ce qu'il est souhaitable qu'un jeune retienne de cet enseignement succint.

À qui confier un tel enseignement sur les religions ? L'objectivité demandée à un enseignant lorsqu'il s'agit de religion n'est pas différente de celle qu'on attend de lui lorsqu'il s'agit d'histoire ou de philosophie ; toute présentation est toujours une interprétation ; il suffit que cette interprétation soit honnête. Un croyant de la religion que présente un enseignant dont ce n'est pas la religion doit pouvoir se reconnaître dans cette présentation et lorsqu'un enseignant s'exprime sur sa propre religion, quelqu'un qui ne partage pas sa foi doit pouvoir reconnaître que la présentation est honnête. Que quelqu'un chargé d'enseignement sur les religions s'en décharge sur des témoins de chaque religion n'a rien d'évident ; mais il peut faire occasionnellement intervenir l'un ou l'autre en différé.


Mettre en ouvre une catéchèse

            La catéchèse n'est pas un simple enseignement d'information sur une religion ; elle est une activité de l'Église au service de l'éveil et de l'approfondissement de la foi chrétienne. Adressée à un jeune ou à un adulte, elle est pour lui une interpellation personnelle et une expérience spirituelle. Sa mise en ouvre exige normalement certaines conditions et une pédagogie propre.

          La catéchèse est une interpellation personnelle. René Marlé, à la fin d'un livre sur la singularité chrétienne, rapporte qu'un prêtre, après avoir résumé la doctrine chrétienne à partir du texte du « Je crois en Dieu » demanda à son interlocuteur si cette doctrine lui paraissait claire. Celui-ci répondit qu'un seul mot ne lui avait pas été expliqué et qu'il n'en voyait pas le sens : Le mot « Je » du « Je crois » et il ajoutait : « Qu'est-ce que ce Je vient faire dans un ensemble de vérités qui se tiennent indépendamment de moi  [13] ? » La question était pertinente. Le symbole des apôtres, utilisé dès les premières générations chrétiennes dans la liturgie du baptême, n'est pas une liste de propositions de vérités à considérer indépendamment du lieu où elle prend place, lieu qui est justement celui d'un acte de foi : « Je crois ». Au cours de la veillée pascale dans la liturgie latine, l'énoncé de chacune des affirmations du « Je crois en Dieu » est ponctué par le « nous croyons » des fidèles. Ce serait si facile de réciter les vérités du Credo en oubliant de dire « je crois », ce « je » qui m'engage et qui permet à Dieu de dire, à son tour, « je » en moi.

La catéchèse, transmission et accueil de la foi, est une expérience spirituelle. Elle l'est dans sa transmission ; saint Paul le rappelait aux Corinthiens : « Ma parole parmi vous n'avait rien des discours persuasifs de l'éloquence humaine ; elle était une démonstration faite par la puissance de l'Esprit » (1 Cor. 2,4). Elle l'est dans son accueil ; l'Esprit Saint ouvre l'intelligence aux réalités de la foi comme l'avait annoncé Jésus : « L'Esprit de vérité vous conduira vers la vérité toute entière ! » (Jn. 16,13). L'Esprit régénère : « À moins de renaître d'eau et d'Esprit, nul ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jn.3,3) avait dit Jésus, reprenant la prophétie d'Ezéchiel : « Je mettrai en vous mon Esprit et vous vivrez ! » (Ez. 37,6). Enfin, disait saint Paul aux Romains, l'Esprit est celui qui conduit : « Ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l'Esprit de Dieu ! » (Rm.8,14). Être mené par l'Esprit de Jésus, c'est reproduire ses actes, se comporter comme lui. La catéchèse est une initiation à la vie chrétienne, au comportement évangélique [14] .


          Si la catéchèse est une expérience spirituelle, une expérience de Dieu, elle exige certaines conditions que n'exige pas un enseignement d'information. Faut-il rappeler la parabole de la semence, parole de Dieu qui tombe sur une terre où elle a difficulté à porter des fruits (Mt. 13,3-9). Les catéchèses jadis se vivaient dans un cadre liturgique et une atmosphère de prière. Elles faisaient leur une pédagogie qui est celle de toute écoute de la parole de Dieu et dont la démarche se résumait en trois mots : « lecture, méditation, prière

          Pourquoi lecture (ou audition)? - Parce qu'il n'y a pas de catéchèse sans transmission des documents de la foi, qu'il s'agisse du Notre Père, du Symbole des apôtres, du Nouveau et de l'Ancien Testament, de textes liturgiques ou de données de l'histoire chrétienne. Les Actes des Apôtres nous racontent la séance de catéchèse de l'apôtre Philippe rejoignant sur son char le fonctionnaire éthiopien qui lisait le prophète Isaïe : « Est-ce que tu comprends vraiment ce que tu lis ? » demande Philippe. - « Comment le pourrais-je, répond l'Ethiopien, si je n'ai pas de guide ? ». Partant du texte d'Isaïe, Philippe lui annonça la bonne nouvelle de Jésus et l'Ethiopien demanda le baptême. (Act. 8.26-40). Privé de documents scripturaires, la foi serait livrée à l'arbitraire des hommes. Avant les démarches personnelles du catéchiste et du catéchisé, il y a l'élément d'information fidèlement transmis [15] .

          Il n'y a pas d'éveil et d'approfondissement de la foi chrétienne chez un jeune ou un adulte sans éveil et exercice de sa liberté. « Si tu veux. », c'est en ces termes que Jésus s'adresse au jeune homme riche (Mt.19,21). La lecture ou l'audition des documents de la foi se prolonge donc normalement en une méditation personnelle d'appropriation permettant le libre assentiment du « je crois ». Cette appropriation personnelle est d'ailleurs suggérée par la pluralité des documents de la foi transmis en catéchèse. Même les évangiles sont multiples, ouvres de témoins ayant leurs préférences et leur propre éclairage. A elle seule déjà, cette mise en présence de documents divers ouvre un espace de liberté à remplir par le lecteur à la lumière de l'Esprit Saint. Mais qui dit « documents de la foi » affirme que ces documents jouissent d'un statut particulier à l'intérieur d'une communauté qui leur confère légitimité. Le « nous croyons » de la communauté ecclésiale précède le « Je crois » du nouveau croyant. Un document de la foi ne peut être éventuellement accueilli comme un document de foi que suite à une compréhension et une acceptation du rôle de l'Église.

          La démarche de la foi s'achève tout naturellement en prière. La foi n'est pas un discours intellectuel sur Dieu ; elle est rencontre, communion avec lui. Dans et par la prière se vit, s'exprime, se célèbre le « Je crois » et le « nous croyons », prière privée et prière publique. La catéchèse de la prière est une partie essentielle de la catéchèse. Les Apôtres ne l'ignoraient pas qui demandent à Jésus de leur apprendre à prier comme Jean-Baptiste l'avait fait pour ses disciples (Lc 11,1). La foi s'exprime et se célèbre. Il appartient à la catéchèse d'initier à la prière et aux célébrations liturgiques [16] .

          La pédagogie de la catéchèse lui est propre parce qu'elle induit une certaine manière de concevoir le rapport à Dieu, le mode de cheminement de sa parole et de sa grâce. Cette pédagogie se développe notamment en un parcours catéchétique différent selon les temps et les pays. Dans ces parcours catéchétiques actuels quel Dieu propose-t-on aux Jeunes [17]  ?

          Dans ces parcours, Dieu est quelqu'un qui appelle, qui convoque, qui rassemble. La catéchèse ne se présente pas d'abord comme un corps de doctrine; elle est d'abord un appel, une invitation, comme il en a été pour les apôtres dans l'Évangile. De plus, la parole de Dieu est mise dans la bouche des hommes : « Viens avec nous. Il t'appelle. Nous l'avons rencontré. Il nous fait vivre ! ». On ne part pas d'une vérité abstraite mais d'une communauté qui vit déjà de cette vérité. Cela ne relativise pas la révélation ; mais la situe. L'importance est ainsi reconnue à ce qu'on appelle « le lieu catéchétique ». C'est dans la communauté des croyants investis du Saint-Esprit que retentit la Bonne Nouvelle de Jésus, non pas exclusivement pour elle, mais toujours par elle, à travers elle. Il s'agit de favoriser une expérience de vie en Église, c'est-à-dire dans la famille des chrétiens.

          Les parcours catéchétiques sont bien sûr christocentriques. Ce qui spécifie la démarche de la foi du chrétien, c'est le fait que ce qu'il connaît de Dieu, il le connaît en Jésus-Christ. Jésus est un homme qui étonne, qui dérange, qui suscite la question : « qui est-il ? » - Il est le Fils dont la présence au milieu de nous manifeste l'amour du Père pour nous. On fait entrer les jeunes dans le Credo par le second article du Credo, la foi au Fils, comme d'ailleurs il en a été pour les apôtres. Le premier lieu de révélation du Père est, comme aussi pour les apôtres, la prière de Jésus. Jésus prie son Père et nous donne les mots de sa prière, le Notre Père. Notre prière atteste d'elle-même notre foi ; les vrais mots de la foi sont les mots de la prière. La passion du Christ est présentée comme le geste de Jésus qui s'en remet au Père et consacre toute sa vie à son Père et à ses frères. La résurrection est la réponse du Père et les paroles du Père lors du baptême et de la transfiguration sont alors reprises : le Père ressuscite le Fils en son humanité : « Premier des hommes à entrer dans la gloire du Père, il est de toute éternité le Fils bien-aimé ». C'est à sa suite que, fils adoptifs, nous serons invités à retourner à la maison du Père.

          Le rapport aux documents de la foi ne consiste pas seulement à s'approprier des sources mais à construire sa propre histoire croyante dans le sillage des premiers témoins. De même la référence au Christ ressuscité n'a vraiment valeur que parce qu'il est à l'ouvre aujourd'hui comme hier, vivant et agissant en moi et dans le monde. André SÈVE a écrit un petit ouvrage « Si nous parlions de Dieu ? » où il interroge quelques personnes ayant une certaine notoriété sur leurs relations avec Dieu. J'ai d'abord été frappé par le témoignage d'une romancière Janine BOISSARD : « J'ai été tellement imprégnée de Dieu dans ma jeunesse que je n'arrive pas à m'en défaire, à rejeter le Dieu qu'on m'a enseigné. Dès que j'ai pu réfléchir par moi-même à ces choses, je me suis dit : ce Dieu à l'affût de mes fautes, je ne peux accepter çà !. Je reprendrai tout cela à zéro plus tard en toute liberté. Mais j'ai été tellement prise que j'ai laissé de côté le problème religieux. (.) Il me semble qu'il faudrait veiller à deux choses : quel visage de Dieu on montre aux jeunes et quelle possibilité leur sera donnée à l'âge adulte de reprendre ces notions de départ.» Je compléterai ce témoignage par celui du Père Joseph THOMAS dans le même recueil : « Qui est Dieu pour vous ? » - « D'abord le Dieu qu'on m'a dit ! Une énorme tradition qui est morte si je n'en fais pas quelque chose de vivant par ma propre expérience de Dieu ! C'est cet aller-retour permanent entre le Dieu transmis et le Dieu actuellement rencontré qui me permet de voir un peu qui est Dieu pour moi [18] . »

          Comment mieux terminer ces réflexions sur la catéchèse qu'en rappelant l'histoire du petit Samuel que nous raconte la Bible. Le petit Samuel servait dans le Temple sous la direction du prophète Élie. Cette nuit là, le Seigneur appela Samuel. Mais Samuel ne connaissait pas encore la voix du Seigneur. Il se rendit auprès d'Élie et lui dit : « Me voici, puisque tu m'as appelé ! » Celui-ci répondit : « Je ne t'ai pas appelé. Retourne te coucher ! » Par trois fois la scène se reproduisit. Élie comprit alors que le Seigneur appelait l'enfant. Il dit à Samuel : « Si tu entends encore la Parole, tu diras : Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ! » Ainsi fut fait et désormais Dieu conversa avec Samuel (1 Sam.3). Pourquoi évoquer cette histoire ? - Parce qu'elle souligne bien que la catéchèse pour Samuel fut un éveil à une expérience spirituelle personnelle ; Élie a connu cette expérience avant lui et, en bon catéchète, initia Samuel à l'accueil de la parole de Dieu.


Animer une pastorale

          La catéchèse est un moment privilégié de l'éducation de la foi mais ne saurait en être le seul moment. L'initiation à la foi chrétienne comporte aussi un apprentissage au comportement chrétien, au comportement évangélique. La pastorale dans la diversité de ses activités trouve sa référence dans l'humanité du Christ, son comportement parmi les hommes : « il est passé en faisant le bien » nous dit de lui saint Pierre dans les Actes des Apôtres (Act. 10,38).

          Mettre en route des jeunes, éveiller leurs aspirations à une vie personnelle et sociale en cohérence avec l'Évangile, provoquer la prise de conscience de leurs responsabilités dans des situations concrètes, leur donner envie de vivre ensemble en fils de Dieu et frères des hommes dans une communauté chrétienne généreuse, tel est l'objectif des activités pastorales. Si le qualificatif de « pastorales » a été retenu pour ces activités, c'est parce qu'elles exigent un accompagnement, donc un accompagnateur ; c'est surtout parce que « pastoral » évoque le Christ lui-même qui, dans l'évangile de saint Jean se présente comme le Pasteur qui connaît ses brebis et les conduit par les bons sentiers (Jn 10,1 et Ps. 23).

          Parmi les activités pastorales qui peuvent donner à des jeunes le désir de vivre ensemble en fils de Dieu, il faut évidemment citer les célébrations liturgiques, les pèlerinages, les retraites communes qui permettent de rencontrer Dieu et de le célébrer ensemble dans la joie d'accueillir et de vivre « la bonne nouvelle ». Mais on ne saurait limiter la pastorale à ces lieux privilégiés de prière commune. La pastorale dans un collège trouve sa place dans les mouvements de jeunes et comité d'action sociale et plus largement dans tous les lieux où s'exprime une vie en commun et où un jeune doit faire l'apprentissage d'un comportement chrétien qui devra demeurer le sien à l'âge adulte. La vie quotidienne d'un collège ne manque pas de ces lieux d'apprentissage ; car un collège n'est pas simplement un lieu où des jeunes suivent des cours mais un lieu où ils vivent.

La pastorale, apprentissage du comportement chrétien, est donc moins une activité parmi d'autres, qu'une motivation animant des activités diverses et, plus simplement encore, animant la vie quotidienne d'un collège chrétien. Pourquoi, est-elle nécessaire ? - Parce que, comme nous en avons tous l'expérience, le comportement chrétien ne nous est ni naturel, ni spontané ; il demande efforts, suivi, évaluation, occasions de s'affirmer. S'il y a place dans un collège pour des responsables de pastorale, leur rôle me semble-t-il, est celui d'une présence éveillée, d'une écoute de besoins pas toujours exprimés ; il est de susciter et coordonner des demandes, d'aider à leur réalisation et à leur évaluation.

*        *       *

          Au cours de ces quelques réflexions sur la transmission d'une culture avec sa dimension religieuse, sur la dispensation d'un enseignement sur les religions, sur la proposition de la foi chrétienne dans une catéchèse et une pastorale, nous avons relevé qu'une catéchèse s'enracine dans la profession de foi d'une communauté chrétienne, « qu'elle a nécessairement, à son point de départ, une cellule d'Église qui proclame que Jésus, le Fils de Dieu, le Christ est vivant et qu'il est le Sauveur [19] . » Un collège chrétien est l'une de ces cellules ; faut-il rappeler en terminant qu'il n'est ni la seule, ni même la principale. Le Concile Vatican II évoquait l'Église du foyer : « Il faut, disait-il, que par la parole et l'exemple, dans cette sorte d'Église qui est le foyer, les parents soient pour leurs enfants les premiers hérauts de la foi [20] . » La famille est le premier « lieu catéchétique » où l'Évangile est transmis, accueilli et d'où il rayonne. Elle est aussi le premier lieu d'apprentissage de la vie sociale vécue chrétiennement ; comme l'écrit Jean-Paul II : « elle est le milieu où l'homme reçoit les premières notions déterminantes concernant la vérité et le bien, dans lequel il apprend ce que signifie aimer et être aimé, et par conséquent, ce que veut dire être une personne [21] . »

Jean Ducruet, s.j.



[1] Isabelle PARMENTIER, La culture religieuse, ISPEC, Angers 1993 p.33.
[2] MOLIÈRE dans Tartuffe.
[3] François BOESPFLUG et Evelyne MARTINI, S'initier aux religions, Cerf 1999, préface de Jean CARPENTIER.
[4] Régis DEBRAY, L'enseignement du fait religieux dans l'école laïque, Rapport au Ministre de l'Education Nationale. Odile Jacob 2002.
[5] Northrop FRYE, Le Grand code, la Bible et la littérature, le Seuil 1984, p.24.
[6] Lucien GOLDMANN, Le Dieu caché. Etude sur la vision tragique dans les Pensées de Pascal et dans le théâtre de Racine. Gallimard 1959.
[7] « L'art, chemin spirituel », in Croire aujourd'hui n°137, août 2002.
[8] « À la rencontre de Maurice BÉJART » in Panorama, nov. 2002, p.29.
[9] Pierre EMMANEL, Pour une politique de la culture, Le Seuil 1971.
[10] Gérard FOUREZ, Pour une éthique de l'enseignement des sciences, Chr. Soc. 1985 et P. MATHY, Donner du sens au cours de sciences. De Beck Université, 1997.
[11] Bernard MICHOLLET, « Le statut du Livre dans les monothéismes » in Lumière et Vie, juillet-septembre 2002 p. 107-122.
[12] Commission Biblique Pontificale, Le peuple juif et ses saintes écritures dans la bible chrétienne, Cerf 2001.
[13] René MARLÉ, La singularité chrétienne. Gasterman 1970 p.167.
[14] Claude FLIPO, « La catéchèse comme expérience spirituelle » in Catéchèse n°159, 2/2000.
[15] René MARLÉ, « Pédagogie du Document et Objet de la foi » in Catéchèse n°85, octobre 1981.
[16] « Un temps nouveau pour l'Évangile dans l'enseignement catholique », Enseignement Catholique Actualité, février 2002.
[17] Jean-Noël BEZANCON, « Dieu dans les parcours catéchétiques » in Catéchèse n°165, 4/2001.
[18] André SÈVE, Si nous parlions de Dieu ? Le Centurion 1985 p.42 et p.99.
[19] Catéchèse n°79, mai 1980, « Texte de référence » n°2111.
[20] Concile Oecuménique Vatican II, Lumen Gentium n°11.
[21] Jean-Paul II, Lettre encyclique Centesimus annus, n°39

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