Allocution à l'Iftar de Jamhour
27.11.2002

Que la Paix du Seigneur soit avec vous.

Comment mieux débuter mon propos qu'en vous adressant un salut de paix plusieurs fois répété

au cours de la messe et qui constitue la traduction la plus fidèle de SALAM ALEIKOUM salut officiel de l'Islam, religion de paix également.

RP Provincial, RP Recteur du collège, RP Supérieur de la Communauté, Révérends Pères, chers camarades, chers amis. Permettez-moi tout d'abord de saluer, en votre nom, Monsieur le Ministre Pierre Helou et lui dire combien nous sommes honorés ce soir de placer notre « iftar » annuel sous son patronage.

Monsieur le Ministre,

Vous êtes le seul au Liban qui aurait pu prétendre bénéficier à la fois du titre de Président du Conseil, de Président de la République, de ministre et de député. Mais vous avez, de plein gré, renoncé aux plus hautes fonctions de l'Etat, chose trop rare chez nous pour ne pas être signalée. C'est que, aux heures sombres que traversa le Liban, instantanément le nom de Pierre Hélou fut avancé pour former un gouvernement de salut public. Que l'on soit à la recherche d'un candidat à la présidence de la République qui puisse assurer l'unanimité des citoyens, c'est ierre Hélou qui vient naturellement à l'esprit. Soyez, cher camarade, le bienvenu ce soir parmi nous.

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Chers Amis,

Il y a un an, les Pères Jésuites, toujours à l'avant-garde quand il s'agit de convivialité islamo-chrétienne, ont repris la tradition des « iftars » inaugurée il y a plus de quarante ans par le très grand Père Bonnet-­Eymard. Il y a un an, la voix du muezzin a retenti, ce soir-là, pour la première fois, dans tous les coins et recoins de ce couvent, annonçant la fin du jeûne de la journée. Mais savez vous, chers camarades, que ce jour-là, nos hôtes, les Pères de la communauté, avaient jeûné en solidarité avec nous ? Ils l'ont fait avec discrétion, c'est-à-dire avec humilité, trait caractéristique de leur vocation. Je voudrais ce soir passer avec vous en revue certains événements qui ont eu lieu depuis notre dernière rencontre. Après cette belle initiative de la part des Pères Jésuites, le Pape Jean-Paul Il, lui-même, demanda aux catholiques du monde de jeûner le dernier jour du Ramadan, annonçant que lui-même, le Vicaire du Christ, en communion avec ses frères dans la foi du Dieu unique et malgré son âge, allait jeûner ce jour-là. Cette "audace interreligieuse", comme l'appelle le Figaro, n'eut cependant pas droit, à travers le monde, dans la presse, et les paroisses, les diocèses et les mosquées, à la place qu'elle méritait. Peut-être parce que l'effet de surprise qu'elle a créé laissa le monde pantois. Chez nous, seules deux personnalités ont saisi rapidement l'ampleur de cette initiative : l'éminent Cheikh Mohamad Hussein Fadlallah et Madame Bahia Hariri qui saluèrent cette initiative comme il se doit. Mais les homélies, mais les prêches, elles passèrent malheureusement cet événement majeur sous silence.

Là, laissez-moi, je vous prie, ouvrir une parenthèse et lancer un cri de colère que beaucoup d'entre nous retiennent depuis longtemps dans leur tréfonds. Je suis profondément choqué que dans le pays de la convivialité islamo chrétienne, cette initiative ait été ignorée dans la presse, dans nos églises et nos mosquées. Souffrez que je m'insurge contre cette habitude devenue tradition qui fait que, dans les maisons de Dieu, chez nous, la politique politicienne prenne désormais le pas sur la mission essentielle de l'homme de religion qui, de par sa vocation, (sa vocation et non pas sa fonction) est censé me réconcilier avec Dieu, me montrer son chemin et m'aider à rester en contact avec lui.

L'homme de religion, de toute religion, notre éducation nous l'a appris, a pour mission de prêcher le pardon, d'inciter à l'amour de son prochain et â la convivialité entre les religions, les ethnies, les nations. Il ne lui est pas demandé de se perdre dans les dédales de cette politique politicienne en risquant d'attiser, sans le vouloir, certes, les haines inter politiques puisqu'il joue sur une corde sensible dans un lieu saint ne permettant pas la contradiction. D'ailleurs qui lui a donné mission de me parler politique le jour où je me réfugie dans la maison de Dieu cherchant réconfort et piété. Il n'est ni élu du peuple ni investi, de par la constitution ou la loi, d'une mission politique. Je place, cependant momentanément, hors de non propos, les chefs des communautés religieuses, pour des considérations qui ne vous sont pas inconnues.

Fermons cette parenthèse.

Mesurez-vous, chers amis, l'ampleur de cette initiative papale ? Qui d'autres que les libanais peuvent cerner le sens profond de ce geste vue la très forte communion qui existe entre la personne de Jean-Paul II et le Liban ? Le Pape étant l'homme qui a le mieux compris, bien plus que les libanais eux-mêmes, ce que Dieu a voulu en créant le Liban.

Accordons, cependant, par charité islamo chrétienne à nos hommes de religion, le bénéfice de l'ignorance de cette initiative au moment où elle a été faite. Car, peu de temps plus tard, le Mufti de la République, le seul parmi nos chefs religieux, réagit et convoqua le Conseil Supérieur Sunnite en présence du Président du Conseil actuel et des anciens Présidents du Conseil. A l'ordre du jour: l'initiative de Jean-Paul II que le Conseil salua avec considération et reconnaissance et décida d'adresser au Pape un message que le Cheikh Dr. Mohamed Nokkari, présent ce soir parmi nous, invité personnel du Père Recteur, a remis au Nonce Apostolique.

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Un autre événement que je voudrais vous signaler eut lieu quelques jours plus tard. Un groupe de musulmans alla prier dans une mosquée proche du Parlement et un groupe de chrétiens dans une église non loin de là. Puis, tous se retrouvèrent sur la place de l'Etoile (place des représentants du peuple) en un geste de convivialité et en signe de solidarité. Des discours louant la convivialité islamo chrétienne, furent prononcés. L'assistance décida de transmettre au Pape un message de reconnaissance et de grande affection. Monsieur Mohammed Sammak, secrétaire général du comité du dialogue islamo chrétien, invité du Pape aux journées d'Assises qui devaient se tenir quelques jours plus tard, fut chargé de remettre ce message aux autorités du Vatican. M. Sammak s'acquitta de sa mission auprès de Mgr. Arinzi chargé au Vatican des relations avec les non chrétiens. Il pensa également remettre à l'éminent prélat une copie du message adressé au Pape par le Mufti de la République et le Conseil Supérieur Sunnite. Mgr. Arinzi eut les larmes aux yeux en recevant le message du Mufti car ce fut le seul message du monde entier que le Pape recevait à la suite de son initiative. Le Liban fut ainsi le seul pays du monde à réagir à l'initiative du Pape.

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Un autre événement majeur eut lieu depuis notre dernière rencontre. Un événement qui fait vibrer notre cour et notre esprit: un groupe de musulmans et de musulmanes voilées conduits par un prélat musulman assistèrent à la messe à l'église St. Elie d'Antélias en compagnie de fidèles chrétiens. Ensemble ils récitèrent à l'église al Fatiha. Ensemble ils récitèrent le notre Père. Et au moment des invocations, une femme musulmane voilée s'approcha de l'autel, prit la place du célébrant et invoqua Dieu. L'assistance islamo chrétienne répondit en chœur ßÑíÇáíÓæä

Ces événements: l'initiative du Pape, la réunion de la place de l'Etoile, et la présence des musulmans conduits par un Cheikh à la messe, n'ont pas eu droit dans la presse ni dans les prêches du vendredi et du dimanche à la place qu'ils méritaient. Beaucoup d'entre nous l'apprennent pour la première fois. C'est dommage et malheureux.

Vous voyez que cette "audace interreligieuse", ignorée curieusement par ceux qui sont censés l'acclamer, a soulevé néanmoins, quand elle a été connue, un enthousiasme populaire, reflétant le sentiment profond du bon peuple du Liban.

Ce bon peuple qui n'est pas confessionnel, lui. L'avez-vous vue à la TV, cette femme musulmane voilée du Sud, portant dans les bras son enfant en bas âge, attendre à côté de la femme chrétienne, l'arrivée des reliques de Sainte Thérèse dans son village? Puis toucher ces reliques en un geste de piété, passer la main sur le visage comme le fait le musulman après avoir récité la Fatiha, puis sur la tête de son enfant pour lui transmettre la bénédiction de la sainte chrétienne ?

C'est cela le Liban, le Liban véritable, le Liban profond. Le Liban que-nous aimons, que nous voulons. Le Liban 18 fois saint grâce à la lumière de ces 18 confessions.

Il est malheureux que nous dilapidions, à chaque occasion et à chaque coin, en discussions futiles, une richesse que Dieu nous a octroyée. Cessons de saper continuellement ce don et de ramener au confessionnalisme tous les problèmes qui peuvent surgir entre libanais.

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Le dernier événement que je voudrais évoquer ce soir, c'est le 40ème anniversaire de Vatican II. Une date très importante dans l'histoire de l'église moderne mais une date non moins importante dans l'histoire des relations islamo chrétiennes.

Vatican II, grâce au bienheureux Jean XXIII, a bouleversé l'église, ouvert grandes les portes et les fenêtres, et dépoussiéré les traditions. Je ne suis évidemment pas habilité à disserter sur le concile, encore que..., mais je ne peux m'empêcher de m'arrêter sur la partie qui concerne l'Islam. L'initiative du Pape ne pouvait pas avoir lieu si Vatican II n'avait pas eu lieu. Et quand on sait quelle place occupa Karol Wojtila dans les travaux de Vatican II, on ne s'étonnera pas que Jean-Paul II ait fait ce geste. C'est que Vatican II a reconnu l'Islam comme religion. Les points de convergence entre nos deux religions sont nombreux. Beaucoup plus nombreux qu'on ne le croit.

Nous devons ouvrer pour que ces points de convergence soient connus du public, appris par nos jeunes, par les élèves et les étudiants. Depuis un an, des efforts importants se font dans ce sens. Plusieurs écoles musulmanes et chrétiennes (dont Jamhour) organisent des activités communes interscolaires dans le but de mettre les élèves chrétiens en contact avec des élèves musulmans dans des activités diverses. Il est important de détruire le mur qui sépare Jamhour des Makassed, par exemple. Il est impératif que ces jeunes qui, plus tard, seront aux commandes, apprennent à se connaître dès leur plus jeune âge, apprennent à vivre ensemble.

Il est bon que des écoles de confessions différentes soient jumelées les unes aux autres, aient par exemple des cours en communs dans les classes supérieures, fassent des activités sociales communes, des voyages en commun... Le comité du dialogue islamo chrétien dont l'un des secrétaires généraux est ancien du collège, peut contribuer fortement au rapprochement islamo chrétien, en focalisant ses attentions sur les points de convergence qui nous relient. Il serait intéressant que l'opinion publique prenne connaissance de ses activités car elle ignore pratiquement tout de lui. Le bon peuple libanais, et particulièrement ceux des libanais qui sont vraiment pieux, se sentent autant proches du Christianisme que de l'Islam. C'est la politique qui sépare.

Ah! La politique ! La politique vous dis-je ! Que de ravages elle commet pour des considérations égoïstes et des ambitions personnelles, l'intérêt de la patrie passant en second. C'est la politique qui sème la discorde entre les citoyens du même peuple qui ne demande, lui, qu'à vivre en bonne harmonie et en convivialité. Nous avons la chance d'avoir un pays que le monde nous envie... Oui, continue à nous envier malgré les vicissitudes des années noires que nous avons traversées. Faisons en sorte que ces années-là soient celles qui séparent l'adolescence de l'âge adulte, soient cette crise de croissance que tout être humain traverse pour arriver à l'âge de raison.

Pour terminer, je crois pouvoir être votre interprète fidèle, chers camarades, en remerciant le père recteur et le comité des anciens pour leur accueil et en assurant les pères jésuites de notre dévouement et de notre fidélité pour l'éducation qu'ils nous ont dispensée et qui a fait de nous ce que nous sommes, c'est-à-dire de bons libanais, solidaires et fiers de l'être. Croyant que la religion est à Dieu seul et la Patrie à tous.

Et haec omnia ad majorem dei gloriam.



Collège Notre-Dame de Jamhour, LIBAN
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