Lamia el Saad
« Il y a une vie et un bonheur après la souffrance »

Vendredi 17 janvier 2003, 12h15 : les élèves de la division des Petits se bousculent à l'entrée du CDI complémentaire. Ils sont impatients de rencontrer à nouveau Lamia el Saad, la jeune auteur du livre « Le bonheur bleu ». Nombreux sont les élèves qui ont lu ce témoignage bouleversant après la présentation qu'en avait fait l'auteur, une ancienne du Collège, au mois de novembre dernier. Mme Hoda Mourad, documentaliste du CDI complémentaire, a eu l'heureuse idée d'inviter Lamia el Saad à revenir pour répondre à leurs questions.

L'écriture comme  thérapie

« Le bonheur bleu », c'est l'histoire d'une enfant de 11 ans, heureuse, parfaitement heureuse, dont la vie va basculer le jour où elle reçoit un éclat d'obus dans la tête. Nous sommes en pleine guerre du Liban. Echappant à la mort par la grâce de Dieu et l'amour et la ténacité de sa mère, elle se réveille à l'hôpital défigurée et hémiplégique. Avec l'énergie de son jeune âge, elle va se battre pour recouvrer la santé, au Liban d'abord puis dans un centre de rééducation en France. De retour au Liban, elle vit une grave crise existentielle à l'adolescence qu'elle parviendra à traverser. Le goût d'écrire va l'y aider. Grande amatrice de livres depuis son jeune âge, elle a rodé sa plume en participant à des concours de nouvelles organisés par le Collège Notre-Dame de Jamhour. Ses nouvelles sont sélectionnées et Lamia découvre qu'en plus du goût, elle a un talent d'écrivain. Sa mère va alors la pousser à rédiger son autobiographie pour « régler ses comptes avec son passé ».

« La rédaction de ce livre a été une thérapie pour moi, j'ai dû laisser mon passé me blesser encore une fois pour en finir ». Lamia el Saad est une jeune femme de 24 ans, fluette, à la voix douce et au regard profond. Elle s'exprime avec simplicité et ses propos révèlent sa prodigieuse maturité.

La souffrance se traverse

Antoine l'interroge sur les souffrances qu'elle a endurées. «J'ai bien sûr souffert physiquement, juste après l'accident et pendant ma rééducation. Mais la souffrance la plus difficile à supporter est d'ordre moral. J'ai d'abord été arrachée à tout ce que je connaissais, du jour au lendemain. Et puis, il est très difficile de se voir diminuée et de l'accepter. J'ai également beaucoup souffert au centre de rééducation en France car les enfants sont tous malades et pour la plupart aigris. Ils ont besoin de faire souffrir les autres parce qu'ils vivent leur situation comme une injustice. Je crois, au contraire, que l'on doit tout faire pour atténuer la souffrance des autres et j'ai appris à dissocier mon bonheur de ma santé. »

La vie humaine a une valeur inestimable

Caroline lui demande : « Aujourd'hui quand on parle de la guerre, que ressentez-vous? » « Les gens parlent de la guerre avec des chiffres, comme une réalité abstraite. Ils ne réalisent pas ce que c'est qu'un mort ou un blessé. Ils ne ressentent pas la souffrance des personnes proches, ils ne savent pas que la vie humaine a une valeur inestimable. On dit qu'il y a un prix à payer pour chaque guerre, mais c'est très grave. On parle avec légèreté de la guerre. La nôtre a été longue et souvent on oublie ce qui s'est passé, on n'est pas préparé à ne pas recommencer et on s'expose à une rechute. »

L'amour des parents soutient

Karim la pousse à s'exprimer sur ses parents : « Vous faites un portrait idyllique de vos parents. ». « Ils ont toujours été à mes côtés, ils ont été exemplaires. Ils m'ont entourée de leur amour et ont su trouver les mots pour me redonner envie de me battre quand j'étais découragée. Je leur dois énormément, le courage, la survie, la dignité.»

La foi en Dieu allège l'épreuve

« Quel rôle a joué la religion dans votre parcours ? » s'enquière Youmna. « J'ai eu la même éducation que vous. J'étais une bonne chrétienne, pratiquante. En France dans un milieu athée, on disait que Dieu, s'il existait, n'aurait pas admis la souffrance humaine, surtout celle des enfants. J'avais 11 ans. C'est très dur pour un enfant d'entendre des propos pareils et de savoir quoi répondre. Alors, je me suis égarée. Quelques années plus tard, c'est Marie qui m'a ramenée à la foi en Dieu, une foi d'adulte, épurée et mûrie par l'épreuve. J'ai alors découvert que quand on vit une foi profonde, notre fardeau est considérablement allégé. C'est dans ces moments là qu'il faut être proche de Dieu. »  

Le bonheur après la souffrance

Dani est intrigué : « Pourquoi avoir intitulé votre livre le bonheur bleu ? » « Le bleu est la couleur de la tristesse. J'ai voulu que la couverture du livre soit bleu dégradé, du bleu foncé au bleu clair pour montrer le passage du malheur le plus intense au bonheur. Maria insiste : « Le bonheur est-il triste ? ». « Il n'y a pas de bonheur absolu, il y a toujours quelque chose qui va accrocher. Il ne faut pas chercher un bonheur sans tâches, idéal. L'épreuve par laquelle je suis passée m'a fait découvrir la valeur des petites choses, ces petites « douceurs » du quotidien auxquelles on n'accorde par d'importance quand on n'a pas goûté à l'amer. Chaque matin est un cadeau, tout est cadeau dans la vie. »

Un message d'espoir

Chucri conclut : « Avez-vous des conseils à nous donner ? ». « Je n'ai pas de leçons à vous donner. Je ne peux que témoigner de mon expérience. Et cette expérience me permet de vous dire que la souffrance n'est pas éternelle, qu'il y a une vie et un bonheur après. Il faut être patient et garder la foi. Je vous invite également à donner le meilleur de vous-mêmes, à aller au bout des choses et surtout à ne pas passer à côté des personnes qui vous entourent. Ces relations sont votre richesse. »

La cloche sonne la fin de la récréation. Les élèves, nombreux, ainsi que les éducateurs, ont du mal à se séparer de Lamia el Saad tant ils sont touchés par son témoignage et interpellés, au plus profond d'eux-mêmes, par sa sagesse. Une expérience à renouveler.



Collège Notre-Dame de Jamhour, LIBAN
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