Propos sur l'indépendance du Liban

Nous du Collège - Mars 2005 - #262
L'éditorial par le P.Salim Daccache, sj, recteur

 

L'indépendance est un mot magique : c'est l'un des mots qui reviennent sans cesse dans le discours politique et national libanais. L'indépendance de notre pays, nous en parlons, car il s'agit d'une valeur sûre et précieuse que nous voulons conserver et protéger ; comme s'il s'agissait d'un bien très rare, comme le diamant le plus fin , que nous voulons récupérer et reprendre à celui qui l'a volé ou spolié. L'appel à l'indépendance devient ainsi un mot essentiel dans le combat pour faire revivre les fondements de la nation du Cèdre. Cependant, lorsque l'heure de la fête de l'indépendance du Liban sonne, précédée de la fête du Drapeau, les questions fusent de partout, des plus jeunes aux adultes : Pourquoi fêter une indépendance manquée et inexistante ? Est-ce que le Liban a mérité son indépendance comme État parmi les États, comme nation parmi les nations ? N' y a-t-il pas une différence entre hier et aujourd'hui ? Les jours d'autrefois n’étaient-ils pas meilleurs que nos jours ? La fête n'avait-elle pas plus de sens autrefois ? Comment nous les élèves, pouvons-nous protéger sinon reconquérir l'indépendance ? Quelle est notre responsabilité dans ce domaine ?

Il est évident que ces interrogations sont bien légitimes ; elles expriment une inquiétude quant à l'avenir de chacune et de chacun et de l'avenir de notre pays. Dans la période difficile que traverse l'histoire de ce pays, les questions que posent les jeunes, surtout les jeunes, et contrairement à ce qu'on pense, montrent un intérêt profond pour ce que représente le Liban comme valeur et comme mission.

Est-ce que le Liban a mérité son indépendance ?

Il y a des États qui ont obtenu leur indépendance d'une manière pacifique, en vertu de conditions linguistiques, religieuses ou géographiques qui favorisaient leur unité. D'autres nations ont fondé leur indépendance sur une volonté de vivre en commun de la part de leurs citoyens, en référence à une longue expérience historique et sociale. Le Liban fait partie de cette dernière catégorie. Déjà lorsqu'en 1920, le patriarche Hoayek demanda la proclamation du Grand Liban, sa requête était fondée sur un processus historique de formation d’une nation qui avait débuté depuis des siècles ; cette volonté n’était pas et n'est pas de l'ordre de l'ordinaire. C'était un défi pour les différentes communautés ainsi que pour les individus, et cela demeurera un défi pour tous les Libanais. De même, il faut développer une culture de l'acceptation de l'autre, comme différent et intégrer l'appartenance communautaire et confessionnelle à la dimension démocratique et citoyenne. Malgré les différentes guerres et les aléas d'une histoire instable, ce défi a toujours traversé avec réussite ce champ de mines. Depuis 1943 notre pays a pu avoir ses propres institutions étatiques qui maintiennent son unité et ses institutions privées dans les domaines sociaux, culturels et de l’éducation, ses institutions financières et économiques, qui font toutes partie de l'identité libanaise et lui confèrent un cachet particulier. Le Liban a mérité son indépendance grâce à l'action politique commune des hommes politiques qui ont voulu fonder un État singulier, par sa liberté et son franc parler, sa culture humaniste et sociale. Le Liban - est une patrie en soi - une patrie “définitive” pour citer le texte de notre Constitution - qui mérite d’être préservée et défendue et que le seul garant de son indépendance et de sa souveraineté est un état dont la légitimité est reconnue par l’ensemble des citoyens1.

Pourquoi fêter une indépendance tronquée ou inexistante du fait qu’il y a une tutelle syrienne ?

Le moment de la fête n'est pas consacré seulement à exprimer sa joie. La fête des Martyrs du Liban ou telle fête religieuse n'est pas associée à une expression de joie. De ce fait, les 20 et 22 novembre de chaque année constituent un moment de réflexion sur la signification de la fête afin de renouveler notre promesse, qui fut celle des fondateurs de la patrie, de continuer à protéger l'indépendance. C’est comme un examen semestriel : c’est le moment de voir les résultats de notre travail et ce que nous avons appris. L'indépendance n'est pas seulement un moment situé dans une histoire lointaine, dont on fait mémoire.

Fêter l'indépendance du Liban ne consiste pas à se rappeler un simple anniversaire comme les autres. Cette commémoration doit nous interpeller pour l'indépendance et la souveraineté qui sont une œuvre à consolider au quotidien. Nous devons nous répéter que le Liban est une nation exceptionnelle, le fruit d'un compromis historique entre des communautés qui ont leurs spécificités ; dire et affirmer que nous ne serons jamais une nation annexée et que nous serons capables de surmonter et assimiler les influences extérieures, quelles qu’elles soient. Fêter l'indépendance c'est être conscients que nous devons promouvoir le rôle de l'État et avoir des hommes d’État car notre tâche est de sauver cette indépendance de l'hésitation et de réglementer, soutenir et défendre la vie collective nationale. Plus que jamais nous devons fêter l'indépendance.

Y a-t-il des différences à Jamhour entre la fête de l'indépendance que nous célébrons aujourd'hui et la fête célébrée autrefois ?

Cette fête est un rendez-vous annuel, un événement qui doit nous marquer et nous mobiliser, sinon il aura peu de sens pour nous. Ce sera purement folklorique ; ce jour est important pour nous et a une valeur puisqu'il met l'accent sur la liberté et l’avenir de notre pays. De plus, cette fête s'inscrit, pour nous à Jamhour, dans le cadre d’une éducation civique qui cherche à enraciner chacun et chacune dans son pays et à le servir comme message de liberté et de justice. Notre éducation, du moins une partie de ce que nous apprenons, est au service de notre pays et de nos racines. Une éducation qui nous fait aimer le patrimoine historique, culturel, humain et social du Liban. Chaque matin, les élèves hissent le drapeau et chantent l'hymne national : c'est un acte qui peut devenir routinier. Mais il faut comprendre que c'est un acte de foi en mon pays auquel j'appartiens et en toute sa communauté humaine.

Autrefois, l'indépendance était un jour de congé et il n'y avait pas de temps pour bien marquer la fête. Un salut du Drapeau, des articles patriotiques dans le Nous, des expositions célébraient cette date. Avec la fête du Drapeau instaurée depuis une quinzaine d'années, différentes activités sont au programme. Dans les rassemblements organisés, des mots de circonstance sont prononcés ; chez les plus petits, chaque élève porte le drapeau en chantant des hymnes patriotiques. Chez les plus grands, des concours, une exposition, et un cross country sont organisés à cette occasion : cela signifie que celui qui veut défendre et promouvoir l'indépendance doit déployer des efforts et faire des sacrifices pour la conserver. Chacun doit se surpasser au service de son pays. Il devra souffrir un peu pour le Liban.

Comment des jeunes de tout âge peuvent-ils se mettre au service de l'indépendance ?

Importante question, à laquelle je réponds par quelques idées :

a) Une conviction : l'indépendance du Liban, ce sera toujours l'œuvre des Libanais. Des pays amis peuvent aider mais ne remplaceront pas notre volonté. Ce ne sera pas un cadeau offert par les autres.

b) Une attitude spirituelle : la patrie est une valeur humaine suprême puisqu'elle façonne notre identité et préserve notre dignité d'homme. C'est pourquoi nous avons à défendre cette valeur comme d'autres ont su la défendre avant nous. C’est notre volonté unie de Libanais unis qui est à même de le faire.

c) Une valeur à apprendre : pour que le Liban continue à être libre et indépendant, il faut que ses citoyens le soient aussi. Il y a quelques valeurs à cultiver et à pratiquer dès l'école mais la plus importante, c’est le respect : une vertu capitale pour nous Libanais. Notre volonté commune et unie ne peut se faire s'il n'y a pas le respect : respecter l'autre qui m'est semblable ou bien celui qui est différent de moi. Être juste et bon avec lui. Il ne faut pas seulement demander à l'autre de me respecter, mais le respect consiste aussi à accepter l'autre qui est différent de moi. Le respect aussi, nous l’oublions souvent, c'est accepter qu'il y ait des valeurs communes, comme l'avenir de la famille, l'hospitalité, la solidarité, le sens de la justice et, plus important encore, accepter que nous partagions un même patrimoine religieux qui peut être source d'unité.

d) Élargir notre horizon éducatif : avoir le souci de l'indépendance de notre pays c'est participer aux innombrables activités académiques, sociales et culturelles du Collège, surtout là où il y a une responsabilité à assumer et un défi à relever. Par là, le jeune se prépare au service du Bien Commun, et à le gérer pour le bien de la communauté. C’est s’habituer à prendre la parole et assumer ce que nous prononçons comme discours. C’est savoir prendre des distances par rapport à ce qui se présente dans l’immédiat et discerner, peser le pour et le contre. Être délégué de classe, à titre d'exemple, c'est travailler pour le bien commun, mais avec un cœur et un esprit libres.

Je conclus par ce qu’a dit le penseur Michel Chiha, un Ancien du Collège de la  promotion 1906, l’un des pères de l’idée libanaise, à propos de l’indépendance : “Le Liban d’aujourd’hui, un Liban indépendant et intangible, appartenant également à tous ses enfants, peut et doit proclamer son droit à la vie. Il a plus que jamais sa raison d’être. Libanais de la montagne et de la plaine, des villes maritimes et des marches, nous avons le devoir de le servir passionnément et de nous battre, s’il le faut, pour le léguer grandi et consolidé au Liban de demain”2

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1- L’Appel de Beyrouth, le 2 juin 2004 par 200 personnalités libanaises de diverses communautés
2- Michel Chiha, Liban d’aujourd’hui, 1942, p. 74



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