Le projet éducatif du collège passé au crible
Les participants au congrès
organisé par l'association de l'Amicale des anciens élèves de
Notre-Dame de Jamhour ont écouté samedi plusieurs interventions,
dont les auteurs ont passé au crible les trois thèmes qui constituent
les piliers du projet pédagogique du collège : « Croire, savoir,
servir ».
Premier à prendre la parole ce jour-là, Jean Dalmais, père assistant
de l'Amicale et ancien recteur de l'école, a notamment axé son
allocution sur l'aspect concret de l'enseignement religieux, affirmant
par exemple qu'« une conception trop "romantique" et idéaliste
du dialogue islamo-chrétien n'aboutirait qu'à des aberrations.
(...) Le vrai dialogue n'est point de chercher à tout prix un
dénominateur commun, sans contenu réel, mais de s'exprimer dans
la vérité ». Et de souligner la nécessité de « favoriser des rencontres
entre jeunes de confessions et de communautés différentes » ,
avant d'aborder le second but de l'éducation jésuite, résumé par
le mot « savoir ». Tout en insistant sur l'importance de l'enseignement
de la langue arabe, le père Dalmais a toutefois estimé que « l'arabisation
de cet enseignement doit être réfléchie et menée dans un esprit
d'ouverture ». « La culture traditionnelle du monde arabe a été
jusqu'ici dominée par le "discours", par la rhétorique ; elle
doit aujourd'hui accueillir la réalité de la science, c'est-à-dire
l'objectivité et la rationalité du savoir scientifique », a-t-il
précisé. Mais c'est surtout sur le thème de l'éducation que le
père Dalmais a insisté, en partant d'un constat, celui d'une éducation
trop « individualiste », « pas assez ouverte sur la société des
hommes ». Il a déploré dans ce cadre « les méthodes pédagogiques
trop routinières, pour faire sortir les jeunes de la passivité
d'auditeurs à l'engagement de ceux qui font activement la découverte
du monde, sous le contrôle de maîtres suffisamment jeunes d'esprit
pour cheminer avec leurs élèves dans cette découverte ». D'où
l'importance, selon lui, d'une formation « pratique et concrète
des jeunes à la vie communautaire ».
Le père Salim Daccache, recteur du collège, a insisté pour sa
part sur la « réalité dynamique » du projet éducatif, partant,
lui aussi, d'un constat, produit d'un « matérialisme à la libanaise
». Selon lui, en effet, on dirait que « l'investissement dans
l'éducation a pour objectif une rentabilité matérielle ». Or le
père Daccache a rappelé qu'un collège jésuite a pour but essentiel
« la formation complète et intégrale de chaque personne », un
but dont la réalisation est souvent altérée par des contingences
bien concrètes : nombre important d'élèves, gigantisme des effectifs...
Il n'en demeure pas moins qu'à ses yeux, le collège de Jamhour
se fixe un objectif « essentiel et global », en l'occurrence :
« Moins de prêches et plus de situations où l'élève peut vivre
concrètement la solidarité avec les autres. » D'où l'importance
du travail en groupe et des activités « disciplinaires ou interdisciplinaires
». Le recteur de l'établissement aborde enfin la principale difficulté
à laquelle se heurte aujourd'hui la majorité des enseignants :
« Susciter l'intérêt et le désir de l'élève », un désir qui, de
surcroît, doit se perpétuer. Or, en ces temps de zapping, la persévérance
est une qualité qui se fait sans doute de plus en plus rare parmi
les jeunes.
Membre de l'Amicale, Nasri Diab a pris la parole au nom des parents
d'élèves pour rappeler notamment que « le problème de l'enfant
n'est pas le problème du seul collège ». « Ensemble, les parents
et le collège voient les enfants confrontés à de nouveaux problèmes,
de nouveaux défis : violence, drogue, accès illimité à une information
de valeur inégale par le biais d'Internet », a-t-il dit, avant
de poursuivre : « Un enfant violent, un enfant qui se drogue,
un enfant qui a de mauvaises fréquentations peut cacher son jeu
soit au collège, soit à sa famille, mais il ne peut pas, ne doit
pas pouvoir le cacher aux deux à la fois. » Pour M. Diab, un travail
commun du collège et des parents est donc indispensable en vue
de détecter les problèmes dont souffre l'enfant et d'y remédier.
Jessica et le « look » de Baudelaire
Ce fut ensuite au tour de deux enseignants du collège, Michèle
Naja et José Jamhouri, d'évoquer leur expérience personnelle dans
l'application du projet éducatif de Jamhour. Professeur de lettres,
Mme Naja s'est notamment demandé si le pluralisme linguistique
était synonyme de progrès ou de régression. Et de citer dans ce
cadre l'exemple d'une élève, Jessica, qui proposait « d'étudier,
dans les Correspondances, le "look" de Baudelaire ». Il est évident,
semble-t-il, que l'intérêt pour les langues, pour toutes les langues,
a considérablement baissé chez les jeunes. C'est ainsi que » certains
élèves ont parfois du mal à s'exprimer correctement à l'oral et
à l'écrit » aussi bien en arabe, qu'en français ou en anglais.
Mais pour Mme Naja, le remède à ces lacunes consisterait notamment
à « redynamiser ces langues " gelées ", pour reprendre la métaphore
de Rabelais, afin d'en faire un réservoir correspondant à des
situations authentiques, renvoyant au vécu de l'apprenant ».
Partant du témoignage d'un inspecteur de l'éducation française,
qui affirmait récemment que les professeurs avaient tendance à
être trop centrés sur l'instruction au détriment de l'éducation,
José Jamhouri, enseignant d'histoire, s'est demandé si le collège
de Jamhour n'était pas aussi victime de cette tendance fâcheuse.
Au point que l'une de ses collègues s'est exclamée un jour, au
comble de l'irritation : « Mais c'est incroyable ! Nous formons
des marchands et des mendiants de notes ! » M. Jamhouri a souligné
la nécessité de mettre en permanence les jeunes « aux prises avec
la réalité » et avec des personnes adultes, en dehors de leur
cadre scolaire et familial. C'est ainsi que, selon lui, ils prendront
conscience du fait que tout ne leur est pas forcément dû. « Pour
veiller à ce que les jeunes reçoivent non seulement l'instruction,
mais aussi et surtout l'éducation dont ils ont besoin », M. Jamhouri
a enfin lancé l'idée de la création d'une instance « chargée de
coordonner toutes les activités pédagogiques du collège », de
manière à ce que Jamhour soit aussi et surtout « une école de
vie ».
Le Liban, le savoir et la mondialisation
Invité à prendre la parole sur le thème des savoirs à acquérir
pour le monde de demain, Joseph Maïla, doyen de la faculté des
sciences sociales à l'Institut catholique de Paris et ancien de
Jamhour, s'est refusé d'emblée à faire des pronostics sur les
orientations du savoir à l'orée du nouveau siècle. Il a insisté
en revanche sur « la contextualisation du savoir contemporain
dans une période de temps dominée par la mondialisation ». Selon
M. Maïla, « deux dangers guettent le savoir et sa transmission
par l'éducation : un élargissement des inégalités, face à l'accès
au savoir entre les hommes, les peuples et les régions du monde
; mais il faut aussi s'alarmer de la "marchandisation" des biens
culturels et de l'attitude de consommation », affirme-t-il avant
de poursuivre : « Dans le savoir contemporain, nous sommes ainsi
guettés par le choc des valeurs, des cultures et des modèles différents.
Le savoir doit être un apprentissage de la tolérance et de l'ouverture.
»
Dans ce contexte de mondialisation, Joseph Maïla estime que le
Liban a tous les atouts. De fait, selon lui, « parce qu'il est
pluriel, pluriculturel, plurilingue, démocratique, modèle de dialogue
entre les culturels et les religions, le Liban préfigure ce que
pourrait être un monde pacifié et délivré de ses démons ».