Allocution de S.E. Monsieur Bernard Emié,
Ambassadeur de France au Liban
À l'occasion de la remisedes insignes d'Officier dans l'Ordre des Palmes
Académiques
au Révérend Père Sélim Daccache, recteur du Collège Notre-Dame de Jamhour
Vendredi 25 mai 2007 à 18h30 au Collège Notre-Dame de Jamhour
Cher Révérend Père Sélim Daccache,
Nous voici rassemblés ce soir au terme d'une semaine particulièrement éprouvante pour le Liban et pour tous les amis de ce pays, au premier rang desquels M. Bernard Kouchner, notre nouveau Ministre des Affaires étrangères, qui vient de repartir pour Paris après avoir consacré à ce pays qu'il connaît si bien sa première visite hors d'Europe, pour marquer sa solidarité et redire la volonté de la France d'accompagner coûte que coûte le Liban dans son douloureux chemin vers plus de souveraineté et plus de stabilité.
Cette semaine difficile, je suis particulièrement heureux de venir la clore chez vous, au Collège Notre-Dame de Jamhour, d'autant plus qu'il s'agit aujourd'hui, Sélim, de vous rendre un hommage mérité et de vous exprimer toute notre gratitude pour votre inlassable travail au service de la formation des jeunes générations, du dialogue des cultures et de la francophonie.
Vous êtes né, il n'y a pas si longtemps que cela d'ailleurs, en 1951, à Bouar, dans le Kesrouan, où vous avez suivi votre scolarité primaire, tandis que vos études complémentaires et secondaires devaient vous conduire un peu plus tard au Séminaire Saint-Maron des Pères Jésuites, à Ghazir, de 1960 à 1970, où vous avez sûrement ressenti les premiers appels pour votre vocation religieuse.
Mais vous n'étiez déjà pas un jeune comme les autres puisque, parallèlement au cheminement de votre vocation, il paraît que vous manifestiez déjà un goût passionné pour le débat d'idées et un très vif intérêt pour les articles traitant de questions politiques.
Cette inclination à la fois pour la chose publique et pour les questionnements fondamentaux de l'existence vous a tout naturellement conduit vers des études supérieures en sciences politiques et en philosophie à l'Université Saint-Joseph, couronnées par un diplôme de sciences politiques en 1972 et une licence en philosophie en 1973.
Muni de ce solide bagage culturel et universitaire, il était alors temps de vous tourner vers l'essentiel, c'est-à-dire la quête intérieure qui était la vôtre : vous êtes donc parti en 1975 pour l'Egypte afin d'entrer au Noviciat des Pères Jésuites de Minia.
Mais il vous était sans doute difficile d'abandonner totalement votre travail universitaire, puisqu'à peine sorti du Noviciat vous vous rendez en France où vous avez repris de 1977 à 1984 des études qui vous conduiront à une maîtrise en théologie et en philosophie au Centre de Sèvres qui rassemble les Facultés jésuites de théologie et de philosophie. Quelques années plus tard, votre thèse sur « Le problème de la création dans le Kalàm musulman au Xe siècle », qui témoigne de votre curiosité pour la culture de l'autre, fera de vous un Docteur ès lettres et philosophie de l'Université Panthéon-Sorbonne.
Mais sans doute, à cette période de votre vie, le moment le plus fort et le plus intime est-il ce jour d'avril 1983 où vous êtes ordonné prêtre dans votre village natal de Bouar. C'est ce jour-là que votre parcours personnel prend toute sa cohérence. Vous avez tant reçu, vous allez pouvoir commencer à donner.
Votre parcours professionnel sera d'ailleurs aussi divers que votre carrière universitaire, puisque, dans le prolongement de votre expérience de journaliste au journal quotidien « Lissan Hal» de 1970 à 1974, vous serez successivement, et parfois simultanément :
Directeur adjoint de la Maison d'édition « Dar Al Machreq » de la Compagnie de Jésus, à partir de 1984 ; Rédacteur en chef de la revue arabe « Al Machreq » de la Compagnie de Jésus à partir de 1988 ;
Enseignant à partir de 1985 à l'Institut supérieur des sciences religieuses de l'Université Saint-Joseph, ainsi qu'à l'Institut des lettres orientales en tant que spécialiste de la pensée islamique.
Et comme vous avez aussi le don des langues, puisque outre l'arabe, le français et l'anglais, vous maîtrisez l'italien et le syriaque (peut-être le Saint Esprit y est-il pour quelque chose ?), vous avez également été enseignant à l'Ecole des traducteurs de Beyrouth de 1986 à 1991.
Cette vaste érudition, qui fera très vite de vous un spécialiste reconnu et écouté en matière de science religieuse, vous conduira parallèlement à écrire 8 livres et plus d'une cinquantaine d'articles en arabe ou en français sur les thèmes aussi variés que ceux de l'éducation, de la spiritualité syriaque, de la philosophie morale et politique, de l'islamologie, de la rencontre des cultures et du dialogue inter- religieux.
Votre bibliographie n'en est d'ailleurs qu'à ses débuts puisque vous venez de terminer un ouvrage de 500 pages en français qui devrait paraître le mois prochain dans la collection « Recherches » de l'Université Saint-Joseph, dans lequel vous reprenez et développez votre recherche passionnée sur la question de la création, ce débat fondamental qui oppose la création ex nihilo à la création à partir de la matière, en prenant appui sur le Kaldm d'Abu Mansur al Maturidi.
Vous êtes d'ailleurs décidément infatigable, puisqu'il me revient que, non content de ce parcours universitaire brillant que je viens de décrire, vous avez désormais entrepris de passer un doctorat en sciences de l'éducation à l'Université Marc Bloch de Strasbourg.
L'éducation : tel est, au côté des questions spirituelles, votre autre grand cheval de bataille, et votre rencontre avec le Collège Notre-Dame de Jamhour va vous permettre de donner toute sa mesure à cette véritable passion de la pédagogie qui est la vôtre.
Car, si j'ai évoqué tout à l'heure le jour si important de votre ordination, il est sans doute une autre journée qui a compté pour beaucoup dans votre vie, c'est celle de votre entrée à Jamhour, où vous êtes nommé en 1989 Préfet des études de la classe de terminale, mais dont vous deviendrez très vite, dès 1991, le Recteur que vous êtes toujours aujourd'hui.
Pourtant votre arrivée dans ce prestigieux établissement se déroule dans un contexte particulièrement dramatique, celui d'un Liban qui se déchire et que ses voisins achèvent de mettre à terre, puisque vous allez très vite être amené à vivre cette terrible journée du 13 octobre 1990, au cours de laquelle Jamhour, à bout portant du Palais présidentiel, du Ministère de la défense et de l'Ecole militaire, se retrouve sous le feu des bombes, subit durant de longues heures ce que le Recteur de l'époque, le Père Jean Dalmais, qualifiera de « pilonnage démentiel » et connaît de terribles destructions, avec un bâtiment central complètement éventré et la moitié des salles de cours rendues inutilisables.
Puisant dans son courage et dans sa foi, toute l'équipe de Jamhour va pourtant se remettre au travail avec ardeur et c'est dans ce contexte que vous devenez Recteur en 1991.
Permettez-moi à ce sujet de citer un passage de ce merveilleux album initulé «Si Jamhour m'était conté » publié en 2003 lors du jubilé d'or du Collège :
«Le calme est revenu. Le grand navire de Jamhour peut reprendre son cours normal. A sa barre, un jeune jésuite de la région de Byblos, le Père Sélim Daccache. En donnant au navire le signal de poursuive sa croisière, le nouveau recteur fait hisser au grand mât sa propre bannière. Sur son enseigne il est écrit : « Non à la facilité ! ».
Par cette formule saisissante, qui montre combien vous placez haut la barre des ambitions pour le Collège, vous venez de donner le ton de ce que sera votre mission à la tête de celui-ci, pour laquelle vous allez devoir -compte tenu des circonstances- apprendre un nouveau métier, celui de bâtisseur.
Un métier de plus que vous saurez exercer avec brio, puisqu'en quelques années vous allez totalement reconstruire le Collège et lui donner un éclat inégalé en le dotant de laboratoires scientifiques modernes, d'un centre de langues et de centres de documentation disposant des plus récentes technologies informatiques et audiovisuelles, et, pour finir, en 2002, ce merveilleux centre sportif, culturel et social, à la construction duquel vous avez apporté tant de soin et qui, en devenant l'instrument privilégié du rayonnement de Jamhour, marquera sans nul doute votre passage à la tête de cet établissement.
Mais vous n'êtes pas seulement un bâtisseur de choses matérielles, vous êtes bien plus que cela : un véritable architecte des âmes.
Car ce Collège prestigieux, homologué dès 1972 par l'Agence pour l'Enseignement du français à l'étranger, qui scolarise près de 3000 élèves dont 350 jeunes Français, et qui constitue l'un des joyaux du dispositif scolaire à programme français au Liban, vous avez voulu en faire un lieu unique destiné à préparer les jeunes dans les meilleures conditions possibles aux défis du XXIe siècle, à commencer par celui de l'environnement, une des préoccupations majeures de notre temps dont vous avez fait, avec une intuition remarquable, l'une des priorités de votre service socioculturel, mais aussi le défi de la diversité culturelle, qui est l'un des combats de cette francophonie dont vous êtes l'un des fleurons.
Ces jeunes, vous voulez le meilleur pour eux, et c'est d'ailleurs grâce à vous que le Collège sera le premier établissement du Liban à se doter en 1994 d'un bureau d'information et d'orientation. Vous souhaitez notamment qu'avant d'aborder leur vie d'adulte ils s'imprègnent ici de toute l'humanité et de toute la spiritualité dont vous avez voulu faire la marque de Jamhour et que résume si bien cette devise que l'on retrouve en conclusion de l'album du jubilé « Croire, savoir, servir ». Cet esprit les accompagnera tout au long de leur vie.
Car quand on est passé par Jamhour, on ne l'oublie jamais. Il n'y a qu'à voir la fidélité indéfectible des anciens élèves qui se manifeste avec force à travers la générosité dont ils font preuve chaque fois qu'il s'agit de contribuer au développement de l'établissement, mais aussi à travers la vitalité de l'Amicale des anciens à laquelle le Ministre Michel Eddé a su donner toute son énergie et toute sa passion, créant notamment en 1993 une Caisse Mutuelle de Bourses Scolaires qui a permis d'apporter un soutien précieux aux élèves méritants, dont les parents étaient frappés par les conséquences de la situation difficile que traversait le pays.
Car Jamhour c'est aussi cela, cet esprit de solidarité, qui a encore trouvé à s'illustrer récemment, lors de cette guerre si injuste qui a frappé le pays à l'été 2006. Et je voudrais ce soir, au nom de la France, vous remercier à nouveau pour le rôle essentiel que vous avez joué en acceptant que votre établissement soit intégré dans le dispositif d'évacuation de nos compatriotes présents au Liban: c'est ainsi que-Jamhour a été l'un des deux centres de regroupement des Français avant leur embarquement, un lieu d'accueil chaleureux où nos ressortissants ont pu trouver, le temps d'une étape bienvenue, nourriture, réconfort et amitié.
Cher Père Selim, devant tous vos amis rassemblés ici ce soir, j'ai voulu honorer en vous l'homme de culture, l'homme de dialogue, le défenseur actif d'une francophonie ouverte et généreuse, mais aussi celui qui a su construire le nouveau Jamhour, qui rayonne aujourd'hui sur le Liban et d'une certaine manière - à travers tous vos anciens élèves — sur le monde. J'ai également voulu honorer le très grand éducateur que vous êtes, qui sait, jour après jour -non sans fermeté- aider les jeunes élèves confiés à votre établissement à forger leur esprit et leur âme.
Mais vous me permettrez toutefois, au terme de ce discours, une note plus personnelle. Comme vous le savez peut-être, ma mission au Liban s'achèvera dans quelque temps : elle a correspondu à une période particulièrement dramatique de la vie de ce pays, et a été ponctuée par bien des épreuves, des menaces permanentes, des attentats odieux, une guerre cruelle. Dans un tel contexte de violence et d'incertitude, qui aurait pu parfois me conduire au découragement, il n'a pas toujours été facile de trouver la sérénité nécessaire pour poursuivre le chemin avec toute la détermination requise. Je voudrais aujourd'hui que vous sachiez, cher Père Sélim, qu'au cours de ces derniers mois, à chaque fois que je suis venu à Jamhour, pour m'entretenir avec vous ou pour refaire le plein d'énergie en pratiquant le sport, j'ai retrouvé ici un peu de cette force indispensable, à la fois physique et spirituelle, qui m'a permis d'accomplir ma mission au service de la France, au service du Liban.
C'est donc aussi un merci personnel, un merci du fond du coeur, que j'ai tenu à venir vous dire ce soir.
Révérend Père Sélim Daccache, au nom du Ministre de l'Education nationale, nous vous remettons les insignes d'Officier dans l'Ordre des Palmes Académiques.