Mot au dîner des Professeurs
le 8 juillet 2005

 

Jamhour, le 8 juillet 2005

On m’a accordé 3 minutes pour rendre hommage à mes deux collègues, professeurs de philosophie, Monsieur Nazem GEBRANE et Monsieur Georges SALLOUM. À eux deux, ils totalisent 50 ans, au service de l’institution et de ses jeunes adultes en Terminale. Le pari est donc impossible. Mais, vu le contexte, les éloges courts vous sembleront plus pertinents et seront mieux perçus !

Révérend Père Recteur,
Révérends Pères,
Mesdames, Messieurs,
Chers Collègues, Chers Amis,

« 25 ans de bons et loyaux services », comme on dit, c’est une halte pour complimenter les uns et remercier les autres. C’est aussi une station sur le chemin d’un départ, annoncé pour les uns, ou déjà là pour les autres.

Par une action révolutionnaire en son temps, le Père Clément, homme extraordinaire et remarquable professeur de philosophie, décidait, au début des années 80, de réduire son travail et de passer le flambeau à un laïc. Il dérogeait ainsi aux sacro-saintes prescriptions de la Ratio studiorum et aux traditions des collèges jésuites, qui voulaient que l’enseignement de cette matière prestigieuse et parfois litigieuse, soit confié à un jésuite.

En terme de laïc, le Père Madet, Recteur clairvoyant, n’engagea pas un, mais deux laïcs, en qualité de co-professeurs de philosophie, en Terminale L. Il entendait ainsi constituer la première génération de la relève, dans le domaine délicat et traditionnellement réservé de la « science reine ».

Les heureux élus, Nazem Gebrane et Georges Salloum n’étaient pas novices. Professeurs chevronnés, ils avaient déjà roulé leur bosse dans l’enseignement public et privé. Ils avaient confronté de nombreux auditoires, aussi diversifiés que diversement intéressés. Ils avaient réussi à affûter leur science et à calibrer leur art de la maïeutique.

La matière à l’époque, se déclinait en Connaissance et Action et la thématique classique allait de la psychologie à la métaphysique en passant par la morale et la logique. À Monsieur Gebrane, freudien insoumis et indomptable, revenait la psychologie. À Monsieur Salloum, ancien du Collège, latiniste érudit et kantien ouvert et souple, incombait la charge de la morale. Le Père Clément se maintenait à la métaphysique et se réservait la coordination de cette transition novatrice. Quoi de plus logique !

Hélas, le père Clément n’est plus. Mais « l’esprit de la matière » unifie et ne divise pas. Il réconcilie les contraires et surmonte les antinomies. Assez rapidement, et sans indulgence particulière, Monsieur Gebrane et Monsieur Salloum finissent par conquérir chacun une classe entière.

25 ans après, Nazem, scrupuleux à l’obsession, n’a rien perdu de sa rigueur et de sa pondération. Du premier au dernier cours (qu’il achève régulièrement, comme le dernier des Mohicans, 5 minutes après la cloche), il déploie avec fierté et mesure sa pensée comme un tisserand déroule ses chatoyantes soieries.

25 ans après, Georges, nuancé et bienveillant, maintient en alerte une pensée synthétique déconcertante. Il poursuit avec la même ferveur sa mission de « libérer des libertés ».

25 ans après, Nazem, professeur discret et réservé, est accessible à tous ceux dont l’idéal est, comme pour lui, de préférer à tous les biens, celui de la raison.

25 ans après, Georges, épicurien raffiné, amateur de bonne chair, de vins fins et de cigares parfumés, réussit à faire de la pensée philosophique la plus aride, un banquet voluptueux.

25 ans après, l’institution est redevable à cette première génération de pionniers laïcs de l’enseignement de la philosophie. 25 générations d’élèves métamorphosés sont redevables à ces éveilleurs de consciences et à ces formateurs à l’esprit critique.

Chers Amis,

La professionnalisation rampante de l’enseignement, accorde, dans toutes les disciplines, non sans raison, une large place aux techniciens. Mais elle ne peut pas faire l’impasse sur ces professeurs inspirés, humanistes et singuliers.

Ces médiateurs d’un savoir joyeux et foisonnant.

Ces explorateurs des continents mystérieux des idées nouvelles.

Ces lutteurs de la dialectique du temps contre l’inertie du destin, qui soumettent au rationnel critique, constructif et sensé, le réel souvent absurde du monde.

Ils sont les « Sisyphe », qui savent que l’homme est la seule créature qui refuse d’être ce qu’elle est.

Alors, avec eux, et comme Camus, « Il faut imaginer Sisyphe heureux ! »

 

Collège Notre-Dame de Jamhour, LIBAN
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