Dîner des éducateurs
6 juillet 2007

Mot de M.Joseph Salamé

 

Révérend Père Recteur,
Chers Collègues du Collège Saint­Grégoire et du Collège de Jamhour,
Chers Amis,

Ceci n'est pas un discours d'adieux ! Ceci est un témoignage !

Y a­ t-­il une façon d'aimer plus redoutable que celle de craindre de perdre, un jour, l'objet de son amour ? Ce jour est-­il arrivé ?

Dicté par la loi du changement, partir s'inscrit dans le cours naturel de la vie. Même s'il y a en chacun de nous un mousquetaire téméraire, fier et fougueux, prêt à bondir et à se jeter dans la mêlée pour faire son devoir, partir demeure sans conteste douloureux. Une décision plus facile à prendre qu'à vivre. Partir implique un détachement. Dans mon cas, un arrachement. Il est perçu par certains comme un abandon. Néanmoins faut-il se lamenter, empirer le malheur et, quand il n'existe pas, l'attirer !

Au moment de partir, je préfère me rappeler qu'ensemble nous avons passé 6 années au Collège Saint­-Grégoire. Ensemble, nous avons fait de grandes et de belles choses. Ensemble nous avons traversé des épreuves. Ensemble, nous avons patiemment et inlassablement construit ce collège.

Et, s'il faut oublier les jours de rentrée, les cours en classe, les rassemblements, les récréations, les réunions, les messes, les conseils de classes, les fêtes, les kermesses. S'il faut oublier, tout ce qui a ponctué notre quotidien. S'il faut oublier les sentiments qui nous ont animés, les peurs et les colères, les tristesses et les joies, comment oublier que ces 2 dernières années, et en raison du chantier, le grand collège s'était rétréci, dans sa superficie utilisable, comme peau de chagrin. Comment oublier que dans ses locaux, le collège n'existait plus que sur 1500 m² utiles, bâtiments et terrains compris !

Dénué de tout sauf des compétences de ses personnels, de leur désir et de leur idéal, le Collège Saint-­Grégoire fut pendant ces années, celui des personnes de bonne volonté qui manquant de locaux, de moyens et parfois de reconnaissance, n'ont jamais manqué de mérite, de talent, de créativité et de persévérance.

Mais n'est-­ce pas cela historiquement l'esprit de notre établissement. Celui qui, il y a 84 ans, a présidé à sa fondation. Un esprit du service éducatif, porteur d'un projet, par des personnes, pour des personnes. Un esprit du combat existentiel, puisant sa force davantage dans l'énergie de la foi et la richesse des capacités, que dans la sobriété des moyens.

Et l'institution s'éleva lentement et sûrement ! Une institution qui selon Camus « bride sans briser et conduit sans écraser » !

Une institution est une structure, un esprit et des hommes. Les hommes fondent les institutions pour inscrire le service dans la qualité et la durée. Pour construire l'avenir dans la continuité du projet. Enfin, pour réduire les nuisances du pouvoir personnel.

Ce que l'institution a de spécifique, c'est de vivre de sa propre vie. Bâtie par les personnes qui en constituent le corps, elle permet de comprendre que le pouvoir institutionnalisé est séparé de la personne qui l'exerce. Il est exercé pour le temps déterminé d'un mandat. À l'expiration duquel mandat, le pouvoir institutionnalisé doit être transmis régulièrement et dans les formes à un successeur. On appelle cela l'alternance : le changement dans la continuité !

Aujourd'hui le nouveau Collège Saint-­Grégoire est en train de naître. Il est en marche. Doté de moyens substantiels pour poursuivre sa mission, sa réalisation dans la pierre est en voie d'achèvement.

Pourtant, et comme tout projet, il demeure inachevé.

En effet, son avenir ira à la rencontre de 3 défis :

­Le défi du niveau par la formation à l'excellence et aux compétences.

­Le défi des relations du collège avec son environnement et dans son contexte. Mais aussi des relations avec les membres de sa communauté éducative et des membres de cette communauté entre eux.

­Le défi enfin de l'identité du collège, entre son histoire et son avenir. Et plus particulièrement, la place qu'occupera Saint­-Grégoire, son rôle et son apport au sein de l'univers pédagogique de Jamhour.

D'autre part, son parcours futur devra échapper à 3 tentations :

­La tentation du spectaculaire aux dépens de l'excellence et de la formation de fond. Saint­-Grégoire doit faire apparaître et donner à voir, ce qu'il est réellement, véritablement.

­La tentation de la facilité dans l'autosatisfaction ou l'isolement, aux dépens de l'ouverture, curieuse à la nouveauté et disponible aux autres.

­La tentation enfin de la discorde interne due à l'individualisme, aux dépens de la solidarité et du bien-­vivre ensemble qui lient entre eux les membres de la même communauté éducative.

Je suis sûr que le Collège Saint­-Grégoire, par la résolution de ses membres saura affronter ces défis. Par leur ténacité, il saura s'éloigner de ces tentations.

Sans être dans la douleur de la nostalgie, avec affection et amitié, je jette un regard serein sur le passé vécu ensemble et j'en retiens 3 enseignements :

­Une leçon d'histoire car l'histoire de Saint­-Grégoire est un héritage, une identité et un combat. On n'échappe pas à son histoire, mais on l'écrit tous les jours.

­Une leçon de vie car œuvrer à Saint­-Grégoire c'est travailler dans la joie et non dans la contrainte ou l'aliénation. Un travail joyeux qui transcende les inévitables petites misères du quotidien. Ici, l'esprit inspire non pas la production de l'utile mais de l'école comme lieu de vie et comme milieu de réjouissance.

Enfin, une leçon d'humanité, celle donnée par les personnes de Saint­-Grégoire. Femmes et hommes, professeurs, employés, élèves et parents, ils sont les gardiens, les garants de cet esprit. Ils l'inspirent et le réalisent. Ces personnes de bonne volonté sans lesquelles aucun projet n'est réalisable, sont le trésor de Saint-Grégoire. Elles en tissent l'histoire et en perpétuent l'esprit. Avec elles, cet esprit a fleuri en reconnaissance et s'est épanoui en amitié. Ce fut pour moi, un honneur et un plaisir de servir avec vous les objectifs de ce collège.

Défis à relever, tentations à conjurer, enseignements à tirer, voici une bien lourde tâche qui attend mon successeur. Je la félicite car avec la liberté de l'esprit, la finesse du cour et la détermination de l'action qui sont les siennes et que je lui connais bien, une certaine idée de Saint­-Grégoire vivra !

Le Père Recteur, refondateur du Collège Saint­-Grégoire, initiateur et mentor de son projet et porteur de son évolution, après avoir désigné Maroun Checrallah pour superviser la relance de ce Collège, après m'avoir confié un mandat, qui a voulu inscrire l'institution dans une démarche de rigueur et de développement passionné mais raisonnable, le Père Recteur, en nommant Christiane Tuéni à la barre, confirme par là sa volonté de faire du Collège Saint­-Grégoire un pôle d'excellence, d'ouverture culturelle et de qualité.

Fille du premier préfet laïc à Jamhour, première dame préfet au Collège Notre­-Dame de Jamhour, elle sera la première directrice d'un collège jésuite au Proche­ Orient ! Femme de caractère, d'autorité et de cœur, Madame Tuéni ajoutera à sa vision passionnée et sensée d'un collège en projet, la puissance de l'intelligence et les couleurs de l'imagination.

Merci à l'équipe de direction de Saint­-Grégoire, des responsables de cycle, à l'intendance, au secrétariat et à tous les professeurs et les personnels, pour les succès accomplis. Ils ont été les vôtres. Ce qu'il a été possible d'effectuer, le fut grâce à l'implication de chacun. C'est à cette condition que ces réalisations ont impulsé un élan de fraîcheur et un souffle nouveau au Collège Saint­-Grégoire. Ce que vous avez semé a germé. Il pousse et fleurira. Vers le soleil mettez le cap, la lumière de l'Illuminateur longtemps vous guidera. J'exprime ici mes regrets pour les afflictions involontairement infligées aux personnes, parfois malmenées par ma maladresse et mes humeurs.

Merci au Révérend Père Recteur pour sa confiance indéfectible et ses encouragements renouvelés. Depuis l'âge de 4 ans, lors de mon entrée en classe de 12e, j'ai connu 6 recteurs. 3 au cours de mes 13 ans de scolarité et 3 durant mes 21 ans en tant que membre du corps professoral. Chacun de ces 6 recteurs fut pour moi marquant à sa manière. Je voudrais ici évoquer leurs empreintes remarquables, à jamais inscrites dans ma mémoire et, je n'en doute pas, dans l'histoire de Jamhour.

Le Père Bonnet­-Eymard, père fondateur, majestueux, et hiératique, grand seigneur, drapé de réserve, d'élégance et d'humanité.

Le Père Dalmais, pédagogue éclairé, énergique et affable, empreint de profondeur, de foi et de rectitude.

Le Père Dagher, fin politique, à la fois stratège chevronné et habile tacticien.

Le Père Madet, législateur et grand administrateur, homme d'État et honnête homme, vertueux, juste et généreux.

Enfin le Père Daccache, héritier et dépositaire de toutes ces valeurs, père fondateur du « nouveau Jamhour », entrepreneur courageux et promoteur résolu du Collège et de son image. En pionnier visionnaire et missionnaire moderne, ce « Fakhreddine » audacieux de la principauté jamhourienne, en a repoussé les frontières, d'abord à la reconquête d'Achrafieh et maintenant jusques aux confins de « l'Arabie heureuse » !

Grâce à lui et grâce à vous, Saint­-Grégoire fut pour moi un merveilleux espace de liberté de parole, de pensée et d'action. Les traces que vous laissez en moi s'infiltrent jusqu'aux fibres intimes de mon être. « Être à Saint­-Grégoire, c'est être pour Saint-Grégoire ! ». Les personnes passent, mais les actes, les liens et les souvenirs demeurent. Je quitte ces lieux et j'emporte dans mon cœur, vos visages et vos sourires.

Révérend Père Recteur, Chers Amis,

Ceci n'est pas un discours d'adieux ! Ce ne sont que quelques réflexions pour moi-­même. Des pensées pour me donner le courage de partir !

Je ne m'imaginais pas, il y a 28 ans, en octobre 1979, qu'un jeune conscrit, un « bleu », comme moi qui faisait ses premiers pas, avec une poignée de jeunes collègues, de « l'autre côté de la barrière », aurait pu un jour devenir un « grognard » et serait appelé par conséquent à prendre la parole comme un « vieux de la Vieille ». J'entends la « Vieille garde », celle qui « meurt et ne se rend pas » !

Grognard fils de grognards, mes parents ont totalisé à eux deux 90 ans de service au collège : 70 ans pour mon père et 20 pour ma mère. En y ajoutant les 20 ans de service de mon frère, les 50 ans de mon oncle et les 10 ans de ma tante, la famille Salamé aura totalisé près de 2 siècles au service des Jésuites !

D'une certaine manière ce témoignage est un hommage à leur mémoire. Ce que je suis devenu, je le leur dois. Je le dois aussi à tous mes maîtres dans ce collège. 11 pères jésuites qui furent directement mes professeurs, ainsi que des dizaines de laïcs, comme vous ici présents, compétents et passionnés. Grâce à eux, je me considérerai toujours, comme un grognard fils de grognards, fantassin, engagé volontaire dans la « Grande armée » de la Compagnie de Jésus.

À vous toutes, à vous tous, qui faites, aujourd'hui, Saint­-Grégoire et Jamhour, « (spiritu, corde et practice) de l'esprit, par le cœur, pour l'action » comme l'aurait souhaité Jérôme Nadal. À vous, moins anonymes que vous ne le pensez. Plus connus pour ce que vous êtes et reconnus pour ce que vous faites. À chacune et chacun que je ne peux pas ici personnellement nommer, j'exprime mon admiration, réitère ma reconnaissance et dis du fond du cour : MERCI !

 

Collège Notre-Dame de Jamhour, LIBAN
Bureau de Communication et de Publication © 1994-2008