Rentrée 2003
Perdre son temps pour construire son projet

Message du P. Recteur au Corps enseignant et éducateur
Pour l'année scolaire 2003-2004
« Construire, c'est bien la noblesse de notre métier d'enseignant et d'éducateur »

 

Voir aussi la version flash rentree2003.swf [swf 2935 kb]

            Le thème directeur de cette année scolaire, tant pour les élèves que pour la communauté éducatrice est, comme vous le savez, le suivant : « perdre son temps pour construire son projet personnel ». L'éditorial publié dans l'agenda scolaire de l'année 2003-2004 trace les grandes lignes des conditions pédagogiques pratiques de la réalisation d'un tel projet. A un certain moment, il est clairement dit à l'élève, à tout élève, qu'il n'est pas seul dans ce travail où il apprend à s'ordonner et à s'organiser, à acquérir des méthodes pour apprendre et développer ses aptitudes : il peut compter sur l'adulte, qui est l'enseignant et l'éducateur et tout autre accompagnateur dans le cadre du Collège, comme il peut compter sur ses parents et ses amis. Pour arroser « sa rose » et l'aider à croître et grandir, le jeune a besoin de perdre le temps qu'il faut pour cela, mais ce qui est plus important c'est de l'aider à savoir comment et pourquoi gérer son temps.

         « Perdre son temps pour construire son projet ».

         Vous allez voir que notre communauté éducatrice sait perdre son temps pour construire, car mon intervention sera mise sous le signe de construire ; c'est bien la noblesse de notre métier d'éducateur et d'enseignant.

       Nous commençons cette séance par un acte du regard : voir ce jeune homme, le Petit Prince, que vous connaissez bien, discutant avec le renard qui demande, à tout prix, à être apprivoisé,  car le renard se sentait seul, laissé à ses habitudes de manger les poules. La rencontre avec ce Prince venu d'ailleurs lui a montré que le bonheur était ailleurs, dans la présence d'une personne qui est là pour soutenir et accompagner. Voir, de même, ce Petit Prince en train d'arroser sa rose avec amour, que le soleil toutes lumières derrière lui met en évidence. Il perd son temps avec elle, il prend le temps qu'il faut pour s'en occuper car il s'agit de sa rose. Jusqu'au point où le renard fait remarquer au Petit Prince qu'il est devenu responsable de celui qui a été apprivoisé, de sa fleur, quoiqu'il y a, pour le Petit Prince, quelqu'un qui est plus important.

            Comme nous le savons, le livre d'Antoine de Saint Exupéry est devenu une pièce essentielle du patrimoine de l'humanité. L'un des messages qu'il contient est le suivant : démasquez-vous, allez au plus profond de vous-même, trouvez votre rose, le sens de  votre vie, votre bonheur, là où la vie est en profusion. Pour construire son projet, pour mettre en ouvre ses aptitudes et se réaliser, il faut bien perdre son temps sinon prendre tout le temps qu'il faut pour y arriver. Un message qui s'adresse à tout apprenant, mais encore à nous-mêmes puisque nous avons choisi d'être des accompagnateurs et des modèles pour l'enfant qui cherche à grandir.

            Ainsi, au moment de quitter le temps estival et de renouer avec le rythme des journées scolaires, au moment où nous sommes en train de retrouver nos chers élèves, il est normal de nous redire la direction de nos projets et de nos engagements. De quoi sera faite notre rentrée ? Notre année scolaire ? Vers quoi, vers qui repartons-nous ? Avec quoi et avec qui allons-nous avancer ? Dans quel état d'esprit allons-nous vivre le règlement ordinaire ? Saurons-nous donner sens aux différentes activités scolaires et pédagogiques, humaines et spirituelles dont nous avons la charge ? Saurons-nous, chacun à sa place, aider chaque jeune à mieux élaborer son projet personnel qui le fait grandir en humanité ? Il est important pour nous, communauté éducatrice, de nous arrêter à la question du sens et de l'esprit  que nous comptons donner à nos différents travaux car un travail,quel qu'il soit,  acquiert sa valeur, sa juste valeur lorsqu'il a un sens qui nous fait apercevoir la raison d'être et la finalité de notre action, de la mise en place d'une structure administrative, d'une construction ou d'une restauration, d'un calendrier..  Ce sens des choses de notre Collège, je vais essayer de le saisir avec vous et pour vous à travers les points suivants :

  1. Les grâces d'une année jubilaire
  2. Construire, restaurer et entretenir : des projets au service d'un projet éducatif, au service de l'humain en l'homme
  3. Les sessions de formation continue de septembre 2003
  4. Un élève en projet, son modèle : un éducateur en projet

1) Les grâces du jubilé

        L'année 2002-2003 a été bien marquée par la célébration du jubilé du Collège, sous le triple appel à un approfondissement de notre mission dans les domaines du savoir, du croire et du servir ; revenir aux sources, lire l'expérience éducative de Jamhour, devait mieux asseoir notre engagement pour l'avenir. A travers les colloques, les groupes de travail et de réflexion, les célébrations et les moments de fêtes, les signes et autres productions, nous avions bien senti la place remarquable qu'occupe notre Collège dans le paysage éducatif national. Mais cela ne peut que nous rendre plus conscients de l'importance de notre tâche, des défis et des attentes de notre environnement. Je voudrais ici remercier toutes les personnes qui s'y sont engagées, je suis sûr qu'elles ont senti ce plus du jubilé qui est fait d'enthousiasme, d'esprit d'unité et de solidarité, de confiance en l'autre et de foi en Dieu. Je reste à la fin de cette année avec les sentiments suivants:

            - Ce qui a été réalisé et accompli ne pouvait être le fruit de nos seuls efforts humains ; il y avait une force qui nous soutenait et nous accompagnait. Sachons remercier le Seigneur Dieu pour toute grâce qu'il nous a faite.

            - Cette année a été un moment de prière suivie de conversion intérieure, mais qui saura toucher les structures et les comportements. La conversion est un retour aux sources ignatiennes et évangéliques de l'agir quotidien dans notre métier d'éducateur, mais la conversion sera réellement réussie lorsqu'elle devient une fidélité et une attitude de foi et de justice, à travers l'épreuve du temps.

       - Grâce à l'implication de l'équipe éducatrice et à son directeur délégué et grâce à l'engagement de plusieurs cadres enseignants et administratifs de Jamhour, le Collège Saint-Grégoire se trouve, 80 ans après, consolidé dans sa marche et sa mission. C'est encore un motif pour rendre grâces et maintenir le cap pour que notre travail soit un réel service d'éducation.

 2) Construire, restaurer et entretenir : des projets au service d'un projet éducatif, au service de l'humain en l'homme

Construire, c'est réaliser des projets immobiliers au service de notre projet éducatif. C'est se donner des moyens pour optimiser les chances de réussir notre éducation et notre formation en tout domaine. C'est se donner des espaces pour respirer et  pour assurer le vivre ensemble.  
Les projets, dans le domaine immobilier, réalisés sous la supervision du service de l'Intendance, pendant l'été 2003, ont été les suivants :

Travaux exécutés par le service de l'Intendance durant l'été 2003

Grand Collège

Petit Collège

Saint-Grégoire

Construire, c'est former des hommes et des femmes pour les autres (photos MEJ, CAS, mission, scouts, été 2003 au Centre Sportif.)
Mais la construction d'une maison ou la restauration d'une église est un acte profondément culturel. Elle cherche le bien-être de l'homme et lui rappelle que la construction de l'homme, de sa vie et de son projet personnel est l'objectif de toute vraie éducation. Durant cet été 2003, beaucoup de nos élèves, dans le cadre des mouvements, des comités et des groupes de volontariat social et spirituel, ont consacré leur temps pour se construire en apportant la joie aux autres. Ainsi un camp (groupe missionnaire 1re) un chantier social (CAS) et un centre aéré (CAS), une colonie de vacances (Jamhour 2003 au Centre Sportif) et les camps scouts et MEJ, ont marqué l'été du Collège.

Nietzche a dit : « creuse profondément là où tu es ». Les lieux et les médiations d'engagement au Liban ne sont pas nombreux. Une des missions du Collège est d'aider les jeunes à apprendre la vie citoyenne, d'approfondir leur engagement spirituel et religieux, d'inciter au volontariat et au service des plus pauvres, de développer  la culture physique et sportive.
C'est dans l'engagement intellectuel, spirituel mais surtout dans l'engagement concret, social et citoyen, communautaire, dans la vie d'équipe et dans les compétitions sportives que nos jeunes trouvent un aspect important du sens de leur vie. Cet engagement est libérant des multiples tentations et de situations stériles allant de la drogue, l'ennui, la dépression, la solitude. Beaucoup d'entre vous ont fait cette expérience de travail avec les mouvements et je ne peux que solliciter votre désir d'être accompagnateurs dans ce domaine. Même la relation avec les jeunes se trouve transformée, et toujours plus vraie.

3) Sessions de septembre

Les 15 premiers jours du mois de septembre sont devenus un «  must » pour le corps enseignant et les éducateurs. Les sessions sur l'accompagnement, l'orientation, le projet , les différents de la didactique etc. ont été des moments forts pour acquérir de nouvelles compétences, mais aussi pour confronter nos expériences d'enseignants, s'apprécier, s'auto évaluer et reprendre le flambeau. Le temps des sessions est le signe que nous prenons notre métier au sérieux.

4) Un élève en projet, son modèle, un éducateur en projet

 Au terme de ces informations qui racontent quelques aspects de la vie de notre Collège, je voudrais, à partir de quelques données de la tradition spirituelle et pédagogique ignatienne, vous donner quelques repères pour notre agir quotidien d'éducateurs :

Quelle peut être notre contribution d'éducateurs pour aider l'élève à mieux réaliser son projet personnel ?

 1 - Une attitude : le préjugé favorable. Dans le livre des Exercices spirituels, Saint Ignace développe cette attitude, si profitable à l'éducateur et à l'apprenant de la manière suivante :

« Pour celui qui donne les Exercices Spirituels aussi bien que celui qui les reçoit y trouvent davantage d'aide et de profit, il faut présupposer que tout bon chrétien doit être plus prompt à interpréter en bien les paroles de son prochain qu'à les condamner. S'il ne peut les interpréter en bien, qu'il lui demande comment il les comprend ; si celui-ci se trompe, qu'il le redresse avec amour. Si cela ne suffit pas, qu'il cherche tous les moyens bons pour l'amener à une vue juste pour le tirer de son erreur. (ES 22) »

Robert Rosenthal, dans son célèbre livre Pygmalion à l'école, n'a pas dit mieux à la suite d'un test entrepris par deux catégories d'élèves : "les préjugés favorables des maîtres peuvent affecter les performances de leurs élèves". Il ajoute : "si des animaux considérés comme plus brillants par leurs dresseurs devenaient effectivement plus brillants grâce aux préjugés favorables de ceux-ci, cela pouvait être aussi pour les écoliers". Vous serez d'accord avec moi pour confesser que saint Ignace a mieux parlé : avant de juger négativement, ayez l'attitude de l'adulte qui se fait le devoir d'encourager et de féliciter.

2 - Une conviction : l'accompagnement. Saint Ignace, dans la mouvance de la tradition spirituelle, met le retraitant en présence de quelqu'un, un accompagnateur qui a déjà fait l'expérience de la rencontre avec l'Esprit de Dieu, quelqu'un qui a déjà élaboré, à partir de la rencontre de sa volonté avec celle de Dieu, son projet de vie. Le P. Kolvenbach, dans un célèbre texte publié par la revue Etudes, parle du maître et de l'éducateur adulte qui accompagne l'élève parce que lui-même a fait l'expérience d'organiser et de réussir sa vie en fonction d'un objectif qu'il s'est fixé. Comment peut-on parler d'un projet de l'élève si on n'est pas porteur soi-même d'un projet ? Comment peut-il guider l'élève vers ce qui est beau et vrai, si lui-même n'a pas goûté et senti et construit ce qui est beau et vrai ? Philippe Meirieu, un technicien de l'éducation, parlant de la formation des enseignants dit ce qui suit :

"On ne peut pas comprendre le métier d'enseignant si l'on ne reconnaît pas d'abord sa dimension symbolique, si on ne reconnaît pas que l'enseignant est d'abord quelqu'un qui porte un projet, qui porte le projet d'enseigner et on ne peut pas former les enseignants en dehors de la prise de conscience de ce projet. On ne peut pas simplement les former ni par imitation, pour reprendre les cinq paradigmes que j'ai évoqués, ni simplement à travers de la culture générale, ni simplement à travers des compétences juxtaposées, ni même à travers un constructivisme très élaboré, il faut, je crois, les former en reconnaissant cette dimension symbolique du métier d'enseignant et en s'appropriant avec eux ce qu'est véritablement le projet d'enseigner.

Le projet d'enseigner est réellement un projet de former l'élève aux méthodes d'accès aux contenus du savoir, à éveiller son intelligence et développer sa capacité de réflexion, à gérer son temps, à savoir comment transférer et appliquer. Projet de former, mais pas tellement de sélectionner. Même si quelqu'un n'a plus sa place à Jamhour, il doit quitter le Collège avec le minimum de formation requis pour sa classe.

3 - Cette dernière phrase ouvre sur un nouveau point : le fait d'être maître et éducateurs nous confère une autorité et un pouvoir. Ecoutons ce que dit Saint Ignace à propos de cette réalité : Celui qui donne les Exercices. doit chercher . la volonté de Dieu et . attendre jusqu'à ce que notre Créateur et Seigneur se communique à l'âme qui se dévoue à lui et l'embrassant, la dispose à son amour. Que celui qui donne les exercices ne penche ni n'incline d'un côté ni d'un autre, mais restant au milieu, comme l'aiguille d'une balance, qu'il laisse le Créateur agir immédiatement avec sa créature et la créature avec son Créateur et Seigneur. (An 15). Quelle belle leçon est donnée à nous tous, recteur, préfets, coordinateurs, enseignants éducateurs sur le sens de l'autorité que nous avons ! L'autorité doit toujours être un pouvoir pour le service de notre mission, dans le respect mutuel, il faut éviter les excès de langage entre nous et avec nos élèves, éviter les abus qui nous placent dans des rapports de force et des conflits inutiles et qui aboutissent à une destruction des valeurs.

Le Collège a renforcé cette année ses structures d'accompagnement : responsable de classe, tuteur, conseillers d'orientation mais aussi chaque enseignant, sont appelés à assumer un rôle d'écoute et de conseil.

Cela n'est nullement une mise en question de punir lorsqu'il le faut, notre règlement intérieur rénové donnant des indications précises lorsqu'il le faut.

4 - "Ce n'est pas l'abondance du savoir qui rassasie l'âme et la satisfait, mais de sentir et goûter les choses intérieurement" (2de Ar). Voici un principe ignatien qui peut guider notre exercice d'enseigner. Par les exercices les devoirs surveillés, par l'expérience que fait l'élève d'apprendre par lui-même, nous pouvons susciter l'intelligence, le questionnement et la réflexion, mettre l'élève sur la voie de la créativité ou de l'invention, à la manière de la théorie de l'accouchement élaborée par Socrate.

 

En ce qui concerne plus directement les élèves

 

1 - Mettre l'accent sur la volonté : dans ses Exercices, Saint Ignace invite le retraitant à exprimer ce qu'il veut de telle ou telle prière ou telle attitude. "Demander ce que je désire, ce que souhaite ." La spiritualité ignatienne est une école du désir et du vouloir : sans être volontariste, la pédagogie jésuite incite l'apprenant à mettre en ouvre ses aptitudes et ses capacités, à les inciter à se réaliser. Un enseignant qui sollicite son élève par la question "qu'est-ce que tu veux dire ? Que désires-tu ? " est un éducateur qui forme cet élève à prendre des décisions, à se jeter dans un choix. Notre Centre d'Information et d'Orientation est appelé à contribuer, d'une manière concrète et efficace, à cette formation au choix et à la détermination.

2 - Dans les Exercices spirituels, saint Ignace invite le retraitant à choisir à l'avance le lieu, le moment et la durée de sa prière et à s'y tenir. Tout projet pour se concrétiser et se développer a besoin d'un terrain, d'un lieu et d'un espace. La classe est ce lieu où se développe le projet de chacun. La classe n'est pas l'addition d'un nombre d'individus ; c'est le lieu  où chaque apprenant, par son nom et son prénom, se construit son propre projet de vie. Chaque élève est appelé à apprendre à gérer son lieu et son temps. C'est difficile mais sachons motiver l'enfant pour qu'il apprenne les règles de cette gestion.

3 - Un thème récurrent dans la spiritualité ignatienne est celui du passage du désordre à l'ordre, d'une vie désordonnée à une vie ordonnée. Le respect de la discipline individuelle et de classe commence par un contrat, clair, net et précis passé entre la classe et son professeur. Il ne faut pas tout attendre d'un règlement ou d'une proclamation d'exigences communes. Il y a, plus importante, la parole de l'éducateur qui exige respect et calme pour que chacun ait le droit de travailler, sur un plan plus pédagogique, être ordonné est une compétence nécessaire à acquérir.

4 - Enfin dans ce projet personnel de l'élève, une place importante devait être accordée aux différentes modalités de l'expression écrite, orale, artistique, expérimentale et technologique. Il est intéressant de voir combien Saint Ignace insiste sur l'expression dans ses Exercices, comme si une vraie relation entre le retraitant et Dieu passe par l'exercice de s'exprimer, de converser, de laisser des traces authentiques de l'expérience d'avoir été éduqué par Dieu Lui-même.

Avec Saint Exupéry et son Petit Prince, j'oserai dire que l'enseignant et l'éducateur sont des éveilleurs de sens à ce qui y est fait par l'élève, à l'école et à partir de l'école. Le sens, cela provient de ce qui a une valeur et une valeur qui dure et qui grandit dans la durée. Au cour des programmes et des savoirs enseignés, n'oublions pas que le pouvoir le plus vrai, que nous possédons, est celui de motiver pour que chaque élève puisse créer la valeur et vivre les valeurs qui ouvrent les portes de la réussite d'une vie. C'est à ce moment là que nous pouvons être fières et fiers de notre mission accomplie et des promesses qui sont déjà enracinées dans la vie du jeune.

Je ne peux que vous souhaiter une bonne année scolaire pleine de promesses, de bien et de joie. Veillez sur votre rose car elle fait partie de votre être.


Collège Notre-Dame de Jamhour, LIBAN
Bureau de Communication et de Publication © 1994-2008