Assumer tout l'humain dans l'homme

 


Introduction

Ce qui est à l'origine de notre système pédagogique jésuite, ce ne sont pas les idées d'un théoricien génial, ni celles d'un éducateur expérimenté, mais, dans le XVIème siècle commençant, c'est l'aventure spirituelle d'un homme, Ignace de Loyola, qui disait lui-même qu'il s'était laissé éduquer par Dieu, comme un petit enfant par son précepteur, et qui ressentit, dès sa conversion le grand désir de partager cette éducation essentiellement spirituelle, avec d'autres qui, comme lui, cherchaient une rencontre personnelle avec Dieu. Cette pédagogie est traversée toute entière par un optimisme inspiré par la foi dans l'ouvre de Créateur et Sauveur, au travail en tout être humain et en toutes choses créées (cf. Contemplation pour obtenir l'amour). Cet optimisme était puisé dans la conviction très forte que l'éducation accomplit sa lourde tâche, en harmonie avec le dessein de Dieu sur l'homme et sur le monde.

Mais cet optimisme n'est pas un optimisme idéaliste, naïf et aveugle, c'est un optimisme lucide. Certes le monde a été créé par Dieu pour l'homme et son bonheur (cf. Principe et Fondement). Mais Ignace qui connaissait bien la nature humaine et avait expérimenté, dans sa propre vie, le défi qui oppose la liberté de l'homme  au projet de Dieu, savait que l'homme est fragile et peut abuser des biens de ce monde, et dégrader la création par son orgueil et son égoïsme. Ainsi l'optimisme de St Ignace se double d'une autre caractéristique de sa vision du monde, c'est le réalisme et l'esprit de discernement : l'homme est appelé à se convertir et à convertir le monde déchu par sa faute, et à l'orienter à nouveau vers Dieu.

La pédagogie jésuite est donc l'expression d'une spiritualité qui repose toute sur une vision toujours conjointe de la nature et de la grâce. Pour St Ignace, il n'y a pas de surnaturel surajouté ou séparé, il n'y a pas seulement des âmes éprises d'une sainteté idéale et irréelle, mais des hommes engagés dans des conditions temporelles. Aucune liberté pure, toute faite, mais des libertés qui se conquièrent lentement et progressivement sous l'action de la grâce et accèdent à l'équilibre humain et spirituel ("Il est nécessaire de nous rendre indifférents").

Vouloir le salut du prochain, ce n'est pas seulement lui parler de Dieu, mais lui permettre de s'épanouir humainement de telle sorte qu'i se rende capable d'entendre Dieu et capable de lui répondre. Ainsi pourra-t-il devenir un homme au sens plein du mot, c'est à dire un fils de Dieu. Les jésuites ont souvent été critiqués par leur tradition "d'humanistes". Dans le conflit entre jansénistes et jésuites au 17e siècle, on a voulu montrer que les jansénistes donnaient le goût de Dieu, tandis que les jésuites ne donnaient qu'une formation au bon goût, aux belles manières, et finalement n'étaient plus que des maîtres de mondanité. Cette opposition entre nature et grâce est aussi vieille que le christianisme.

Mais la position ignatienne est là-dessus sans équivoque pour travailler à la gloire de Dieu, il ne suffit pas de prêcher l'Evangile et d'administrer les sacrements : il faut encore que l'on accepte d'assumer l'homme précisément en ce qu'il a d'humain, dans sa sensibilité, dans son imagination, dans son effort vers un idéal de beauté et de vérité.

C'est bien en raison de cette exigence d'assumer tout l'humain dans l'homme que l'éducateur chrétien doit s'efforcer, selon Saint Ignace de faire appel à toutes les virtualités de l'enfant, pour l'aider à devenir un homme au plein sens du mot.

Son rôle primordial n'est donc pas d'enseigner, de transmettre un SAVOIR à un ignorant, d'en faire un pur intellectuel, mais de former (تكوين) un être intelligent et libre ; de le faire progresser dans la vérité et de l'aider à s'accomplir en plénitude.

C'est donc à partir de cette vision du monde et de l'homme de Saint Ignace, que nous pouvons redécouvrir les principes pédagogiques qui ont orienté et guidé les éducateurs jésuites et leur collaborateurs laïcs, depuis le XVIème siècle jusqu'à nos jours.

Ces principes pédagogiques peuvent se résumer en une seule formule qui a conduit nos réflexions durant l'année du Jubilé : "Assumer tout l'humain dans l'homme", formule qui s'explicite et se développe elle-même en quatre points :

-  Attention à la personne : l'a priori bienveillant

-  Une éducation pour une croissance de tout l'homme

-  L'apprentissage de la liberté

-  La recherche de l'excellence

Ces quatre points ont été examinés par les trois groupes ignatiens durant l'année passée, et je vais essayer de vous en donner une synthèse, pour éclairer la suite à donner à nos travaux.


L'attention à la personne : l'a priori bienveillant

Optimisme de Saint Ignace

"L'a priori bienveillant" a son origine dans une remarque faite par Saint Ignace au début des Exercices Spirituels à propos du climat qui doit entourer les rapports de celui qui accompagne le retraitant et celui qui suit ses directives durant la retraite. "Il faut présupposer, dit Saint Ignace, qu'on doit être plus prompt à interpréter en bonne part qu'à condamner une opinion ou une déclaration obscure d'autrui".

La pédagogie ignatienne prend sa source dans l'optimisme de Saint Ignace qui croit "au travail de Dieu en tout être humain" et qui croit dans les forces de l'homme, dans la réussite de l'exercice, dans la valeur de l'effort, dans les moyens qui gardent à l'âme son élan et son ardeur.

Ce qui se traduit au plan de la pédagogie : s'efforcer d'établir un climat de confiance et d'estime réciproque entre éducateurs et élèves, et avoir toujours au départ le préjugé favorable sur les dispositions et les intentions des uns et des autres.

L'éducateur doit présupposer les bonnes dispositions de la part de son élève, et devant ses déficiences et ses manquements, doit faire preuve d'optimisme, en donnant à l'enfant la possibilité de se corriger, et de progresser par rapport à lui-même.

De son côté l'élève donnera plus facilement sa confiance à quelqu'un qui saura se mettre à son écoute, et s'efforcera de voir le côté positif dans son comportement, de comprendre son point de vue, avant de le juger négativement.

Mais on remarque qu'au départ l'éducateur et l'enfant ne sont pas au même niveau : il n'y a pas équilibre des forces, mais plutôt des rapports d'opposition, étant donné le décalage qui existe entre l'éducateur qui sait et qui enseigne, et l'enfant qui ne sait pas et qui doit apprendre.

L'éducation consiste justement à supprimer progressivement ce décalage et cet écart, en amenant l'enfant à la hauteur de l'adulte, en se mettant à sa portée pour le faire progresser. L'autorité exercée par l'adulte ne doit pas être dominatrice, directive, magistrale, "autoritaire", mais respectueuse de l'enfant. Selon l'étymologie du mot "auctoritas" (en latin), il s'agit de rendre l'enfant "auteur de sa vie". Et l'éducation (également selon l'étymologie) c'est conduire l'enfant vers l'âge adulte (educere), le guider dans sa croissance, lui apprendre à vivre.

Comment favoriser un climat de confiance entre les éducateurs et les élèves ?

Respecter les élèves si nous voulons  nous faire respecter

Que l'éducateur respecte l'enfant qui lui est confié, respecte sa personnalité. Cet homme en devenir, cet être en croissance, cet enfant qu'il ne doit pas enfermer dans le moule trop étroit de ses certitudes, et de ses connaissances, mais l'orienter patiemment vers son avenir, l'aider à s'épanouir selon toutes ses virtualités, selon son originalité.

C'est bien là le drame de l'éducateur : cet enfant je dois le conduire, non pas où je veux, mais où il veut, lui, d'une volonté de nature, profonde, première, antérieure à ses vouloirs passagers, cet enfant, je dois le conduire à l'âge d'homme, non l'homme que je veux, mais l'homme qu'il doit être, par les dons, les appels, les instincts, les mouvement de grâce qui se mêlent en lui. Il faut que je l'aide à lire en lui-même son destin, que je sache remettre l'enfant à lui-même dès que possible, dès qu'il est capable de se conduire.

Apprendre à l'enfant à vivre, voilà de fait le mot essentiel. L'école qui n'apprendrait qu'à penser, ne ferait pas des hommes pour autant. A l'éducateur qui lui offre l'image de l'adulte qu'il souhaite consciemment ou non, de devenir un jour, l'enfant d'emblée donne sa confiance.

Devant l'adulte qui l'enseigne, le regard de l'enfant découvre spontanément les valeurs qui l'aideraient à grandir. D'un bon pédagogue, on retient les leçons, mais d'un maître on apprend à vivre - Cela commence en famille, avec les parents, les frères et sours ; cela se poursuit à l'école avec le maître. Le maître lui aussi transmet la vie.

Aussi la première condition pour un éducateur c'est d'avoir foi en cette vie ; c'est d'être capable de discerner au-delà de cet enfant le résultat final, et toutes ses possibilités futures. Le philosophe Jean Guitton, dans son essai sur l'amour humain, fait la réflexion suivante : "le secret de l'éduction est d'imaginer chaque être un peu meilleur qu'il n'est en effet". Cet optimisme n'est pas une évasion vers l'impossible, mais la reconnaissance du possible. Chaque enfant peut devenir meilleur qu'il n'est en effet. A nous, éducateurs, de ne pas arrêter son évolution de ne pas stopper sa marche en avant, mais au contraire de toujours l'aider à aller au-delà de ce qu'il est dans l'instant. A l'éducateur de donner à son élève cette leçon de confiance et d'optimisme devant la vie.

Ce qui est aussi important, c'est de ne jamais humilier un élève en le blessant, en lui adressant une "parole qui tue".

-  Éviter l'ironie corrosive, des plaisanteries de mauvais goût, des jugements à l'emporte-pièce qui stoppent la progression de l'élève, et peuvent provoquer l'agressivité de l'élève.

Etre bienveillant (vouloir du/le bien), respectueux, patient et attentif à toute la personne (cura personalis).

-  Etre attentif à chacun, considérer chacun comme une personne et non un numéro anonyme sur une liste - sans favoritisme pour les élèves plus doués, sans oublier les élèves ternes ou passifs. L'élève doit sentir qu'il est apprécié pour lui-même, en tant que personne.

Valoriser l'effort et le progrès réalisé

-  Evaluer le travail de l'élève avec optimisme, mais réalisme aussi. Ne pas le "classer" définitivement ne pas le "ficher" pour ne pas le figer, l'étiqueter. Danger du dossier.

-  Mettre l'accent sur les points positifs et encourager à faire effort sur les points négatifs.

Faire preuve d'humilité et d'humour

-  L'éducateur ne doit pas se sentir visé par l'attitude des élèves ;   il doit être capable de reconnaître qu'il n'est pas omniscient mais fait des erreurs ; il doit pousser les élèves à avoir leur propre avis, à argumenter ; il doit utiliser l'humour. Des initiatives sont à encourager car elles favorisent une relation de proximité entre les éducateurs et les élèves.

-  Pas de susceptibilité mal placée, de méfiance vis-à-vis des élèves. Le professeur en position de défense s'expose à l'agressivité des élèves.

-  Savoir reconnaître ses erreurs et ses torts, n'est pas nuire à son autorité, au contraire on cherche ensemble la vérité. Alors ne pas se prendre trop au sérieux, descendre de la "chaire de vérité", dans l'arène de la classe !

-  Montrer surtout que l'on aime son métier de professeur, que l'on est heureux d'être en classe. Donner aux enfants l'envie de devenir enseignant !

Etablir la confiance demande du temps

-  Malgré les programmes trop chargés, éviter la course, la précipitation source d'énervement et de stress. Le climat de confiance suppose des rencontres régulières pour communiquer, écouter, dialoguer. Donner aux élèves l'occasion de s'exprimer, dans la simplicité et la franchise. Entre enseignant et donc éducateur, c'et accepter de prendre le temps, d'offrir aux élèves des lieux de parole et d'écoute vraie (cf. heures de vie de classe).

Si le respect de la croissance de l'enfant est fait d'abord d'un acte de foi en l'avenir, il s'accompagne aussi de beaucoup de patience pour le présent. Car si l'éducateur doit deviner l'avenir dans le présent de l'enfant, il doit aussi respecter les rythmes de sa croissance et ne pas enfermer l'enfant, puis l'adolescent, dans le filet souvent impitoyable de ses impatiences et de ses programmations. Au milieu de notre époque bouillonnante, qui ne fait guère sa place au "loisir d'être" si nécessaire à la maturation de la personne, nous n'échappons pas à l'insidieuse contagion du "rendement". Nous bousculons l'enfant par notre fébrilité, et nous prenons des réflexes conditionnés de chien de berger! Non l'éducateur n'est pas un chien de berger, il est plutôt un semeur, il mise à long terme. Il doit accepter plus que tout autre cette dimension essentielle du temps, de la croissance. L'enfant, en effet pousse comme une plante. Tout éducateur doit donc avoir la patience "jardinière", la patience de quelqu'un qui entretient la vie, en lui donnant tout son intérêt, et tout son cour, au jour le jour, acceptant que les choses prennent le temps de mûrir. C'est la fécondité qu'il faut chercher, non l'efficacité ; la fécondité de la sève, et non l'efficacité de la tempête.

Nécessité d'une bonne coordination entre professeurs pour favoriser la confiance entre eux

-  Les structures d'accompagnement des élèves devraient être une aide pour favoriser le climat de confiance à l'intérieur du Collège. Mais cela demande ouverture et esprit d'accueil, respect des professeurs entre eux. Conseils de classes, tutorats, coordinateurs de matières - relations inter-disciplinaires, rapports des structures académiques (cf. préfets) avec les membres de l'aumônerie.

-  Avoir le sens de la collégialité. Pas de cloisonnement entre les matières. Trouver des occasions de rencontre. Pas de méfiance et de jalousie "ne marche pas sur mes plates bandes".

-  Accueil et aide bienveillante des nouveaux professeurs.

-  La coordination entre éducateurs peut jouer un rôle déterminant dans l'établissement d'une relation de confiance entre éducateurs et d'élèves. En effet, le fait que des éducateurs travaillent en coordination manifeste la confiance qui existe entre ces éducateurs. Le travail en coordination renforce la crédibilité de l'éducateur (ce qu'il enseigne est "validé" par d'autres) et, par son attitude, il témoigne de ce que la confiance est possible.

-  Malheureusement, actuellement, les relations entre éducateurs sont généralement empruntes de méfiance.

Respecter les exigences et les faire respecter

-  La démagogie et le laxisme ne sont jamais source de respect et de confiance à l'égard de l'éducateur.

-  Avoir un a priori bienveillant, s'efforcer de générer de la confiance ne signifie pas pour autant tout accepter de la part des élèves, ne pas leur mettre de limites. Bien au contraire.


Une éducation de toute la personne

-  "Pour travailler à la gloire de Dieu, (.) il faut, sous peine d'infidélité grave, que nous acceptions d'assumer l'homme précisément dans ce qu'il a d'humain, dans son imagination, dans son effort vers un idéal de beauté et de vérité.

-  C'est bien en raison de cette exigence d'assumer tout l'humain dans l'homme que l'éducateur chrétien doit s'efforcer, selon saint Ignace, de faire appel à toutes les virtualités de l'enfant, pour l'aider à devenir un homme, au sens plein du mot".

-  Il s'agit d'une formation totale de l'enfant dans toutes ses virtualités, afin qu'il devienne un membre à part entière de la communauté humaine, c'est-à-dire, le former intellectuellement, affectivement, artistiquement, sportivement .

-  Il faut apprendre à l'enfant à avoir un regard d'admiration et d'optimisme sur le monde et devant la création ; partager l'optimisme de saint Ignace, qui affirme la bonté et la beauté radicale du monde.

-  Il faut donner à l'enfant confiance en lui-même, lui faire découvrir par lui-même tous ses dons, afin de le rendre optimiste envers lui-même.

-  IL est important de découvrir chez l'enfant le moins doué les possibilités de progrès, et de l'aider à les découvrir lui-même, afin de lui permettre d'évoluer favorablement.

Susciter l'intérêt, le désir

-  Pour mettre en pratique cette éducation de toute la personne, il faut que l'éducateur donne son cours avec enthousiasme, afin de communiquer à ses élèves, la joie d'apprendre et la soif d'aller plus loin.

-  Une coordination entre les différentes disciplines est souhaitable, car elle permettrait aux enfants d'avoir plus de goût à apprendre, et plus d'enthousiasme, en prenant conscience de la cohérence et de l'harmonie interdisciplinaire. Un exemple concret : à l'occasion du Jubilé du Collège, les classes de 8e ont eu pour projet, la découverte de la forêt de Jamhour. Ce thème a été traité simultanément par plusieurs disciplines : sciences, français, recherche au CDI, théâtre, dessein.

Susciter l'activité et la créativité chez l'élève, faire s'exercer

-  Rôle essentiel de l'exercice. Le cours "magistral" ne doit être qu'un avant-goût, une mise en appétit du travail de découverte qui va suivre, ou en conclusion, la synthèse de ce travail collectif et l'évaluation des connaissances acquises. Pousser les élèves à réfléchir pour eux-mêmes.

-  Formons nos enfants à l'utilisation intelligente des moyens de communication modernes ; en effet une mauvaise utilisation de ces moyens, rendrait les enfants passifs, tout en leur faisant perdre de vue les valeurs. L'enfant doit apprendre à réfléchir, à raisonner, à former son sens critique, à faire des choix, devant toutes les images que les "mass media" lui fournissent abondamment, et de façon éparpillée et anarchique.

Rôle des matières artistiques, importance de l'orientation professionnelle, heures de vie classe, tutorat, développer l'autonomie des élèves, danger de l'académisme, importance des projets interdisciplinaires, etc.

Développer le sens de la solidarité dans le travail scolaire

-  Concours, et joutes oratoires, recherches documentaires, interviews, répartition des élèves en  camps adverses, en émules.

-  Favoriser l'entraide entre élèves à travers le travail en groupe, répartir les charges et les services.


Une éducation à la liberté

Etre exigeant en vue d'une liberté

Formation à la liberté, des libertés qui se conquièrent progressivement. Education à l'autonomie.

Réalisme de Saint Ignace. "Quand celui qui donne les exercices s'aperçoit qu'aucun mouvement spirituel ne vient dans l'âme de celui qui s'exerce, il doit beaucoup l'interroger sur les exercices, s'il les fait aux temps prévus, et comment ; de même sur les conseils supplémentaires, s'il les suit avec soin ; s'informant sur chacune de ces choses en détail. (ES 6)"

-  Il s'agit de lutter contre la permissivité ambiante - Ne pas céder sur les exigences importantes - Trop souvent les parents ont perdu leurs repères, et peut être aussi certains professeurs ? Il y a des priorités qu'il faut respecter, mais aussi des réglementations tatillonnes et inutiles. Voir l'essentiel et ne pas multiplier les exigences.

-  L'enfant doit comprendre que la liberté ne consiste pas à faire ce que l'on veut, et qu'il doit respecter les exigences de la vie en commun.

-  L'école doit aider les jeunes à devenir adultes : intérioriser les lois, faire le tri entre l'affectivité et l'objectivité.

-  L'indiscipline des élèves est souvent due à l'absence de règles claires et bien comprises.

-  Harmoniser les exigences en matière disciplinaire, dans une classe, dans une division, dans l'ensemble du Collège, en tenant compte, bien sûr de la différence d'âges.

-  Pour les lois, le mot clé serait : l'intériorisation des permis et des interdits, la reconnaissance des limites. Des interdits clairs, précis et stables sauf par effet de maturation avec l'âge ex. : l'heure du coucher, les sorties sans les parents.

-  Ne pas attendre avant de féliciter pour un acte bien accompli, ne pas sanctionner à retardement ; il en résulte une confiance absolue dans les jugements des adultes.

-  Enfin le but de l'éducation n'est pas de former des "bêtes de concours" ou de "petits génies", mais des hommes et des femmes capables d'affronter la vie dans toutes ses dimensions. On peut signaler à ce propos l'expérience d'élèves qui n'ont pas "brillé" dans leur vie scolaire, et qui ont parfaitement réussi dans la vie adulte, grâce à leurs qualités humaines, et non simplement par leur science et leur érudition.

En maintenant les exigences nécessaires, ne pas décourager l'enfant qui découvre ses limites

-  L'éducateur doit aider l'enfant à connaître ses limites, et à discerner entre le bien et le mal. Mais ne pas décourager l'enfant qui découvre ses limites, l'aider à les surmonter et à les dépasser par son effort et son désir de mieux faire.

-  Il est important d'insister sur le "Ce que je peux", en vue d'atteindre le "Ce que je veux", d'aider à distinguer ce qui ne dépend pas de moi de ce sur quoi j'ai barre, qui est à ma portée dans le proche avenir, non imaginaire.

-  Par exemple, un élève pourra se dire : "Mon niveau, mes connaissances et compétences actuelles ne dépendent peut-être pas de moi ; mais le fait de me lever à l'heure, d'avoir toutes mes affaires, de demander à prendre la parole dans un groupe, d'effectuer un programme d'exercices de remédiations, cela dépend de moi."

-  L'amener à faire des progrès dans un domaine à la fois, en commençant par le domaine où il a le plus de chance pour réussir et passer ensuite à ce qui est plus difficile pour lui (en lui suggérant des moyens pratiques pour y arriver).

-  Le rassurer sur le fait que nous l'acceptons tel qu'il est, avec ses qualités (différentes des nôtres) et ses limites (différentes des nôtres), lui parler de nos propres imites : nous sommes des êtres réels.

Former à l'autonomie : rendre l'enfant auteur de sa vie

Exercer l'autorité, c'est rendre l'enfant auteur de sa vie.

L'idéal de l'éducateur, c'est de se rendre inutile !

-  Amener les élèves à être autonomes, éviter le "cours magistral", qui maintient les élèves dans la passivité de l'auditeur. Le cours (= la pre-lectio) n'a pas d'autre but que de préparer les exercices qui vont suivre, et de susciter la créativité.

Tenir compte des étapes du développement, de la croissance : chaque élève doit pouvoir attendre les objectifs à son rythme. Insister sur ce qui est POSSIBLE de faire, et distinguer ce qui ne dépend pas de l'élève.

-  En pratique, la communication entre les professeurs est importante ; il faut pouvoir utiliser les informations échangées, de façon positive, pour aider l'enfant à progresser. Cela suppose une bonne connaissance des élèves, une bonne relation personnelle entre élèves et professeurs, et des enseignants entre eux.

-  La confiance est le premier chemin qui mène vers une acquisition toujours progressive de l'autonomie.

Le "magis" : la recherche de l'excellence humaine

-  Retrouver le sens : "les examens, les diplômes, la recherche des succès scolaires prennent ainsi leur sens : dépassant la vanité des statistiques, leur véritable rôle est de préparer des personnes capables d'assumer des responsabilités au service des autres et avec les autres". (PE)

-  Le terme de "magis" (davantage) est typiquement ignatien (il se trouve 77 fois dans les Exercices Spirituels) et la devise de la Cie "pour une plus grande gloire de Dieu" résume bien le dynamisme de la spiritualité ignatienne, devise qui se complète par une autre formule "et pour un plus grand service de l'humanité".

Saint Ignace qui, lors de sa conversion voulait se mesurer aux plus grands saints (Saint François et Saint Dominique), croit que sur le plan spirituel et humain, on peut toujours aller de l'avant et faire davantage, dans une progression dynamique et permanente, avec la grâce de Dieu.

-  Sur le plan pédagogique, l'enfant est invité à se surpasser lui-même: il ne doit pas se contenter de la médiocrité, de l'à peu près, du minimum requis.

-  L'éducation est un processus qui dure toute la vie ; l'éducateur jésuite s'efforce d'inculquer à ses élèves le désir d'apprendre, qui persistera bien au-delà du temps de l'école.

-  Le dynamisme optimiste qui sous-tend cette devise s'adresse aussi bien à l'éducateur qu'à l'enfant.

Faire progresser et donner le meilleur de soi

Le souci le l'excellence

-  Le mot "davantage" n'implique aucune comparaison avec d'autres, ni aucune manière de mesurer le progrès en fonction d'un niveau absolu ; c'est bien plutôt le développement le plus complet des possibilités de chaque individu à chaque étape de la vie, uni au désir de poursuivre ce développement pendant toute la vie et à la volonté de mettre au service des autres ces dons une fois développés.

En conclusion, l'éducation jésuite doit aider les élèves à réaliser que leurs talents sont des dons à développer, non pas pour une satisfaction personnelle et égoïste, mais plutôt, avec l'aide de Dieu, pour le bien de la communauté humaine. Elle insiste sur une attitude d'esprit qui voit le service des autres comme un plus grand accomplissement de soi-même que le succès ou la prospérité.

L'excellence visée est plus qualitative que quantitative

-  Elle vise plus l'être que l'avoir, les qualités humaines plus que la simple culture que les connaissances acquises et l'érudition.

-  L'éducation vise donc à former une élite, des leaders ; mais pourquoi ? Dans quel but ? - pour former des gens de valeur, qui puissent servir plus tard d'agents "multiplicateurs" pour influer ensuite sur leur milieu professionnel et familial, comme ils ont été influencés par leurs éducateurs. Mais ce souci de l'excellence dans la formation doit s'accompagner de lucidité : attention au piège d'une élite formée pour elle-même, en vase clos (danger de "l'élitisme"). Le moyen risque de devenir un but. Avoir le souci des classes pauvres, des plus petits, des ignorants, des laissés pour compte. Saint Ignace a tenu à ce que les jésuites fassent le vou spécial de se consacrer aussi aux petits enfants, aux déshérités, aux moins bien nantis.

Davantage ? Concrètement, on s'est demandé s'il ne faudrait pas au Collège diminuer l'importance des notes quantitatives, et privilégier les appréciations qualitatives, pour une meilleure évaluation ?

-  Ne faut-il pas accorder moins d'importance aux classements et aux lectures publiques des notes et résultats d'examens, qui peuvent décourager les élèves moins doués, les humilier inutilement ; ou exalter la vanité des plus brillants ?

-  Mais cela ne veut pas dire qu'il faille supprimer tout esprit d'émulation dans une classe ; c'est avant tout un esprit qu'il faut promouvoir et renforcer chez nos élèves, leurs parents et leurs professeurs ; nous débarrasser du culte excessif, de l'idolâtrie de la note, valoriser le mérite, stimuler l'effort, encourager la bonne volonté.

Susciter une "saine émulation" entre les élèves

Mettre en pratique

-  L'esprit d'émulation est un élément de la nature humaine et une exigence de notre société moderne, et sans doute un facteur positif de progrès pour chacun, et pour la collectivité de la classe, qui doit se sentir solidaire de ce progrès.

Une émulation bien comprise est le contraire de la compétition. Elle ne doit pas être un stimulant pour la jalousie, mais au contraire pour l'entre aide et la collaboration. L'éducation est une entreprise collective : l'enfant ne se forme pas tout seul ; bien sûr il mesure ses propres efforts par rapport à lui-même, mais il se mesure aussi par rapport aux autres, non pour les jalouser, ou les humilier par ses résultats, ou pour se décourager par ses échecs, mais pour se stimuler mutuellement à l'excellence pour pouvoir progresser ensemble.

Le magis est entrepris collectivement, les premiers de classe entraînant leurs camarades moins doués. C'est le but des "concertations", des "joutes oratoires" des "disputes" à la manière de la scolastique du Moyen Age, des concours de diction, des éliminatoires, des jeux culturels, du sport collectif, etc.

-  Cette saine émulation doit être orientée vers un meilleur service de la société, dans notre monde de consommation, de compétition, de lutte pour la vie.

-  L'attrait du dépassement (du magis) est une grande force de la jeunesse.

Témoignage d'excellence de la part des éducateurs eux mêmes

-  La politique de l'institution sera telle qu'elle créera une ambiance ou un climat pouvant promouvoir l'excellence. Cette politique implique une évaluation permanente des finalités, des programmes, des services et des méthodes pédagogiques, dans un effort visant à ce que l'éducation atteigne ses buts d'une manière plus efficace.

-  Les adultes de la communauté éducative devront eux-mêmes rester ouverts au changement, et avoir eux-mêmes le sens du "magis", continuer à apprendre, à se perfectionner, et seront ainsi plus efficaces dans leur travail. Cela est particulièrement important aujourd'hui, en raison des changements rapides de la culture, des techniques, et des méthodes d'enseignement. La croissance intellectuelle, affective, et spirituelle doit donc se poursuivre durant toute la vie (d'où la nécessité de la formation permanente). L'éducateur reste toujours un "disciple".    

Jean Dalmais

 

 

Collège Notre-Dame de Jamhour, LIBAN
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