Mot d'Edmond Chidiac sur le thème
« Comment inculque-t-on le sens de la citoyenneté à Jamhour? »

  1. L'éducation citoyenne dans le programme scolaire
  2. Les actions mises en place au Collège
  3. L'élément humain : un facteur déterminant
  4. Les paradoxes

D'après les statistiques figurant dans le Projet d'établissement (p. 16 et 17), le nombre d'élèves depuis 1989/1990 s'est sensiblement stabilisé autour de 2.700. Cependant, le nombre de professeurs a augmenté durant cette période, passant de 172 en 1989/1990 à 273 en 2000/2001, soit un accroissement de 58 % en 11 ans.

Cet accroissement est certes dû à l'intégration de nouvelles matières, notamment l'informatique. Mais il est également dû à l'engagement d'un nombre croissant d'enseignants dans l'éducation citoyenne de l'élève et dans l'encadrement d'activités à caractère social.

La formation du citoyen fait partie des priorités du Collège. On la retrouve dans le projet d'établissement et dans le projet éducatif. Il existe trois facteurs susceptibles de développer l'esprit citoyen chez l'élève et que j'aborderai dans cet exposé : le premier est le programme scolaire, le deuxième se résume dans les activités propres au Collège, obligatoires ou facultatives. Quant au troisième, c'est l'élément humain qui forme l'élève, c'est-à-dire le personnel enseignant et les parents. Je terminerai enfin par une brève analyse des paradoxes auxquels est confronté l'élève.

1.      L'éducation citoyenne dans le programme scolaire

La conception des programmes scolaires français et libanais vise en priorité la formation d'un citoyen. Toutes les matières contribuent à cette formation : depuis les matières artistiques, où l'élève apprend à travailler en groupe et donc à accepter la présence des autres, avec leur savoir-faire et leurs erreurs jusqu'à la littérature où il apprend à percevoir la beauté où qu'elle se trouve.

Cependant, aussi bien dans le programme français que libanais, l'Histoire-Géographie et, surtout l'Education civique demeurent les vecteurs indispensables à la formation citoyenne de l'élève.

De la 6e à la Terminale, la formation de l'élève se fait autour des principes suivants :

- La démocratie est la base de la paix, élément indispensable à la prospérité et au développement (idée inculquée à travers des thèmes comme la démocratie athénienne, le siècle des Lumières et la Révolution française, la création de l'ONU, etc.).

- Les systèmes totalitaires et le rejet de l'autre ont mené l'humanité à des désastres (idée inculquée à travers l'enseignement de l'absolutisme dans la monarchie française, des idéologies totalitaires comme le stalinisme, le fascisme ou le nazisme, etc.).

- Sens patriotique inculqué à travers le programme d'Histoire libanaise et d'Education civique, en vue de développer son appartenance nationale.

- Respect de l'environnement naturel et de l'environnement humain, dans sa diversité, à travers les langues, les sciences, la géographie et l'Education civique.

L'acquisition de ces principes et de nombreux autres que je n'ai pas cités ici permet forger l'esprit de l'élève. Celui-ci doit être tirer la conviction que l'écoute de l'autre, le respect de la différence, la solidarité humaine l'application de la justice ne sont pas de vains mots mais des principes qui s'appliquent à tout moment de la vie quotidienne.

  1. Les actions mises en place au Collège

Bien évidemment, le programme scolaire joue un rôle primordial dans la formation citoyenne de l'élève, mais il est loin d'être suffisant.

Pour pallier les inconvénients et les failles des programmes officiels, le 5ème axe du projet d'établissement a déterminé les objectifs suivants :

- Organisation de visites découvertes du patrimoine libanais. Celles-ci se font principalement dans les classes primaires.

- Développement du sentiment d'appartenance et de l'engagement dans la cité. Le CAS, le scoutisme et le projet social constituent de formidables outils pour atteindre ce but.

- Intégration aux pratiques de l'enseignement des travaux de recherche et des exposés sur le Liban.

Afin d'atteindre ce dernier objectif, nous avons renforcé l'enseignement de l'Histoire libanaise dans les classes où elle n'était pas assurée, notamment la 6ème, 5ème et 4ème. Cet enseignement est conçu de manière à montrer à l'élève la richesse de cette histoire et de l'amener à situer les difficultés actuelles que connaît le Liban dans une perspective plus générale, afin de lui redonner foi en son pays.

L'Education civique n'est plus enseignée au Collège d'une manière livresque (exception faite peut-être des classes d'examens officiels). Cette discipline est enseignée essentiellement à travers des activités de recherche, des débats et des exposés. Les thèmes les plus intéressants sont sélectionnés du programme officiel libanais mais développés en classe avec une approche plus pédagogique.

Parallèlement à l'enseignement académique, le Collège a institutionnalisé de nombreuses activités susceptibles de développer chez l'élève l'esprit citoyen. J'en rappelle quelques unes :

- Le projet social, en classe de 2nde, qui vise à sensibiliser l'élève aux problèmes de la société. Certains de nos élèves viennent de familles riches et vivent dans un environnement privilégié. Il est bon qu'ils palpent d'eux-mêmes, sur le terrain, les problèmes que vivent les familles non privilégiées : drogue, violence familiale, pauvreté, handicaps physiques ou mentaux, viol, inceste, délinquance, etc.

- Le CAS, qui permet également à l'élève de partager les difficultés des moins nantis et développe également le respect de l'autre, dans sa différence sociale, religieuse ou culturelle.

- Les élections de délégués et la participation des délégués à la vie de la classe et de la division renforcent auprès de l'élève le principe de l'engagement et de la démocratie.

- Le lever du drapeau, manifestation qui rappelle régulièrement à l'élève son appartenance nationale.

- Les activités à caractère religieux, qui renforcent sa foi chrétienne.

Notre Collège se distingue par ces activités. Mais cela suffit-il à faire de l'élève un bon citoyen ?

  1. L'élément humain : un facteur déterminant

Dans la formation citoyenne de l'élève, l'enseignement est important. Mais l'élément déterminant, celui qui formera le citoyen de demain, avec ses points forts et ses failles, c'est nous, les éducateurs et nous les parents.

Nous entendons parfois dire de quelqu'un « c'est un élève de Jamhour » comme si ce terme était en soi un label de qualité ou un gage de confiance. Mais Jamhour, à y penser, qu'est-ce que c'est ?

Est-ce des bâtiments ? Un centre sportif ?

Est-ce une histoire ? Celle d'une institution qui a produit des hommes de valeur ?

Est-ce la compagnie de Jésus ?

Je crois que Jamhour est un tout : des bâtiments et du matériel, certes, qui sont nos outils de travail.

Il y a la communauté des pères Jésuites qui a créé cette institution il y a plus de 125 ans. Et même si leur nombre a diminué depuis, l'esprit ignacien de cette institution est toujours là. Ils en sont toujours la pierre angulaire.

Mais à côté de cette pierre angulaire, il existe d'autres pierres qui composent cet édifice. Il existe des éducateurs et des parents dont chacun a sa place et son rôle dans l'éducation de l'élève.

Je garde en mémoire une scène à laquelle j'ai assisté à l'âge de huit ans : celle du frère Labry, qui tenait le rôle d'infirmier au Petit Collège. Il était âgé à l'époque de plus de 75 ans. Je l'ai vu une fois dans la rue, se pencher pour ramasser un papier qui traînait par terre et le déposer dans une poubelle. Sans me connaître, ce grand homme m'a marqué par ce petit geste d'humilité.

Les éducateurs marquent l'élève par leur comportement, à tout instant de leur vie, par leur compétence, depuis les classes primaires à la terminale, par leur esprit civique et par leur engagement. La qualité de l'enseignant est donc un des piliers du succès de notre éducation. Sa motivation en est une autre. L'enseignant est donc un partenaire, c'est-à-dire quelqu'un qui a la capacité de donner et de participer à la décision et non seulement d'exécuter.

Les parents, par leur façon d'être, à la maison ou à l'extérieur, marquent également un enfant ou un adolescent. En le rendant responsable sans pour autant qu'ils ne se déchargent de leurs responsabilités, en se préoccupant de ses problèmes et de ses doutes sans pour autant vouloir le façonner à leur guise, en étant à chaque moment un modèle de citoyenneté.

  1. Les paradoxes

Quels que soient les efforts entrepris par le Collège, l'élève est souvent déboussolé par de nombreux paradoxes qui lui font perdre ses repères et douter de l'enseignement donné.

Peut-on encore convaincre un élève de terminale que la séparation des pouvoirs, pourtant consacrée dans la Constitution, est bien respectée au Liban ? Peut-on encore étudier avec lui le thème de la liberté de la presse, prévue dans le cadre du programme de Terminale d'Education civique, sans entendre des ricanements ironiques ? Et dans ce cas, pourrait-on les reprocher ?

Je signale que ce thème (la liberté de la presse) a fait l'objet d'allègements dans le programme du baccalauréat de cette année. Allez savoir pourquoi.

Peut-on inculquer à un élève la passion de la liberté et de l'indépendance lorsque les personnalités officielles considèrent que parler d'indépendance et de souveraineté dans les écoles constitue une trahison ?

L'élève est confronté à de nombreux paradoxes. Dans certains cas, l'éducation qu'il a reçue au Collège prend le dessus, mais dans d'autres, il se laisse entraîner par la masse.

Il est influencé par les dysfonctionnements politiques qui lui font ressentir que l'enseignement qu'il a reçu sur la démocratie et l'Etat de droit est théorique et s'applique « chez les autres », mais pas chez nous. Il est influencé par le manque de civisme qu'il constate dans la vie quotidienne lorsqu'il voit, par exemple, un gendarme violer le code de la route. Il est influencé par l'absence de respect qu'affiche l'Etat à l'égard du citoyen, qu'il cherche à dominer plutôt qu'à défendre.

Face à ces paradoxes, l'élève est tenté de tourner le dos et de chercher cet idéal dans d'autres pays.

Quelle est la solution ? Je ne saurais pas le dire. L'idéal aurait été d'améliorer la situation du pays, ce qui n'est pas facile. Mais n'est-ce pas là justement la tâche qui incombe aux jeunes ?

C'est peut-être sur cela que nous devons encore travailler, parents et éducateurs. A faire comprendre à l'élève que sa présence dans la cité n'est pas une présence passive. Qu'il a, en tant que jeune et en tant que citoyen, un rôle à jouer, des objectifs à atteindre, des ambitions personnelles et collectives pour lesquelles il se doit de militer.

Je conclus cet exposé en reprenant le thème du Jubilé : croire, savoir, servir.

Croire est un terme a deux volets : croire en Dieu, source de vie et d'intelligence, mais croire aussi en l'Homme sans qui Dieu lui-même perdrait sa raison d'être. Lutter pour que l'Homme d'aujourd'hui soit meilleur que celui d'hier et moins bien encore que celui de demain.

Savoir : faire reculer les limites de la connaissance et de l'intelligence, mais aussi savoir être, avec les autres et avec soi-même.

Servir : c'est se rappeler que Dieu est lui-même venu sur terre pour servir l'Homme et non pour l'asservir. Il lui a donné la capacité de décider et de tracer sa propre route. Il l'a lui-même traité en partenaire et il attend de lui qu'il lui donne en retour tout son potentiel. En d'autres termes, il a voulu en faire un citoyen.

Edmond Chidiac

 

Collège Notre-Dame de Jamhour, LIBAN
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