Le cheminement du Projet éducatif

Introduction

Mon intervention, qui a pour titre : "le cheminement du Projet éducatif" servira d'introduction à notre table ronde.

Elle comprendra deux parties distinctes, mais complémentaires :

I. La 1ère aura pour but de décrire la genèse du Projet éducatif de Jamhour, quand, comment et pourquoi, il a été conçu et élaboré, à la lumière des évolutions et des changements rendus nécessaires au fil des années, et compte tenu des expériences vécues depuis l'installation du Collège sur la colline de Jamhour en 1953.

II. Dans la 2ème partie, plus prospective, je me référerai plus directement au contenu du projet éducatif, en posant quelques jalons à propos des trois objectifs principaux, qui se trouvent résumés dans le "logo" du Jubilé du Collège, "croire, savoir, servir, une éducation pour l'avenir.

I. Genèse du projet éducatif

Le Projet éducatif du Collège a vu le jour durant l'année scolaire 1981-1982 - il y a donc vingt ans aujourd'hui - au prix d'un patient travail collectif, de recherches, d'expériences, d'échanges et de rédactions successives.

Depuis plusieurs années était née dans les esprits l'idée de rédiger une sorte de charte du Collège, comme cela s'était fait ailleurs, dans plusieurs Collège de la Compagnie de Jésus. L'urgence s'en était fait sentir davantage au Liban, l'année précédente, lorsqu'une loi paraissait, obligeant les écoles libres à avoir un Comité de parents, pour étudier avec la direction de chaque établissement la question des scolarités. Le Conseil des parents existait déjà depuis longtemps à Jamhour, de même qu'un "règlement intérieur". Mais l'occasion était donnée de préciser davantage à la lumière des textes fondateurs de la pédagogie jésuite, les buts, l'esprit et la méthode d'un Collège de la Compagnie de Jésus au Liban. Ce Projet éducatif, dans sa rédaction quasi-définitive, ainsi que les "modalités d'application" de ce projet figureront désormais en tête des éphémérides et des agendas scolaires du Collège, à partir de 1982-83, pour être connus, ratifiés et assumés par tous les membres de la Communauté éducative, parents, professeurs et élèves. Quant aux "statuts" du Collège, ils furent promulgués, l'année suivante, le 27 mai 1983, par le P. Saleh Nehmé, supérieur régional du Liban. Rédigés "dans l'intérêt de la bonne gestion administrative et éducative du Collège", ils affirment que "le Collège Notre-Dame de Jamhour est un établissement scolaire libanais appartenant à la Compagnie de Jésus au Liban, et relevant exclusivement de celle-ci" (art.1). "Le Collège constitue une Communauté éducative où chacun des partenaires, éducateurs, parents, élèves et anciens élèves sont responsables de la vie du Collège et de l'esprit quoi doit l'animer (art.4). Cet article des statuts reprend textuellement le paragraphe 3 de l'introduction du Projet éducatif.

Je me souviens qu'au moment de sa parution, le titre même de ce "projet" fut l'occasion de discussions et de mises au point. Ainsi dans sa dernière réunion de l'année 82-83, le Conseil des parents avait suggéré que le terme de "projet" fut remplacé par celui de "charte" de la Communauté éducative de Jamhour, estimant que "projet" était un terme quelque peu ambigu, s'il était compris comme un espèce de brouillon provisoire, d'ébauche, risquant de rester lettre morte, et de s'égarer bientôt dans les tiroirs de l'oubli, comme un simple souhait plus ou moins réalisable et utopique. Pourtant, nous avons conservé le terme "projet" dans son sens fort et dynamique, car il nous semblait suggérer mieux que le titre un peu trop "poussiéreux" et théorique de "charte", les buts visés, l'idéal vers lequel nous devions tendre, non pas comme quelque chose d'impossible à réaliser, mais comme le point de référence de notre engagement personnel au service du Collège. D'où l'importance de bien connaître, dans son fond et dans sa forme ce texte, qui avait fait l'objet d'un travail collectif de corrections et d'amendements successifs, d'où notre devoir de le méditer, d'y revenir souvent pour nous remettre en question.

Et c'est bien dans cet esprit que nous avons commencé l'année scolaire 1983-84, malgré le retard causé par les événements graves de l'été précédent, durant lequel le Collège subit à plusieurs reprises des bombardements sauvages, entraînant destructions et incendies sur les bâtiments, la propriété et les autobus du Collège. Les professeurs furent tout de même invités à participer à une session pédagogique du 25 au 28 octobre 83, tandis que l'on s'efforçait d'effectuer en même temps les réparations indispensables pour accueillir les élèves début novembre.

Comme je venais d'être à nouveau nommé recteur du Collège, en remplacement du P. Madet, j'ouvrais cette session par quelques réflexions sur les "objectifs pédagogiques" du Collège, en me référant directement au texte du Projet éducatif, et je m'adressais à tous les membres du Corps professoral dans des termes qui, me semble-t-il, gardent toute leur valeur aujourd'hui. Je cite : "Ce Collège, dit "des pères Jésuites", ne pourra poursuivre son ouvre que si, vous autres, professeurs du Collège, tous ensemble et chacun en particulier, prenez la relève, non pas seulement comme des employés, si consciencieux et si exemplaires soient-ils dans l'exercice de leur métier, mais comme des membres actifs et responsables de cette ouvre éducative, bien clairement définie dans notre Projet éducatif. Ce Projet est-il pour moi, pour vous, une simple vue de l'esprit, un rêve illusoire, un projet généreux, mais utopique et inaccessible, ou bien une réalité en devenir constant, une entreprise dans laquelle chacun doit s'engager? Professeurs à Jamhour, Nous du Collège, qu'est-ce que cela signifie exactement pour chacun de nous ? Nous prétendons être "fidèles à la tradition séculaire de la Compagnie de Jésus" en assurant au Collège "une formation humaniste de bon niveau", en formant nos élèves à la lumière des enseignements de l'Evangile, en les ouvrant aux exigences du temps présent, et en les aidant à affronter les graves réalités d'un pays en butte à la violence, à la division, au chaos économique, social et moral, un pays écartelé, dans la recherche de son identité, de sa liberté et de son autonomie. Ces valeurs que nous voulons défendre et promouvoir, elles se concrétisent dans des institutions, dans des structures administratives, pédagogiques et disciplinaires, dans un règlement particulier. Ces structures ne sont pas une fin en soi, bien sûr, elles ne sont que des moyens, mais des moyens nécessaires, que nous n'allons pas remettre en question à tout instant. Il faut donc bien nous mettre d'accord au départ et ensuite avancer sans défaillance" (fin de citation).

- Si dans les premières lignes de l'introduction du Projet éducatif, il est fait allusion à une "tradition séculaire de la Compagnie de Jésus", il n'est pas inutile de préciser qu'en réalité, Ignace de Loyola, le fondateur de la Compagnie de Jésus, n'avait pas été enclin tout d'abord à engager l'ordre qu'il venait de fonder dans "une tradition pédagogique". Quand il apparaît sur la scène de l'Histoire, en pleine Renaissance, Ignace qui avait rêvé d'accomplir de multiples choses pour la plus grande gloire de Dieu, aurait été bien étonné, si on lui avait dit que "sa petite Compagnie", comme il aimait à nommer le groupe de ses compagnons allait être considérée, à juste titre, comme l'un des plus grands ordres enseignants. Paradoxalement, ce fut St François Xavier, dont la mobilité missionnaire correspondait bien à la vocation du jésuite, telle que St Ignace l'avait définie dans le début, qui fut l'homme providentiel qui allait infléchir la Compagnie dans un sens nouveau qui aboutirait à l'image classique du jésuite éducateur.

St Ignace avait été, par principe, opposé d'abord à la création des collèges qu'il considérait comme une entrave à la disponibilité et à la mobilité apostolique. Mais François Xavier, dès son arrivée aux Indes, se rendit compte que le collège, récemment ouvert à Goa par les Portugais, était une nécessité impérieuse pour la mission, et qu'il fallait donc y investir des jésuites, comme on le lui demandait. St Ignace s'était alors incliné, un peu à contre cour. Et c'est ainsi qu'avec quelque réticence, l'idée de prendre en charge l'éducation de la jeunesse s'est imposée dans la jeune Compagnie.

Il n'y a donc pas, à l'origine, à proprement parler, de "tradition pédagogique"; chacune y est allée de son expérience spirituelle. L'unité de l'action s'est réalisée par ce fond commun des Exercices Spirituels, que tous faisaient à l'école de St Ignace. Après un premier temps de la pédagogie vécue sur le terrain est venu le deuxième temps des règles pédagogiques à rédiger. En partant du règlement de chaque collège, St Ignace fit élaborer un texte commun, c'est le plus ancien "Ration studiorum" (directoire des études).

C'est en 1691 seulement, que le 3e successeur d'Ignace, le Père Claude Aquaviva fit publier une édition pratiquement définitive de ce "Ratio". On peut donc dire que c'est avant tout l'expérience spirituelle des jésuites qui se trouve à la base de notre pédagogie. Une fois les collèges intégrés dans le travail normal de la Compagnie, St Ignace se mit donc de tout son cour à développer ce projet, reconnaissant dans l'éducation de la jeunesse, un instrument de premier ordre pour l'évangélisation et la culture humaine d'une jeunesse appelée à affronter les défis de la Réforme et de la Renaissance.    

Il était donc légitime d'affirmer, comme le fait l'introduction de notre Projet éducatif, que la fondation d'un Collège permettait aux jésuites "d'élargir la dimension apostolique de leur ministère" (cf. introduction, parag.1), en donnant à leurs élèves "la connaissance et l'amour de la vérité". Les jésuites éducateurs étaient convaincus qu'en même temps ils les conduisaient à Dieu.

- L'introduction du Projet éducatif souligne également dans plusieurs paragraphes (2 à 4) les modifications importantes et nécessaires qui se sont imposées aux éducateurs du Collège, au fil des jours, à la lumière des expériences vécues par chacun, et dans la fidélité à l'héritage spirituel et pédagogique transmis par des générations de jésuites engagés dans la mission de l'enseignement de la jeunesse, depuis le 16e siècle jusqu'à nos jours.

- Rappelons ici les principales évolutions du Collège entre 1953 et 2002, évolutions que nous pouvons classer en quatre rubriques distinctes et complémentaires :

1. Evolution dans la direction du Collège 

Au moment de son installation sur la colline de Jamhour en 1953, le Collège était doté d'une administration très centralisée, de type "quasi-monarchique", où l'autorité était exercée presqu'exclusivement par le Recteur (qui était en même temps supérieur de la Communauté jésuite), assisté d'un Préfet des études et de discipline, et d'un ministre, chargé de l'intendance (tous trois religieux de la Compagnie).

Progressivement, nous allons passer à un partage des responsabilités académiques et administratives, dans une structure "collégiale", avec des responsables ou préfets de niveaux, des responsables de matières, d'un responsable de l'aumônerie, d'un intendant et différents conseils (Conseil de Collège, Conseil financier, Comité des Professeurs, Conseil des Parents, Comités d'élèves, Conseil de Tutelle, etc..).

2. Remplacement progressif des religieux jésuites par un personnel laïc

- En 1961-62 (année où j'arrivais à Jamhour), le personnel du Collège se composait d'une équipe importante de religieux jésuites (24 personnes : 12 prêtres, 9 "scolastiques" en stage, 3 frères coadjuteurs), assistés de professeurs "auxiliaires" au nombre de 64 (47 au Grand Collège, presqu'exclusivement de sexe masculin, et 17 institutrices au Petit Collège, dirigées par 7 religieuses).

- 40 ans après, en 2001-2002, les jésuites travaillant au Collège ne sont plus que 5, et le Corps Professoral laïc compte 268 membres, mais comme des collaborateurs à part entière, formant la "communauté" éducative, membres actifs et responsables de l'ouvre éducative du Collège, telle que définie dans le projet éducatif (intr.3) élaboré en 1982. L'élément féminin est devenu largement majoritaire, aussi bien au Grand qu'au Petit Collège.

3. Evolution dans le recrutement des élèves, et modification des horaires scolaires

- Au fil des années, nous assistons au passage d'un Collège de garçons, où l'internat constitue 45% des effectifs scolaires et où la vie scolaire est en quelque sorte "en circuit fermé", avec un horaire couvrant la journée entière de 7h30 à 19h, samedi compris ;

- A un établissement mixte (dont l'internat a été supprimé en 1974), désormais largement ouvert sur le monde extérieur, avec une journée scolaire continue, sortie au début de l'après-midi, et congé durant le week-end. La suppression de l'internat permettra une augmentation croissante du nombre des élèves, les locaux de l'ancien internat étant convertis en salles de cours ou d'études. Ainsi le nombre des élèves au Grand Collège va presque doubler et passer de 980 en 1970 à 1679 en 1995. L'augmentation au Petit Collège est moins spectaculaire ; les effectifs passent de 775 à 1064, pour la même période.

4. Le souci de la vie spirituelle et de l'engagement religieux

Au Collège, le souci de la vie spirituelle et de l'engagement religieux était assuré en grande partie par le personnel religieux, puis confié progressivement à toute une équipe "d'aumônerie", où les laïcs vont tenir une place de plus en plus importante. Le Préfet spirituel qui est un jésuite, est assisté d'animateurs spirituels, dans toutes les divisions, et de catéchètes (prêtres, religieuses et laïcs) dans toutes les classes : 22 membres en 2001-2002. Les responsabilités et les attributions de chacun des membres de l'aumônerie sont décrites avec précision dans le ch.2 des statuts du Collège, amendés en 1990.

II. Les trois principaux objectifs du Projet éducatifs

- A la fin de l'introduction du Projet éducatif, l'article 5 précise les trois objectifs principaux que le Collège devra toujours chercher à atteindre, et ces trois objectifs correspondent exactement au "logo", choisi pour notre année du Jubilé de 50 ans du Collège : Croire - Savoir - Servir, une éducation pour l'avenir.

- Le Collège Notre-Dame de Jamhour se propose en premier lieu de développer dans le respect des autres convictions religieuses les valeurs spirituelles de la foi chrétienne.

La Compagnie de Jésus, vous le savez, a été fondée par St Ignace, pour travailler à la plus grande gloire de Dieu. L'éducation d'une jeunesse chrétienne éprise de perfection et de conquête, au cour d'un monde qui retombe sans cesse en paganisme, lui est apparue comme un moyen de choix pour implanter le Christ dans la Cité Humaine.

Pour entrevoir un pareil idéal, il fallait avoir en soi la conviction profonde que l'éducation est une entreprise éminemment apostolique, il fallait être convaincu que le Royaume de Dieu ne s'accomplirait pas exclusivement dans le ministère des sacrements, dans la prédication de la Parole de Dieu, ou les ouvres de bienfaisance spirituelle, mais aussi et sans réticence, dans le recours à tous les moyens humains nécessaires à la formation des esprits et des caractères. Sans cette foi en la valeur de l'éducation, sans cet optimisme qui est la caractéristique des éducateurs jésuites des premiers temps, comment expliquer que la Compagnie ait consacré pendant 4 siècles un tel effort au développement des collèges et que tant de religieux et de prêtres y aient trouvé l'épanouissement de leur vie spirituelle ? L'orientation des jésuites vers cette tâche que leur fondateur n'avait pas envisagé d'assumer tout d'abord fut l'expression vitale d'une spiritualité qui repose toute sur une vision toujours conjointe de la nature et de la grâce : pour St Ignace, pas de surnaturel surajouté ou séparé ; il n'y a pas seulement des âmes à la recherche d'une sainteté idéale et irréelle, mais des hommes engagés dans des conditions temporelles ; aucune liberté pure, mais des libertés qui se conquièrent lentement sous l'action de la grâce, et accèdent à l'équilibre humain et spirituel. Vouloir le salut du prochain, ce n'est pas seulement lui parler de Dieu, mais lui permettre de s'épanouir humainement de telle sorte qu'il se rende capable d'entendre Dieu et capable de lui répondre. Dès lors aider les enfants à devenir des hommes au plein sens du mot, c'est en même temps en faire des fils de Dieu et des chrétiens.

Ce caractère chrétien d'un collège jésuite est décrit dans la troisième partie de notre Projet éducatif, en cinq articles, que nous pouvons commenter de la façon suivante : "Attachés aux valeurs permanentes exprimées par les enseignements de l'Evangile le Collège, en respectant la liberté intérieure des élèves, a pour but d'amener les jeunes à unifier dans leur vie et dans leur pensée la culture moderne et la foi en Dieu, comme aussi de leur donner le désir de participer personnellement à la mission de l'Eglise."

Il est important, en effet, de donner à nos élèves une culture qui défende et développe les valeurs spirituelles et religieuses, dans un monde qui évolue, soit vers la sécularisation, soit vers l'utilisation des sentiments religieux pour défendre une politique totalitaire. Ces tendances contradictoires extrémistes ne doivent pas faire renoncer les chrétiens libanais à un dialogue lucide et objectif avec des musulmans de bonne volonté qui tiennent à la culture libanaise, mais qui sont privés actuellement de la liberté de pensée et d'expression.

Les chrétiens ont le devoir de revendiquer devant leurs concitoyens musulmans un statut à part entière et non une citoyenneté de seconde zone. Etant bien entendu qu'il n'est pas question non plus de refuser aux non chrétiens ce droit à être des citoyens à part entière. Si de part et d'autre on garde un complexe de minoritaire, on ne pourra jamais construire une nation équilibrée. L'essentiel est de purifier, chacun, les valeurs authentiquement religieuses de sa communauté et de bannir tout fanatisme invoqué au nom de la religion. Et comme l'ignorance nourrit l'intolérance et le fanatisme, un collège chrétien se doit de dispenser à ses élèves un enseignement éclairé sur les autres religions, en particulier sur le Judaïsme et sur l'Islam, comme de favoriser des rencontres entre jeunes de confessions et de communautés différentes, pour mieux se connaître et pouvoir plus tard ouvrer ensemble au service de la patrie commune. Soyons convaincus que cette ouvre de purification et de conversion des mentalités, ainsi que l'apprentissage de la vie en commun, commencent au Collège et en famille dans la vie quotidienne.

L'éducation jésuite a donc pour but :

- de former des hommes et des femmes de forte conviction religieuse, capables d'estimer ceux qui ont d'autres convictions et d'entrer en dialogue avec eux.

- d'éveiller chacun à la dimension spirituelle de sa vie, de soutenir et encourager dans leur chemin ceux et celles qui sont en recherche,

- de permettre à ceux et à celles qui accueillent en Jésus-Christ la source de leur vie, et dans l'Evangile, la parole qui les éclaire, de trouver à l'école, une communauté qui les aide dans leur foi et qui leur donne le goût d'une participation active à la vie de l'Eglise et de la communauté locale, au service des autres. Cette dimension religieuse doit pénétrer toute l'éducation, et promouvoir le dialogue entre Foi et Culture. Elle fait donc intégralement partie de l'éducation jésuite ; elle ne s'ajoute pas au processus éducatif, et n'en est pas distincte. Aussi, chaque matière enseignée au Collège, si profane soit-elle, peut et doit être un moyen de découvrir Dieu. Tous les enseignants, religieux, prêtres ou laïcs, partagent donc la responsabilité de cette dimension religieuse de l'école, et peuvent conduire, en dernière analyse, à l'adoration de Dieu présent et à l'ouvre dans la création et dans l'histoire, où l'homme travaille comme collaborateur de Dieu.

Dans le climat de l'école, tout doit être fait pour présenter la possibilité d'une réponse de foi à Dieu, comme une chose vraiment humaine, nullement opposée à la raison, et pour développer les valeurs qui permettent de résister à la sécularisation de la vie moderne.

- Le second objectif visé par le Collège est de donner aux élèves une solide culture littéraire et scientifique, un savoir adapté au monde où ils devront vivre plus tard.

Dans le contexte où nous a placés "la guerre des autres" sur notre territoire, il importe que l'éducation au Liban puisse promouvoir et favoriser une culture véritablement nationale. Il lui faut donc s'attacher à toutes les valeurs qui sont à la base de la vie nationale et plus largement de l'aire culturelle où se trouve inséré notre pays. L'école au Liban a un rôle à jouer, une mission à remplir, un service à assurer, pour traduire et transmettre dans la langue véhiculaire de toute la région, c'est-à-dire l'arabe, les valeurs culturelles, morales et religieuses qui lui sont propres. Les Libanais et en particulier les chrétiens libanais ont joué depuis le siècle dernier un rôle de premier plan dans la "nahda", dans le réveil de la langue et de la culture arabes. Les jeunes libanais doivent être formés dans cette langue et dans cette culture, qui fait partie du patrimoine national, et ainsi être préparés à jouer un rôle dynamique et créateur dans la société arabe proche-orientale. Mais imposer une arabisation exclusive et générale aboutirait en définitive à isoler le Liban, à le couper du courant scientifique et technique mondial et à retarder son développement. L'arabisation de l'enseignement doit donc être réfléchie et menée dans un esprit d'ouverture et non d'aliénation, selon le sens de la responsabilité et non celui de la démission et de la démagogie. Mais l'éducation ne saurait se limiter à ces valeurs nationales et régionales. Dans un monde où la solidarité se développe à l'échelle universelle, elle doit susciter une prise de conscience des valeurs universelles de la civilisation d'aujourd'hui. S'il faut ouvrir nos élèves sur le monde concret dans lequel ils vivent il ne s'agit pas pour autant de les priver d'une ouverture sur le monde qui vit maintenant à l'échelle planétaire, et des connaissances qui font partie du bagage intellectuel des jeunes du monde entier.

Les pays arabes ne sont pas "donneurs" comme autrefois, au temps de la grandeur intellectuelle, mais "récepteurs". L'apport des cultures étrangères, l'appui international accueilli sans crainte et sans complexe, comme à l'époque de l'âge d'or arabe, devra féconder son effort créateur.

La culture traditionnelle du monde arabe a été jusqu'ici dominée par le "discours", par la rhétorique; elle doit aujourd'hui accueillir la réalité de la science, c'est à dire l'objectivité et la rationalité du savoir scientifique. Ce passage à une civilisation scientifique et technique est particulièrement nécessaire en notre pays, situé au carrefour du tiers monde. Le Liban a moins besoin de rhéteurs que de "fabricateurs". L'avènement de la technique, qui comporte des dangers réels pour l'éducation dans un monde régi par les seules lois de l'efficacité et de la rentabilité, peut être cependant un élément irremplaçable de développement des facultés humaines et de progrès. La technique n'est pas forcément "desséchante"; elle peut être humanisante (cf. art. 4 de la 1re partie du projet éducatif).

Le danger d'une économie nationale basée trop exclusivement sur le secteur tertiaire et sur les échanges commerciaux, est d'imposer une conception fausse du travail humain. Le travail n'est pas seulement un échange de relations ou de marchandises, mais un combat, une lutte quotidienne contre la matière, pour la transformer, pour rendre la nature plus humaine, et non la défigurer et la détruire pour des motifs de rentabilité et de profit.

La technique bien comprise doit donner à ceux qui s'y adonnent la dignité du travail humain, la dignité de l'homme transformant la nature et l'humanisant. Elle leur impose des lois rigoureuses et exigeantes qui sont formatrices et stimulantes. Un haut fonctionnaire de l'Education Nationale disait naguère que le Liban consommait trop et ne produisait pas assez, parlait trop et ne créait pas assez. Cette réflexion quelque peu désabusée a trouvé son écho dans une remarque plus récente faite par M. Abdo Kahi, professeur à l'Université St Joseph, lors de la présentation, il y a quelques mois, d'un projet de Charte du Citoyen pour la protection de l'environnement. Interrogé sur ce texte, Abdo Kahi déclarait : « La culture de l'environnement suppose que la citoyenneté devienne basée sur la fructification des ressources au lieu d'être fondée sur la consommation. Nous devons être des acteurs dans notre milieu. »

Ce qui est important de retenir ici, au sujet de notre éducation au Collège, c'est que nous avons le devoir impérieux de nous ouvrir aux valeurs de la technique, non pas seulement en donnant une place importante à l'enseignement scientifique et technique, mais même à l'intérieur d'un enseignement classique traditionnel, en cherchant à donner à nos élèves le sens de la précision, du travail bien fait et achevé, la rigueur scientifique, autant de qualités dont le Liban a aujourd'hui le plus grand besoin (cf. n°8 et 9 de la 1ère partie du projet éducatif).

- Troisième objectif: une culture débouchant sur un engagement social

L'éducation de la Foi au Collège et la formation humaniste doivent éveiller le souci du bien commun, former nos jeunes au sens social, afin qu'ils puissent être plus tard "des hommes et des femmes pour les autres", et avec les autres.

Il ne suffit donc pas que le Collège forme des esprits lucides et doués d'un sens critique aiguisé; elle doit aussi former des volontés fortes, des caractères libres, des cours ouverts, des hommes et des femmes capables de se donner à quelque chose, de consacrer leur vie à un idéal clairement et intelligemment perçu. Un Collège jésuite ne doit pas hésiter à s'engager dans les voies d'une éducation ouverte à toutes les réalités de la vie collective, et ses éducateurs doivent s'efforcer de faire de leurs classes et de leurs divisions, des milieux vivants et largement ouverts sur l'actualité, sans arrière pensée, et favoriser la formation des jeunes à la vie collective dans le travail scolaire dans les jeux et les sports, dans les activités et loisirs, ou les services sociaux.

L'éducation civique fait partie au premier chef de cet effort nécessaire. Elle peut se faire par un enseignement bien compris qui permette aux jeunes de mieux connaître l'Histoire, les institutions démocratiques et les rouages administratifs du pays, même s'ils ne les voient fonctionner qu'imparfaitement. Le Liban de l'an 2010, ce sont ces jeunes qui vont le construire. Il faut les préparer à jouer leur rôle de citoyens dans la communauté nationale. Mais un enseignement livresque ne suffit pas à donner aux jeunes le respect des institutions de leur pays. Les éducateurs doivent avoir le souci de former les jeunes de façon pratique et concrète à la vie communautaire, de leur donner dans la vie de tous les jours, le sens du bien commun, le sens des responsabilités à prendre, de leur inspirer le respect de l'autre, de ses opinions et de ses croyances, de leur inspirer un amour du Liban qui ne soit pas un vague attachement sentimental et théorique mais le désir sincère de se mettre à son service.

Dans cette éducation au sens de la responsabilités, prend place évidemment l'éducation à la loyauté : il s'agit de développer chez les jeunes Libanais le respect et l'amour de la vérité, condition nécessaire de tout rapport social et de toute "communication". Sur les sables mouvants du mensonge on ne peut construire une cité digne de l'homme.

Il faut aider les plus âgés à choisir leur future carrière, non pas en fonction du plus grand profit à tirer, mais du plus grand service à rendre. Ils apprendront que leur métier sera plus tard un service des autres, et on les aidera à une compréhension fraternelle des besoins de tous, en les ouvrant aux problèmes sociaux du pays. L'éducation jésuite recherche l'excellence dans son travail de formation et vise à former des "leaders", des hommes et des femmes assurant dans la société des postes de responsabilités, et exerçant sur elle une influence positive. Cet objectif a pu conduire parfois à des excès, et n'a pas toujours échappé au piège de "l'élitisme". Quelle qu'ait été la signification de cela dans le passé, le but de l'éducation jésuite, dans la manière actuelle de comprendre la vision du monde et de l'homme qu'avait St Ignace, n'est pas de préparer une élite socio-économique fermée sur elle-même, mais bien plutôt d'éduquer des hommes qui soient des leaders dans le service. L'institution jésuite doit donc aider les élèves à développer les qualités d'esprit et de cour qui les rendront capables, quelles que soient les situations qu'ils occuperont dans la vie, de travailler avec d'autres pour le bien de tous dans le service du Royaume de Dieu.

Enfin, formés ainsi à une progressive participation, les élèves apprendront au Collège la règle du jeu d'un véritable dialogue, qui consiste aussi bien à écouter l'autre, que de s'exprimer devant lui, qui consiste à respecter l'autre, plutôt que de vouloir à tout prix le convaincre; et ce dialogue pourra aussi former les jeunes qui y participeront à un esprit critique constructif et à un jugement clair et objectif. Puissions-nous à l'avenir dissiper l'impression quelquefois ressentie que l'école est un milieu à caractère artificiel et provisoire et que l'adolescent ne deviendra adulte et libre qu'en la quittant et en se libérant de son empreinte.

Tel est ce triple objectif : Croire, Savoir, Servir, qui se dégage des trois parties de notre projet éducatif, qui doivent guider notre réflexion et notre prière, tout au long de cette année du jubilé, jubilé qui nous invite, non seulement à jeter un regard nostalgique vers le passé de nos racines, mais aussi et surtout à entreprendre et poursuivre courageusement et résolument, une éducation pour l'avenir.   

Jean Dalmais, s.j.

 

Collège Notre-Dame de Jamhour, LIBAN
Bureau de Communication et de Publication © 1994-2008