Synthèse de M. Joseph Salamé
Il est difficile de prendre la parole après d'éloquents intervenants. Je ne serai pas long , mais je ne serai pas bref !
Il est tout aussi difficile de synthétiser un colloque aussi riche et aussi vaste en analyses et en témoignages.
Mais, comme me l'a confié le Père Recteur à la pause, plus le cercle est vaste et étendu, plus nous prenons conscience qu'il n'existe pas sans son centre !
Le centre de notre réflexion aujourd'hui est le Projet éducatif.
Est-il pensable de songer à une institution, quelle qu'elle soit, sans un projet ?
Une institution sans projet serait un navire sans boussole, une sorte de bateau ivre !
Un projet est une liberté en devenir, une libre production d'une finalité. Dynamique et actif, le projet épouse le mouvement du vécu et le transcende. Il prend ainsi le risque du déséquilibre et de la continuelle remise en question. Venant de l'avenir, il s'enracine dans la tradition pour construire le présent.
Un collège est une institution éducative où se rencontrent deux libertés adulte / jeune. Comme lieu de formation, notre Collège a un projet éducatif. Se constituant en communauté éducative entre les jésuites, les professeurs, les parents et les élèves (anciens et actuels), le Collège se veut une « cité » au sens de la « civitas » latine et de la « polis » grecque. Une cité, une communauté, organisée par le projet éducatif et faite pour durer. Une communauté dans laquelle chaque partenaire est reconnu comme sujet de droit, dans sa dimension personnelle, sociale et citoyenne. C'est la personne de l'élève qui demeure au centre de l'institution comme sa raison d'être.
À partir de son projet éducatif et collectif, le Collège est un lieu de relation à la connaissance, de relation à l'autre et de relation au monde.
D'où le triple rapport du projet au savoir, à la foi et à la justice.
1. Le projet éducatif au service du savoir veut :
a. Un savoir humaniste, littéraire et scientifique, à faire goûter (sapere) prenant pour fin la personne humaine, dans la tradition d'excellence du magis.
b. Un savoir évolutif, sans être strictement technicien, adapté au monde, ouvert au progrès, qui cherche à expliquer et à comprendre le monde.
c. Un savoir qui ne peut plus faire l'économie des valeurs modernes :
- La performance dans l'interdisciplinarité.
- La transparence.
- L'éthique comme devoir de prudence et de responsabilité pour maîtriser la maîtrise de l'homme.
2. Le projet éducatif au service de la foi veut :
La Foi des premiers fondateurs, comme flamme et souffle animant le combat de la vie, pour la plus grande gloire de Dieu.
Or, la foi est aujourd'hui sécularisée, au service des idéologies, ou bien fanatique, frileuse et souvent méfiante.
Ainsi, la foi ne peut plus faire l'économie de la confiance (fides), de l'éducation à la liberté, pour qu'elle soit une libre adhésion, sans preuve, à la vérité révélée. La foi comme ouverture au tout Autre et à autrui. Enfin, comme engagement.
La foi disait Alain, est la :
« Volonté de croire, sans preuve et contre les preuves, que l'homme peut faire son destin, et que la morale n'est donc pas un vain mot. Le donjon de la foi, son dernier réduit, c'est la liberté même. » (Alain, Les Arts & les Dieux, p. 1060, Gallimard)
3. Le projet éducatif au service de la justice veut :
Une justice comme volonté de Dieu sur terre.
Or, la justice est bien souvent paradoxale, tronquée et inique !
Ainsi, la justice intra muros ne peut pas faire l'économie du respect dû aux personnes :
« La justice, c'est l'égalité. ; j'entends ce rapport que n'importe quel échange juste établit aussitôt entre le fort et le faible, entre le savant et l'ignorant, et qui consiste en ceci, que, par un échange plus profond et entièrement généreux, le fort, le savant veut supposer dans l'autre une force et une science égale à la sienne, se faisant ainsi conseiller, juge et redresseur. » (Alain, Eléments de Philosophie, p. 305, Gallimard)
a. Dans les relations élèves / élèves :
- par la formation civique & citoyenne.
- par l'ouverture à l'autre, sa connaissance et sa reconnaissance dans un esprit de tolérance.
- pluralisme & multiculturalisme
b. Dans les relations élèves / éducateurs (Jésuites, Professeurs & Parents) :
- par la cura personalis (expression éminemment ignatienne), une relation de qualité qui accorde toute l'attention à la personne.
- par l'éducation par l'exemple.
- par le développement de la confiance et de l'estime de soi.
c. Dans les relations élèves / institution :
- par l'institution comme état de droit et microcosme démocratique.
- par le respect et la défense des personnes.
- par la concertation et la participation qui favorisent le dialogue.
Conclusion :
Entre « charte poussiéreuse et théorique » et « projet dynamique et actif », entre l'idéal de l'intention et les paradoxes du vécu, le projet est en quête permanente de compromis et de choix d'existence.
Lieu des multiples convergences et milieu rayonnant, le projet éducatif, comme toute production humaine, est fragile. Il nous faut en prendre soin au quotidien, en l'actualisant par nos choix.
Alors le devenir du Projet éducatif : choix ou utopie ?
L'utopie, ce lieu qui n'existe nulle part, est la part de rêve dont nous sommes porteurs et qui s'avère être indispensable à la construction authentique du réel. L'utopie est idéal de réalisation. Le projet est le vecteur de cette réalisation, l'institution en est l'édifice, fait pour durer. Le projet appelle la participation, la collaboration et l'engagement de chacun des partenaires - citoyens.
Jamhour, notre navire au long cours, a la puissance des pétroliers, la vélocité des catamarans et le confort des paquebots. La sagesse des héritiers d'Ignace ne l'a jamais privé de grands capitaines courageux et visionnaires. Ils ont, dans le respect de la tradition et, inspirés par la grâce de l'Esprit et la médiation du projet, trompé les vents contraires, chevauché les océans démontés et les mers tranquilles.
Les ports du temps nous attendent. Nous y allons jeter l'ancre et vogue le navire !
Bonne fête Jamhour et ad multos annos.
Joseph Salamé
07/12/2002