[Album photos [1]]
ZHONG GUO
LA CHINE
WAN SHANG QI DIAN : 19 h, les flâneurs et les invités commencent à affluer vers le hall d’accueil et l’espace Samir Mokbel. Se balançant au-dessus d’eux, les traditionnels lampions rouges multiplient les vœux et les salutations qu’ils portent inscrits en caractères d’or : HUAN HING, HUAN HING ! Bienvenue, Bienvenue !
Cette flânerie en Chine du mercredi 14 avril était particulièrement attendue par les fidèles participants de cette série de manifestations culturelles qui contribuent à assurer le prestige international du Centre Sportif.
Il est évident qu’en ce XXIe siècle, la Chine exerce un attrait mondial sans mesure. C’est bien d’ailleurs ce que Madame Joumana Hobeika a voulu d’emblée faire ressortir dans son allocution d’ouverture : « Aujourd’hui la démesure de la Chine fascine et inquiète. D’abord par la masse numérique de son milliard et 330 millions d’habitants. Ensuite, parce que ce colosse est passé brusquement de la frénésie révolutionnaire au pragmatisme et à l’économisme. »
Cependant, le but de cette soirée n’était pas tellement l’analyse géopolitique de la Chine, et ce qui motivait en priorité l’intérêt des participants était plutôt la connaissance de la culture chinoise. C’est bien ce que releva S.E.M. Zin Zhining, ambassadeur de la République populaire de Chine : « La Chine possède une richesse et une diversité culturelles, architecturales, ethniques, climatiques, topographiques peu comparables dans l’univers. »
Or la découverte de la richesse et de la diversité de la Chine était l’objectif programmé et judicieusement organisé de cette flânerie. Chacun, à son rythme et avec sa sensibilité allait pouvoir pénétrer au cœur de cette immense réalité qu’est la culture de la Chine. La programmation de cette initiation se déroulait en plusieurs étapes magistralement agencées par les services culturels de l’ambassade.
Comme première démarche, l’exposition photographique « Le 30e parallèle de la Chine » proposait aux regards curieux une fresque de 40 photographies qui composaient un itinéraire précis : la traversée complète de la Chine, d’ouest en est.
Voici quelques précieuses données par les panneaux d’introduction : « Les régions de la Chine situées le long du 30e parallèle offrent un impressionnant tableau de la nature, de l’histoire et de la culture. Le 30e parallèle part du massif de l’Himalaya, en Chine. D’ouest en est, il traverse une région autonome (le Tibet), sept provinces, deux municipalités dont la mégalopole de Shanghai. Après avoir parcouru 5.000 kilomètres dans la partie continentale, le parallèle parvient à la Mer de Chine d’abord, et à l’Océan Pacifique. Ce corridor historique est le témoin et le théâtre de l’évolution de la civilisation plusieurs fois millénaire de la Chine. Tout au long du 30e parallèle vivent de nombreux groupes ethniques avec chacun ses spécificités. »
Un boulevard visuel de 5.000 km : quelle formidable et irrésistible invitation à la flânerie !
En route ! Les 40 photographies composent un ensemble aussi riche que révélateur, elles donnent, par leur choix et leur qualité, une vision saisissante des mille et mille aspects de la Chine. Au fil de cette flânerie, le regard est soudain fasciné par une vue dont la beauté surprend et provoque l’admiration. Prenons le plaisir d’en détailler quelques unes. Le « Fleuve céleste » descendant des sommets glacés de l’Himalaya : au fond d’une gorge, il se fraie son passage avec puissance. Le spectacle radieux des cueillettes de thé échelonnées sur les terrasses d’un vert lumineux. Telle une estampe d’un maître paysagiste, nous apparaît la vision de ces noirs sommets déchiquetés, auxquels s’accrochent quelques pins, le tout baignant dans une laiteuse mer de nuages. Petits écoliers d’un village qui s’en vont vers ce pont dont l’arche à la fine courbure enjambe un paisible canal. Sommets orangés dont les escarpements taillés en pointe s’arrachent des nuages. Sourires radieux de ces enfants revêtus du costume rouge de la danse. Bouddha géant taillé à flanc de montagne dont le visage paisible domine le temps.
Mais n’oublions pas les « classiques » : le grand barrage des Trois gorges, le pavillon impérial de la Cité interdite, la longue et sinueuse ligne de la Grande Muraille qui couronne les courbes du relief et surtout, la fascination qu’exerce les millénaires guerriers de Xian, figés à jamais dans la garde de leur empereur.
Encore sous le charme de cette traversée, que dire de plus, sinon de s’exercer à balbutier : ZHONG GUO HEN DA ! La Chine est très grande !
Mais nous ressentons que cette grandeur ne se mesure pas seulement en kilomètres, c’est aussi sa dimension culturelle.
Le deuxième temps fort de la soirée s’ouvre maintenant dans la salle de conférence. Il revient à S.E.M. Zin Zhining, l’affable ambassadeur de Chine, de se faire l’ambassadeur apprécié de la culture chinoise. En maître de conférence, il va nous faire partager la passion de la Chine qui l’anime. « Snapshots of China », ce documentaire en trois volets veut être le complément de l’exposition. Monsieur l’ambassadeur, avec son aisance francophone remarquable, présente d’abord puis accompagne les images qui défilent de ses commentaires appropriés et convaincants.
La première partie du film consiste en une large présentation de l’histoire et de la civilisation de la Chine. 5.000 ans de civilisation défilent devant nos yeux : la Grande Muraille, les palais impériaux, le dragon, les effigies impériales, l’art de l’estampe, la maîtrise du bronze, les temples, et, toujours, l’armée de Xian…
Mais la Chine c’est aussi la diversité des 56 ethnies qui composent la population chinoise. L’exposition nous l’avait déjà dit : « Tout au long du 30e parallèle vivent de nombreux groupes ethniques avec chacun ses spécificités. » Ainsi les images viennent confirmer le dicton chinois : « L’homme est le produit de son environnement ».
Vivant dans des environnements forts différents : montagnes, hauts plateaux, plaines fluviales, côtes, villes…, l’homme chinois vit sous nos yeux. Nous découvrons la large spécificité de ses coutumes, de ses fêtes et traditions, de ses lieux de vie et de travail, de son habitat et de ses particularités vestimentaires.
Enfin, la dernière partie du documentaire si bien commenté nous fait assister à l’explosion de la modernité chinoise qui transparaît dans la vie quotidienne des chinois : bâtiments à l’architecture futuriste, autoroute, animation urbaine de jour et de nuit, stades…
Dans ce cadre en pleine et continuelle expansion, les Chinois de cette nouvelle ère viennent jusqu’à nous : jeunes mariés, champions olympiques, personnes âgées, groupes en fête… Tant de visages qui expriment la même fierté, fierté d’une Nation héritière d’une histoire millénaire, riche d’un immense patrimoine culturel mais qui s’est engagée dans l’audacieuse conquête de sa modernité.
Madame Joumana Hobeika, en citant l’essayiste Xu Youyu reprenait cette esquisse de la typologie du « Chinois » cultivé et urbain qui se dit « politiquement conscient, économiquement libéral, culturellement conservateur. »
Après cet envol visuel, piloté par Monsieur l’ambassadeur, encore sous le charme de tant d’images, de visages et de sourires, il est temps d’atterrir en Jamhourie.
Le Père Bruno Sion, faisant maintenant fonction d’ambassadeur de la Compagnie de Jésus, retrace les grandes lignes d’une épopée séculaire : les relations entre la Compagnie de Jésus et la Chine. C’est un sujet hautement historique et même passionnant pour ceux qui voudraient l’approfondir. Le Père Sion condense son exposé en quelques noms et en quelques dates.
1582. Le Père Matteo Ricci atteint la Chine. Il allait pratiquer ce qu’on appelle l’inculturation : se pénétrer de la culture chinoise et des valeurs de la civilisation chinoise pour y adapter le message chrétien. Avec ses confrères, ils avaient choisi une entrée « par le haut » : convertir les élites. Grâce à leur science astronomique, ils purent se faire connaître de l’empereur. Mais leur succès suscite des jalousies… : ils disent la messe en chinois, respectent le culte des ancêtres ! Le Pape Benoît XIV condamne l’action des jésuites, les trouvant « trop chinois ». Jean-Paul II a réhabilité l’action de ces premiers jésuites.
1903. Des jésuites chinois et français fondent l’Université Aurore à Shanghai, sur le même modèle que l’Université Saint-Joseph à Beyrouth. Mais en 1952, les jésuites étrangers doivent quitter la Chine. Trois de ces pères s’arrêteront à Beyrouth et seront professeurs à l’USJ : les pères Flamet, Dumas et Ketterer.
Je voudrais glisser ici un souvenir très personnel. À la résidence de Beyrouth, j’ai entendu l’un de ces pères raconter une histoire qui vaut son pesant d’or. Prévoyant leur expulsion, les jésuites de l’Aurore décidèrent de sauvegarder le capital de l’université. Celui-ci se composait de lingots d’or. Astucieusement, ils fondirent l’or et le coulèrent à l’intérieur des tuyaux du réseau des canalisations. Ils pensaient que l’or y serait bien à l’abri pour attendre des jours meilleurs. Mais l’histoire ne dit pas si un heureux plombier chinois est devenu subitement millionnaire ou si, au contraire, quelque part au fond d’un sous-sol oublié, de vieux tuyaux rouillés protègent encore l’or de l’Aurore.
Mais revenons au temps présent. 2006, le 10 novembre, est signée la convention de fondation de l’Institut Confucius de l’Université Saint-Joseph : ce centre d’enseignement de la langue chinoise, de promotion de la culture chinoise et d’échanges.
Et le Père Sion de conclure : « Vous êtes donc ici chez vous, Excellence. Et la soirée qui nous réunit ne sera qu’un jalon de plus dans la longue histoire de vos rapports avec les pères jésuites, »
Pour bien montrer qu’en effet, il se sent « chez lui » ce soir, Monsieur l’ambassadeur, tout souriant, remercie « de tout cœur » le Collège Notre-Dame de Jamhour pour l’initiative culturelle de cette flânerie. Sur sa lancée, il annonce officiellement l’alléchant programme de la dernière partie de la soirée : un récital de morceaux musicaux chinois exécutés par une artiste célèbre, spécialiste du luth, le « pipa ». Le menu de ce dîner gastronomique comprendra, pour notre plus grand plaisir, deux plats typiquement chinois préparés selon les règles par le chef cuisinier de l’Ambassade. En projection, nous aurons droit à un époustouflant spectacle d’acrobaties donné par la meilleure troupe d’acrobates de la Chine.
Sur l’estrade de la salle Michel Eddé, le cèdre du drapeau du Liban tend ses branches vers les étoiles du drapeau de la République populaire de Chine.
Certes, tous les flâneurs s’honorent d’être de fins gourmets ouverts à toutes les cultures gastronomiques. Mais le dîner veut être aussi un temps convivial, où, loin des contingences locales, on prend plaisir à se retrouver, à échanger, à partager. Le dîner, c’est le temps où la culture devient plaisir d’être ensemble.
Les tables, toujours armées avec goût, se remplissent, rassemblant les amis que l’on retrouve ou les amis que l’on se découvre.
Avec son luth, la célèbre Xiaojing He Wakim, vraie beauté chinoise, nous met sous le charme de sa musique authentiquement chinoise. Le dîner se déroule selon les rites : entrée servie à table, puis ouverture du buffet où officient les maîtres de l’art gastronomique. Le buffet chargé de mille arômes connaît un succès digne de l’ouverture de l’Exposition universelle de Shanghai. Et c’est le même dilemme de tout repas chinois : que choisir parmi tant de délices offerts ?
Aux table, les mets sont commentés, appréciés, recommandés. Sur l’écran, les danseurs acrobates obligent à suspendre en plein élan les baguettes et les couverts pour garder les yeux fixés sur leurs stupéfiantes acrobaties. Une amicale symbiose libano-chinoise s’accomplit grâce au geste le plus convivial qui soit : autour des tables, les toasts s’échangent en levant le verre où rougeoie le Ksara : GAN BEI ZHUNI JIAN KANG ! À la vôtre ! À votre santé !
Le tout entrecoupé de remarques satisfaites : FEI CHANG HAO CHI ! C’est très, très bon !
Après cette flânerie pas comme les autres, la lointaine Chine, un peu mystérieuse, nous est devenue proche, familière, attirante et accueillante. On ne peut s’empêcher de se poser mutuellement cette question : NI XI HUAN ZHONG GU MA ? Aimes-tu la Chine ?
Et chacun laisse échapper ceci, convaincu : XI HUAN ! Oui !
P. Bruno Pin
