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8 Lettre au Saint-Père Nous du Collège - N 295 - Juillet 2021
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Jamhour, le 9 mars 2021
Jour de la fête de l’Enseignant au Liban
Très cher Saint Père,
ous sommes un groupe d’éducateurs des changement pour un lendemain meilleur. De façon
NCollèges Notre-Dame de Jamhour et Saint- succincte, nous allons vous présenter quels sont,
Grégoire, les établissements jésuites du Grand- pour nous, les défis à relever au Liban et pour
Beyrouth. Nous avons souhaité vous écrire car lesquels l’éducation peut jouer un grand rôle. Nous
nous sommes très sensibles à votre parcours, votre évoquerons également les principaux obstacles qui
témoignage et votre discours en faveur d’un monde se dressent sur le chemin et qui nous empêchent,
plus juste et plus fraternel. Nous nous sentons proches en tant qu’éducateurs, de mener à bien cette tâche.
de vous par le cœur et par l’esprit et nous vibrons Enfin, nous parlerons de ce qui représente pour nous
avec vous au même diapason, celui de la spiritualité des raisons d’espérer ainsi que les pistes de travail
ignatienne qui nous unit. Nous avons été tout sur lesquels nous pourrions nous engager.
particulièrement touchés par l’importance que vous
accordez à l’éducation comme « acte d’espérance ». Les défis à relever
En tant qu’éducateurs au Liban, cette expression nous Dans notre pays, la culture du bien commun est
est allée droit au cœur pour deux raisons principales : quasi inexistante. Notre défi, c’est de la faire
la première, c’est que notre pays traverse une émerger à travers une formation à une citoyenneté
grave crise qui nous plonge, au niveau individuel et authentique et au respect des droits de l’homme ; à
collectif, dans une profonde obscurité ; la seconde, travers l’ouverture à l’autre et la culture du dialogue ;
c’est que nous croyons que l’éducation est la clé de à travers également la promotion de la justice
tout changement en profondeur. Si nous avons pris sociale et de l’attention aux plus faibles ; à travers
l’initiative de vous écrire, c’est parce que nous avons le développement de tout l’humain (et le divin)
osé rêver recevoir de votre part une réponse qui en l’homme et enfin à travers l’éveil à l’écologie
serait comme une lumière dans nos ténèbres. intégrale.
Au-delà de notre lecture des évènements, ces pages Les principaux obstacles
que nous vous écrivons contiennent notre tourment Au Liban, nous vivons une confusion entre la
et notre sentiment d’incapacité, tout comme notre citoyenneté et l’appartenance confessionnelle, ce qui
foi et notre bonne volonté. En vous rédigeant cette se traduit par des allégeances à des partis politiques
lettre, nous portons, dans le cœur et la mémoire, communautaires bien plus fortes que le sentiment
tout ce que nos établissements ne cessent d’offrir de fierté nationale. Cet état de fait a été amplifié
pour notre pays et, paradoxalement, tous les prix par l’histoire récente du Liban, la guerre civile de
que nous payons pour continuer à mener le combat 1975 à 1990 et l’après-guerre, qui demeurent un
en faveur des grandes valeurs. Nous ne vous dirons sujet tabou. Le refus, au niveau politique, de faire la
pas combien de fois nos collèges ont été détruits lumière sur ce qui s’est passé et sur les responsabilités
et reconstruits, combien de nos pères jésuites ont de chacun a empêché tout travail en profondeur de
été menacés et tués, et combien de nos professeurs, guérison de la mémoire. À cela s’ajoute un contexte
élèves et anciens ont trouvé la mort simplement de violence sournoise qui se manifeste par des
parce qu’ils ont cru en un pays qui ne s’est avéré discours agressifs et intolérants dans les médias et
qu’un lieu géographique à défaut d’accéder au sur les réseaux sociaux, ce qui contribue à la violence
statut de patrie. comportementale et verbale chez les jeunes. Sans
oublier la monstrueuse double explosion du 4 août
Nous nous concentrerons donc sur notre situation dernier et tous les meurtres et autres attentats.
aujourd’hui et sur notre désir d’être une force de Nous, Libanais, nous sentons menacés à tous les

