Page 5 - Nous 294 - Février 2021
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Et le pays renaîtra
de ses cendres !!
Charbel Batour, S.J.
Recteur
Ce Nous porte les stigmates, indélébiles, d’un événement majeur qui a
secoué notre pays. Ces quelques pages consacrées à l’explosion du port
– « attaque à la bombe », aux premiers dires du Président Trump ? – ne
sont qu’un pâle reflet d’un drame que ne peut appréhender dans ce qu’il
a d’effroyable aucun mot, aucune description, aucun discours. Le 4 août
à 18h08, Beyrouth porte le deuil de ses enfants balayés par une double
explosion apocalyptique... 2750 tonnes de nitrate d’ammonium ou 300 ?
Quelle différence puisque le mal est fait ? 207 personnes ont perdu la
vie, et plusieurs milliers de blessés ont envahi les services hospitaliers du
pays et certains continuent d’en souffrir jusqu’à aujourd’hui. Un séisme
d’une magnitude de 3,3 sur l’échelle de Richter et une déflagration dont les échos se sont
fait entendre jusqu’à l’île de Chypre. Un monstre de fumée et de poussière blanche, grise et
rougeâtre dresse sa silhouette menaçante au-dessus du port. Du sang répandu un peu partout,
le sang d’une population meurtrie et désespérée. Des hurlements, des cris, des appels au
secours continuent de résonner en notre cœur et dans notre mémoire… Des maisons et des
immeubles éventrés, des voitures endommagées, des éclats de verre parsemés sur plusieurs
kilomètres carrés de la capitale et bien au-delà… Des dizaines de milliers de foyers déplacés,
à l’intérieur du pays comme à l’étranger…
Plusieurs milliards de dollars américains de pertes ont été estimés dans un pays déjà au bord
du gouffre économique et monétaire… Reste l’espoir, l’invincible espoir, que l’économie se
rétablira un jour et que maisons et propriétés seront réparées, rénovées, embellies, comme le
montrent les quelques pages consacrées à la réhabilitation du Collège Saint-Grégoire. Mais
qu’en est-il de ceux dont la vie a été fauchée l’espace de quelques secondes, tous les êtres
chers qui nous ont quittés sans espoir de retour… Chacun se souvient de tel ou tel visage, de
tel ou tel nom… Notre communauté a perdu 7 personnes, quelques pages de ce numéro du
Nous leur sont consacrées… mais est-ce suffisant ? Raconter leur histoire ou le drame de leurs
familles, s’en souvenir est important, mais est-ce vraiment les honorer ?...
Pour honorer la mémoire de nos victimes, le minimum requis est d’établir la justice, bien mener
l’enquête judiciaire qui déterminera les responsabilités et donnera une explication plausible de
ce qui s’est passé. Mais l’aura-t-on un jour, cette justice ? Est-on seulement capable de le faire ?
D’ailleurs, suffira-t-il, pour rendre à nos victimes tout l’hommage qui leur est dû, de pointer
simplement la négligence qui érode, depuis des décennies, les services de l’État libanais ?
Rien de neuf, à vrai dire, dans le constat de la négligence et de la désuétude de notre système
bureaucratique, qui n’a fait qu’amplifier les malheurs de ce drame… N’est guère capable de
mieux l’État que nous avons construit ou plutôt que nous avons, en fait, déconstruit… Du vent
qu’ont semé nos handicaps politiques l’on ne peut que récolter la tempête du drame du port.
Saurait-on un jour qui est derrière le vieux navire Rhosus ? Qui sont ces compagnies maritimes
fantômes qu’on n’arrive pas à identifier et dont le bateau de malheur a voyagé entre la ville de
Batoumi en Géorgie, Tuzla près d’Istanbul, Athènes et Beyrouth en destination vers Beira au
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