Page 6 - Nous 294 - Février 2021
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Mozambique ? Qui a commandé cette cargaison ? Qui a décidé l’arrêt imprévu de Rhosus au
          port de Beyrouth ? Qui a accepté de décharger sa marchandise létale dans l’entrepôt numéro
          12 ? Pourquoi a-t-on délaissé et oublié ces produits explosifs, consignés depuis presque sept
          ans, au port ? Comment se fait-il que la cargaison n’ait pas été réclamée par le destinataire
          et ait été abandonnée par le propriétaire même du navire ? Que faisaient les services divers
          chargés  de  protéger  la  sécurité  de  la  ville  et  du  pays  ?  Comment  peut-on  négliger  cette
          « bombe chimique » qui menaçait, à tout instant, Beyrouth et ses habitants ?
          Si l’on a bon espoir de déterminer la négligence et le laisser-aller de l’administration libanaise,
          saura-t-on un jour qui a monté ce scénario surréaliste et maléfique ? Et le timing : est-ce une
          simple coïncidence que ces produits explosifs détonent pendant une des plus difficiles années
          dans l’histoire du Liban ? Autrement dit, y a-t-il un chef d’orchestre ou un chef de malheur
          derrière ce drame ou n’est-ce que le pur hasard qui en est l’auteur ?
          Ces questions autour de ce drame ne cessent de nous tarauder… et le pire dans cette
          douloureuse tragédie, après la perte des êtres chers, c’est le fait de perdre espoir qu’un jour
          justice sera faite et vérité rendue… D’ailleurs, le verdict prononcé dans l’affaire de l’attentat
          contre l’ancien chef du gouvernement, Rafik el Hariri, nous fait désespérer même d’une justice
          internationale… Comment celle-ci pourrait-elle faire la lumière, le cas échéant, sur un crime
          international commis contre un pays qui pèse peu à l’échelle des intérêts mondiaux ? Beyrouth,
          jadis « mère des lois », trouvera-t-elle une loi fiable qui lui rendra justice ?
          Tout cela peut nous mener à désespérer de nous-mêmes, de notre pays et de ses institutions,
          nous laissant désabusés, une fois de plus, d’une justice internationale qui n’a jamais été pour
          nous d’un réel secours… Mais nous ne pouvons nous arrêter là. Nous avons essayé de trouver,
          dès  les  premières  heures,  les  forces  nécessaires  pour  lutter  contre  le  chaos  et  le  désarroi
          suite au drame. Le 5 août au matin, il fallait chercher des moyens de pallier notre sentiment
          d’impuissance. Ainsi, toute la communauté de Jamhour s’est mobilisée pour le nettoyage et
          déblayage au Collège Saint-Grégoire. Jeunes, éducateurs et parents se sont rendus sur les
          lieux pour nous prêter main-forte dans les travaux de réhabilitation. Un expert assermenté a été
          sollicité pour estimer l’ampleur des dégâts dans les quatre bâtiments du campus beyrouthin.
          Le chantier de réhabilitation et de rénovation du CSG a commencé. Plus que quelques jours
          et ces travaux s’achèveront, et le Collège ouvrira ses portes pour accueillir ses élèves pour la
          première fois en 2020-2021…
          Mais l’action positive de notre communauté ne s’est pas limitée au déblayage et au nettoyage
          du CSG. Comme vous le lirez dans le dossier consacré au 4 août, les Jamhouriens ont été
          sur tous les fronts. Ils ont rejoint plusieurs associations pour redonner espoir aux habitants
          meurtris. Ils ont réparé des appartements, nettoyé les rues et les quartiers, assuré la nourriture
          à ceux qui en avaient besoin, distribué des médicaments aux malades, et ils ont aussi prié
          pour les victimes et les blessés, etc. Là où la mort avait étendu son voile de désolation, la vie
          a jailli dans les cœurs et les corps de nos jeunes… Au lieu de pleurer sur le sort de leur pays,
          beaucoup d’entre eux se sont engagés dans une action sociale et humanitaire pour alléger le
          fardeau de la population éprouvée. Ces jeunes-là, leur générosité et leur patriotisme pratique
          sont notre espoir et l’espoir de tout un peuple déboussolé…
          Pour toutes ces raisons, et au cœur même de ce chaos, nous poursuivons notre travail scolaire,
          au jour le jour, en semi-présentiel ou en distanciel. Nous, éducateurs du Collège, combattons
          d’une  manière  pragmatique  contre  l’anarchie  dans  laquelle  nous  nous  débattons,  et  nous
          redonnons espoir, à notre manière, à une jeunesse menacée par toutes formes de désespoir
          et de démission. La vie continue de battre son plein au Collège avec les moyens du bord, avec
          le reste de vie qui subsiste encore dans notre pays. Nous sommes confiants, contre vents et
          marées, que la crise finira bien un jour et que nous renaîtrons plus forts du feu de toutes ces
          épreuves.






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