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64 DOSSIER L’émigration, un rêve à réaliser ou une douleur à apaiser ?
Laetitia Yardemian 1 10
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’art est le fait de créer, de s’échapper de la À l’échelle locale, le Liban connaît trois vagues
Lréalité, de s’exprimer sans réserve et de toucher d’immigration, chacune immortalisée par l’art.
les émotions du public. De ce fait, de nombreux La première a lieu lorsque de nombreux libanais
artistes choisissent des thèmes sérieux et d’actualité décident de partir à la fin du XIXe siècle. Ce nombre
tels l’exil et l’immigration. L’exil concerne n’importe ne fait que s’accroitre à la suite d’événements
quel changement de résidence, volontaire ou pas, comme la grande famine entre 1914 et 1918 et la
et suscite un sentiment de dépaysement. dépression économique des années 1930. Khalil
Gibran, écrivain et poète libanais, est poussé à
Un exemple d’œuvre littéraire qui illustre quitter son pays en 1895 en direction des États-
parfaitement ce sujet est le roman de Laurent Gaudé Unis. Malgré son jeune âge au moment du départ,
intitulé Eldorado (2006). El Dorado est une cité d’or Gibran reste lié à son pays natal malgré la distance
légendaire dont l’existence n’est pas prouvée et et le mentionne même dans ses écrits. Par exemple,
dont la recherche est persistante. Dans son roman, son poème intitulé « Vous avez votre Liban, j’ai le
Gaudé confronte deux perspectives différentes de mien » appelle le peuple à la révolution et crée des
ce monde idéal. D’un côté, on suit Salvator Piracci, espoirs nationalistes à la veille du déclenchement
un officier de la marine italienne chargé de surveiller de la Grande Guerre, mais il critique également
les navires transportant des immigrés clandestins. Le l’aristocratie libanaise.
seul souhait de Piracci est de dépasser le sentiment
de culpabilité causé par son travail. La trame du Avec la guerre civile (1975-1990), le Liban connaît
roman se construit également autour de deux frères une deuxième vague d’immigration due à l’insécurité
soudanais qui cherchent à s’enfuir de leur pays dans le pays. Etel Adnan, femme de lettres et artiste
natal, la Lybie, de façon illégale afin d’accéder à libanaise, quitte le Liban pour poursuivre ses études
de meilleures conditions de vie. Ce roman illustre en France et aux États-Unis. Malgré l’éloignement
parfaitement la crise des migrants d’aujourd’hui, de son pays, Etel Adnan suit quand même les
étant donné qu’il met en scène les difficultés que événements de la guerre et s’en inspire même pour
rencontrent les réfugiés actuels : l’abandon de leur ses écrits. À titre d’exemple, « Sitt Marie Rose »
pays, le déchirement de leur famille et les dangers (1977) est un roman basé sur la vie de Marie Rose
de la traversée. Boulos, qui est tuée lors du conflit. Cette œuvre est
une sorte de critique de la culture libanaise, plus
Un autre exemple d’exil dans la littérature est précisément une dénonciation de la xénophobie et
l’œuvre autobiographique de Maryam Madjidi la misogynie présentes dans le pays, en particulier
intitulée Marx et la Poupée. Cet ouvrage raconte durant la guerre.
l’expérience de l’auteur lorsque sa famille est
contrainte de quitter son pays natal, l’Iran, et de
s’installer en France. L’auteure met en valeur les
difficultés auxquelles font face les enfants qui se
séparent de leurs familles. Le passage du refus
d’adopter les coutumes du pays d’accueil jusqu’à
l’oubli total de ses racines, la discrimination, la
marginalisation et le manque d’appartenance aux
deux pays sont certainement les nombreux obstacles
que rencontrent les jeunes immigrés d’aujourd’hui.
« La statue de l’émigré libanais », Ramez Baraka.
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Nous du Collège - N 298 - Mars 2023

