Page 64 - Nous 300
P. 64
Dossier
À propos de la francophonie au Liban ce sont des amis académiciens qui m’ont encouragé à
AM - J’ai quitté le Liban en 1976, je ne peux pas donner me présenter, et là, on se présente au fauteuil qui est
une idée de la réalité, mais je peux exprimer mon souhait vacant. J’avais rencontré Lévi-Strauss une seule fois,
par rapport à l’anglais qui prend de l’importance dans après la publication de « Léon l’Africain », l’Académie
le monde, et qui est une langue que je pratique tous m’avait remis un prix pour ce roman, Lévi-Strauss
les jours… Quand on a une connaissance du français, présidait la cérémonie de remise de prix. C’est la seule
c’est un atout très important aujourd’hui. J’espère que fois où je l’ai rencontré et on s’est juste serré la main.
les progrès inévitables de l’anglais ne se feront pas aux J’aurais certainement aimé le connaitre et dans mon
dépens d’une langue qui a une histoire importante au discours de réception, traditionnellement consacré au
Liban comme la langue française. prédécesseur, j’ai appris à le connaitre comme personne,
son parcours, sa personnalité, j’ai parlé à son épouse qui
Comment pensez-vous que la francophonie peut aider m’a très gentiment reçu, j’ai ainsi connu l’homme et pas
le Liban en ces temps de crise ? seulement l’auteur.
AM - La langue anglaise est importante, mais elle est
celle que tout le monde commence à connaitre partout Lequel de vos romans aimez-vous le plus ?
dans le monde. Si on est dans un monde extrêmement AM - C’est toujours difficile de faire un choix entre
compétitif, connaitre l’anglais n’apporte rien. Quand on a ses propres livres, c’est comme mes enfants. J’ai trois
une connaissance approfondie du français ou de l’arabe, enfants et 6 petits enfants, je ne pourrai jamais préférer
c’est un atout dans notre environnement régional et l’un à l’autre. Les lecteurs ont parfaitement le droit
dans le rayonnement vers l’Afrique, l’Europe et d’autres de préférer tel titre à tel autre. Moi, je ne suis pas
parties du monde. quelqu’un de tourné vers les livres qui sont déjà sortis,
je suis entièrement dans l’univers de ce qui va venir. Les
En tant que Libanais, qu’est-ce que ça vous fait d’avoir livres publiés font leur chemin, « vivent leur vie », ils ne
été élu à l’Académie ? m’appartiennent plus vraiment.
AM - C’était un très beau moment, et j’ai profité de mon
premier discours pour parler du Liban, de l’importance Parmi les livres que vous avez publiés, lequel a eu le
des rencontres culturelles dans ce Liban qui a vu passer plus de succès ?
beaucoup de civilisations. J’ai parlé de la présence de la AM - Plusieurs ont eu le même type de succès,
langue française et de notre accent un peu particulier Samarcande, Léon l’Africain, Le Rocher de Tanios, Le
que j’ai conservé. L’Académie est un lieu que j’ai appris Naufrage des civilisations, chacun a eu son temps ! Il
à connaitre, où j’ai rencontré des personnes de grande y a des moments où j’étais intéressé par certains pays,
qualité et où de belles amitiés se nouent, des gens certains problèmes ou histoires, cet intérêt a rencontré
attentifs aux autres. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup un intérêt auprès du public, quand d’autres thèmes
de lieux dans le monde où les gens se réunissent une intéressent moins. Je suis un écrivain qui a eu beaucoup
fois par semaine pour parler de thèmes comme ceux-là. de chance, dès mes premières publications, j’ai eu un
C’est une assemblée qui n’a aucun pouvoir, où on n’est public qui m’a lu.
jamais payé, on est là simplement à titre honorifique
pour parler de langue, d’idées, de culture, de l’évolution Les Désorientés est-il un récit autobiographique ?
du monde. Certains pensent que l’Académie ne sert à AM - Oui et non, c’est un livre qui se situe dans
rien, mais il est important d’avoir un lieu où l’on se l’univers de ma jeunesse, il n’y a aucun personnage
préoccupe de questions différentes de celles qui ont une inspiré d’un personnage que j’ai connu, je dirais que
importance immédiate. chaque personnage du livre est un mélange de traits de
caractères que j’ai notés sur beaucoup de personnes à
Vous occupez le fauteuil de Claude Lévi-Strauss, un travers ma vie. Rien n’est strictement autobiographique,
anthropologue. Est-ce le fait de votre double identité mais l’esprit du livre rejoint l’époque de ma jeunesse et
qui vous a poussé à y être ? en rend compte.
AM - Lévi-Strauss est quelqu’un que je lisais. C’est un
honneur d’avoir été élu à la place de celui dont j’avais les Merci M. Maalouf de nous avoir accordé cette rencontre.
livres entre les mains lorsque j’étais étudiant. J’ai fait des AM - Je suis heureux d’avoir retrouvé, même à distance,
études de sociologie, et un des auteurs de référence était l’atmosphère de Jamhour et son climat toujours
Claude Lévi-Strauss. Quand on se présente à l’Académie, intéressant et plein de curiosité intellectuelle.
on ne choisit pas un fauteuil ou un autre. Dans mon cas, Merci à vous tous.
64 Mars 2024 - N 300 Nous du Collège
o