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à la stricte préservation de la sécurité et par extension de plutôt que de remettre en cause son existence même. La
la liberté d’autrui, se retrouve ainsi inconditionnellement « sacralisation » devrait donc de fait se limiter à sa stricte
vénéré, car symbolisant, de par l’application de son existence, sans englober l’intégralité des moyens mis en
autorité, le désir le plus élémentaire de l’individualité, œuvre à son imposition, cette sacralisation se confondant
et donc de surcroît de la collectivité humaine. La notion avec celle des idéaux moteurs de la construction sociale.
de « sacralisation » pourrait toutefois ne pas forcément
renvoyer à l’idée d’une soumission inconditionnelle telle La confusion fréquente des notions de « respect » et de
que l’exigerait le Léviathan de Hobbes, mais plutôt à « sacré » ouvre toutefois la porte, d’un autre côté, au
une sorte de priorité donnée, et ce, indépendamment rejet de la notion même d’« autorité », la voyant plutôt
des circonstances ou encore du cadre spatio-temporel, comme un opposant farouche à la quête de liberté de
à des valeurs et idéaux qui représenteraient à l’origine l’homme.
la base immuable et donc la raison d’être de l’autorité.
La méfiance vis-à-vis de l’imprévisibilité d’autrui justifie Les opposants à toute notion de sacralisation de
en quelque sorte la nécessité de conférer aux autorités l’autorité, qu’elle soit idéologique ou pratique, se basent
un caractère transcendant, menant ainsi souvent, de ainsi, tout d’abord, principalement sur l’incompatibilité
fait, à une dissolution des idéaux originels au profit de la de ce concept avec celui de « sacré ». Le sacré étant,
crainte qu’inspirerait l’absence de système en lui-même, par définition, ce qui est « en dehors de ce monde »,
il faudrait ainsi, plutôt, redonner à l’autorité un caractère une entité ineffable et intemporelle, donner à l’autorité
résolument « immanent » à la communauté qu’elle un caractère « sacré » serait résolument incohérent du fait
contrôle, réduisant ainsi les risques d’une dissociation que le caractère mystérieux et inconnaissable du sacré
entre l’autorité et sa finalité, ici la préservation de la se confond avec sa perfection, assumée par ceux qui le
liberté humaine. Ce raisonnement, initié par Rousseau vénèrent et justifiant par là même sa vénération. Ainsi
et repris par de nombreux politologues, ouvrait ainsi serait-il résolument dangereux (en plus de ne répondre
la porte à une vénération et donc à une sacralisation à aucune véritable logique) de donner, non seulement
justifiée de l’autorité en elle-même : cette dernière, à l’autorité mais à n’importe quel autre objet ou idée
émanant directement de la communauté, représentant inhérente au monde physique un caractère sacré, du
de fait sa volonté véritable par l’émission de lois qui, fait notamment de leur imperfection. La vénération du
mises en place directement par le citoyen, assurerait sacré se basant de fait sur sa perfection, complète ou
son autonomie. Sacraliser l’autorité reviendrait donc ici partielle (les dieux nordiques, par exemple, se contentant
à sacraliser l’autonomie de la communauté, étroitement de n’être rattachés que par certains attributs à l’idée
liée à son désir de liberté. de perfection) l’autorité, imposée en fin de compte par
l’homme, perfectible, à l’homme, ne saurait en aucun
La sacralisation de l’autorité pourrait ensuite également cas voir sa sacralisation justifiée, la nature résolument
être justifiée par la nécessité de mettre en place une et profondément individualiste de l’intériorité humaine
organisation sociale mue par la raison, et ce, dans entrant constamment en conflit avec les idéaux et
l’objectif de permettre l’évolution de la société vers principes de base de l’autorité, orientés vers le général,
des idéaux de justice et d’équité. La raison étant de rendant de fait leur application totale impossible (d’où,
fait ce qui « lie » les hommes car revêtant un caractère par exemple, la fascination à l’encontre des héros
universel, au contraire des sentiments qui « séparent » tragiques qui, s’ils gouvernaient, assureraient le triomphe
du fait de l’effet distinct qu’ils ont sur les consciences constant du général, tel que défini par Kierkegaard, sur
; l’autorité, tant que dévouée au triomphe de la raison le particulier).
sur l’individualité, et donc du général sur le particulier,
devrait ainsi, selon certains, être sacralisée du fait de Cette contestation va même, dans certains cas, jusqu’à
ses objectifs intrinsèques, à savoir le rapprochement une remise en question de l’idée même d’autorité. Ainsi,
de la communauté des idéaux de justice, inatteignables loin d’œuvrer à l’épanouissement optimal de la liberté
mais nécessaires à la mise en place d’une société saine, de l’homme et donc à la réalisation de ce dernier en
l’absence d’une autorité médiatrice signifiant de fait tant qu’être pensant et libre, l’autorité serait, dans son
l’avènement du règne de l’arbitraire et donc l’absence existence même, un des principaux obstacles à la liberté
de justice, les ressentiments individualistes prenant le humaine. Le « contrat social » et sa signature ne sont
pas sur la froide objectivité et l’impartialité nécessaires ainsi vus que comme un reniement de l’idée de liberté,
à la résolution efficace d’un conflit. Ainsi, si l’autorité résolument reliée à l’individualité : toute autorité, quelle
ne saurait, dans la plupart des cas, se voir sacralisée de qu’elle soit, de par son caractère impersonnel, irait ainsi à
manière absolument indiscutable, il faudrait limiter sa l’encontre de toute possibilité de réalisation de la liberté
contestation aux méthodes appliquées et à leur cohérence humaine. L’imposition de lois, de normes, de valeurs
quant aux objectifs initiaux moteurs de sa mise en place, ou de contraintes par la communauté à l’individu, loin
122 Nous du Collège - N 291 - Juillet 2019
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