Page 123 - Nous 291
P. 123

Amicale








          d’aider à son émancipation, « castre » en quelque sorte sa   également répondre à des considérations matérielles et
          volonté et sa capacité d’agir comme bon lui semble, d’où   réalistes, pouvant dans certains cas se voir justifié par le
          par exemple la position et l’émergence progressive des   contexte socio-économique en vigueur, indépendamment
          mouvements anarchistes. Toute sacralisation de l’autorité   de toutes considérations métaphysiques. Il serait en effet
          reviendrait ainsi à la célébration du règne de l’impersonnel   déplacé de condamner la population allemande pour ses
          et à la mort de l’« individu libre » nietzschéen, en tout ce   votes en faveur de Hitler à une époque où femmes et
          qu’il a de plus unique et d’imprévisible.             enfants mouraient de faim dans des rues ravagées par
                                                                la précarité, situation justifiant en partie leur soutien, au
          Enfin,  la  vénération  de  l’autorité  correspondrait   départ inconditionnel, à l’homme et à son parti.
          également à la mort des sociétés modernes par la
          stagnation et le reniement de l’esprit de débat. Les   La sacralisation de l’autorité serait ainsi, en conclusion,
          sociétés modernes n’évoluent que par l’intermédiaire   dépendante de plusieurs facteurs dans la temporalité
          de remises en question constantes et donc de conflits, à   et l’espace, bien qu’il soit possible de poursuivre une
          l’image de la nature humaine qui ne progresse que dans   analyse à la lumière de considérations axées sur l’essence
          l’adversité, la sacralisation de l’autorité et donc, par suite,   de la nature humaine et sa quête ininterrompue de
          l’absence de remise en question de cette dernière conduit   liberté, mettant en lumière son caractère potentiellement
          à terme à une soumission des consciences à la lourdeur   dangereux dans l’optique de la réalisation de cet objectif,
          du statut quo, renonçant par là même à tout désir et   souvent utilisé par certains simulacres de démocratie
          toute possibilité de changement. Les sociétés humaines,   pour  justifier  la  soumission  progressive  de  l’individu  à
          empêtrées dans des notions de respect uniquement      un concept revêtant souvent un caractère résolument
          justifiées par l’autorité en elle-même et non son apport   impersonnel.
          direct à la société, renieraient ainsi, quasiment par choix,
          la véritable ligne directrice de la nature humaine, au profit
          de la sanctification et l’encensement d’un appareil devenu
          étranger  à  toute  notion  de  collectivité  et  profitant  de
          son statut de nouvelle « divinité » pour garder le peuple
          dans l’ignorance en l’empêchant de faire usage de ses
          capacités cognitives. La société libanaise, où les citoyens
          vont parfois jusqu’à donner à leurs leaders une dimension
          religieuse  ou  béatifiée,  leur  renouvelant  leurs  votes  de
          manière  inconditionnelle  et  ce,  malgré  la  détérioration
          continue du prisme sociopolitique et économique
          national, est ainsi un bon exemple de la stagnation sociale
          causée par la vénération éventuelle de l’autorité.

          Il serait toutefois judicieux, finalement, de s’éloigner le
          plus possible de positions résolument radicales au profit
          d’une approche plus réaliste concernant la gestion des
          rapports humains à l’autorité.

          L’autorité devrait ainsi non pas être accordée
          dépendamment  de  concepts  prédéfinis  tels  que  la
          nécessité ou non de lui conférer un caractère sacré
          mais plutôt selon une adaptation « phronésique » aux
          circonstances et au cadre spatio-temporel en rigueur au
          moment de l’analyse faite de ce concept constamment
          remis en question. La « sacralisation » de l’autorité ne
          devrait  ainsi  pas  être  justifiée  par  la  nécessité  d’une
          autorité en soi (approche favorisée par l’émergence du
          matérialisme et de la peur de l’autre) mais par son apport
          objectif à la structure sociale, bien qu’elle reste à éviter
          de manière générale du fait des effets désastreux qu’elle
          pourrait avoir sur la liberté de conscience. Le caractère
          sacré ou non de l’autorité ne saurait ainsi se limiter à des
          raisonnements  purement  philosophiques,  mais  devrait

                                                                                                               123
                                                                           Nous du Collège - N  291 - Juillet 2019
                                                                                             o
   118   119   120   121   122   123   124   125   126   127   128