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Amicale
d’aider à son émancipation, « castre » en quelque sorte sa également répondre à des considérations matérielles et
volonté et sa capacité d’agir comme bon lui semble, d’où réalistes, pouvant dans certains cas se voir justifié par le
par exemple la position et l’émergence progressive des contexte socio-économique en vigueur, indépendamment
mouvements anarchistes. Toute sacralisation de l’autorité de toutes considérations métaphysiques. Il serait en effet
reviendrait ainsi à la célébration du règne de l’impersonnel déplacé de condamner la population allemande pour ses
et à la mort de l’« individu libre » nietzschéen, en tout ce votes en faveur de Hitler à une époque où femmes et
qu’il a de plus unique et d’imprévisible. enfants mouraient de faim dans des rues ravagées par
la précarité, situation justifiant en partie leur soutien, au
Enfin, la vénération de l’autorité correspondrait départ inconditionnel, à l’homme et à son parti.
également à la mort des sociétés modernes par la
stagnation et le reniement de l’esprit de débat. Les La sacralisation de l’autorité serait ainsi, en conclusion,
sociétés modernes n’évoluent que par l’intermédiaire dépendante de plusieurs facteurs dans la temporalité
de remises en question constantes et donc de conflits, à et l’espace, bien qu’il soit possible de poursuivre une
l’image de la nature humaine qui ne progresse que dans analyse à la lumière de considérations axées sur l’essence
l’adversité, la sacralisation de l’autorité et donc, par suite, de la nature humaine et sa quête ininterrompue de
l’absence de remise en question de cette dernière conduit liberté, mettant en lumière son caractère potentiellement
à terme à une soumission des consciences à la lourdeur dangereux dans l’optique de la réalisation de cet objectif,
du statut quo, renonçant par là même à tout désir et souvent utilisé par certains simulacres de démocratie
toute possibilité de changement. Les sociétés humaines, pour justifier la soumission progressive de l’individu à
empêtrées dans des notions de respect uniquement un concept revêtant souvent un caractère résolument
justifiées par l’autorité en elle-même et non son apport impersonnel.
direct à la société, renieraient ainsi, quasiment par choix,
la véritable ligne directrice de la nature humaine, au profit
de la sanctification et l’encensement d’un appareil devenu
étranger à toute notion de collectivité et profitant de
son statut de nouvelle « divinité » pour garder le peuple
dans l’ignorance en l’empêchant de faire usage de ses
capacités cognitives. La société libanaise, où les citoyens
vont parfois jusqu’à donner à leurs leaders une dimension
religieuse ou béatifiée, leur renouvelant leurs votes de
manière inconditionnelle et ce, malgré la détérioration
continue du prisme sociopolitique et économique
national, est ainsi un bon exemple de la stagnation sociale
causée par la vénération éventuelle de l’autorité.
Il serait toutefois judicieux, finalement, de s’éloigner le
plus possible de positions résolument radicales au profit
d’une approche plus réaliste concernant la gestion des
rapports humains à l’autorité.
L’autorité devrait ainsi non pas être accordée
dépendamment de concepts prédéfinis tels que la
nécessité ou non de lui conférer un caractère sacré
mais plutôt selon une adaptation « phronésique » aux
circonstances et au cadre spatio-temporel en rigueur au
moment de l’analyse faite de ce concept constamment
remis en question. La « sacralisation » de l’autorité ne
devrait ainsi pas être justifiée par la nécessité d’une
autorité en soi (approche favorisée par l’émergence du
matérialisme et de la peur de l’autre) mais par son apport
objectif à la structure sociale, bien qu’elle reste à éviter
de manière générale du fait des effets désastreux qu’elle
pourrait avoir sur la liberté de conscience. Le caractère
sacré ou non de l’autorité ne saurait ainsi se limiter à des
raisonnements purement philosophiques, mais devrait
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Nous du Collège - N 291 - Juillet 2019
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