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Le temps retrouvé DOSSIER 63














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                                                                                                             de

           ouché de plein fouet par la pandémie de COVID-19,    La verdure mise à l’honneur
        Tle Liban est contraint de se confiner pour la première   D’autre part, cloîtrés chez eux, les Libanais redécouvrent leur
        fois en mars 2020. En dépit de ses innombrables impacts   logement en y apportant une touche de verdure. De fait,
        négatifs sur beaucoup de plans, le confinement offre enfin   de nombreuses terrasses et toitures végétalisées voient le
        à l’environnement une occasion inouïe pour respirer et   jour au sein des jungles de béton ainsi que dans les régions
        reprendre ses droits.                                   montagneuses, où ce phénomène mondial est d’autant plus
                                                                amplifié  par la  faible  urbanisation.  Divers témoignages
        Révolution au niveau des transports                     ont été recueillis par les chaînes d’information locales qui
        De prime abord, la restriction  de la libre circulation   définissent trois raisons principales à cette revégétalisation :
        (puisque la circulation était autorisée en fonction du numéro   le désir de fleurir les différents espaces du domicile en guise
        d’immatriculation pair ou impair, en 2020) rend la situation   de décoration, de tuer le temps en s’occupant régulièrement
        propice au développement des moyens de déplacement      des espèces plantées et d’équilibrer les éléments artificiels
        verts,  autrefois  écrasés  par  la  surabondance  des  voitures   comme  les  meubles  avec  les espèces  naturelles,  afin de
        thermiques. De fait, un engouement national pour le vélo   rendre le cadre de vie agréable et chaleureux. De même,
        est observé dans les rues de la capitale qui voit défiler des   les potagers fleurissent un peu partout à travers le territoire.
        centaines de cyclistes sur sa célèbre corniche longeant la   En plantant fruits et légumes, ceux qui ont le privilège
        mer.                                                    de posséder un jardin se suffisent en matière de produits
        Plus étonnant encore, les piétons prolifèrent dans tous les   agricoles et développent une certaine autarcie.
        recoins de la ville, leur nouvelle tendance à déambuler de
        manière fluide au cœur du tumulte silencieux de Beyrouth   Par conséquent, l’essor des espaces verts permet de purifier
        étonne ! Cette nouvelle tendance s’avère plus marquante   l’air  en  l’oxygénant  davantage.  Dans  mon  village  de
        en campagne, où piétons, joggeurs et cyclistes cohabitent   montagne à Kleiaat,  plusieurs espèces ont été récemment
        harmonieusement. En ce qui me concerne, le vélo constitue   plantées sur le mythique trottoir (oliviers, châtaigniers, pins,
        mon principal moyen de déplacement. Que ce soit pour me   et buissons de lavande) faisant la fierté des habitants. En
        rendre à la messe du dimanche, faire quelques courses ou tout   outre, se fournir directement auprès des producteurs,  tous
        simplement pour rester en forme, ce moyen de locomotion,   secteurs économiques confondus, contribue efficacement à
        aussi écologique qu’économique, rythme quotidiennement   la mise en place de circuits courts dont l’empreinte carbone
        mes journées de lassitude calfeutré chez moi à Sin El Fil.  est réduite au maximum ; comme c’est le cas des potagers
                                                                exploités par les citadins.
        Cette forme de recolonisation des villes et villages libanais
        est incontestablement bénéfique pour l’environnement. Les   Prise de conscience générale sur la gestion des déchets
        particules fines émises par le trafic routier et les industries   Durant le confinement qui semblait durer une éternité,
        diminuent considérablement en raison des restrictions   les Libanais sont privés de toute activité extérieure. Cela
        sanitaires imposées ; si bien que la qualité médiocre de   engendre une augmentation des déchets ménagers qui
        l’air beyrouthin s’améliore, rendant l’atmosphère enfin   résulte d’un mode de consommation bouleversé par la crise
        respirable. Par exemple, l’application « Plume Labs » qui   sanitaire. Impuissants et exaspérés face aux débordements
        parlait même d’« airpocalypse » qualifie la pollution de   récurrents de leur poubelle, plusieurs ménages se tournent
        l’air au temps du « lockdown » de modérée voire faible.   vers le tri sélectif. Grâce à l’application gratuite développée
        Concrètement, l’effet de smog (brouillard marron provenant   par l’association « Live Love Recycle » et qui compte plus de
        des émissions  de  particules  fines) qui  couvrait la  capitale   40 000 utilisateurs à travers le Liban, le recyclage des ordures
        s’amenuise drastiquement. Lorsque j’admirais la vue que   ménagères devient accessible à tous en un seul clic. « En 2015,
        m’offre Beyrouth depuis Kleiaat (Kesrouan), une épaisse   l’homme à l’origine de l’idée venait du Mozambique. Arrivé
        couche brunâtre recouvrant la ville troublait ce merveilleux   au Liban, il constate les catastrophes dues aux montagnes
        panorama. En revanche, grâce au confinement strict établi   de détritus qui jonchent les rues du pays. Celui-ci prend alors
        par les autorités, la cité urbaine redevient nettement visible.   l’initiative de fonder l’ONG Live Love Recycle, qui vise à
        Ainsi, si l’on compare mars 2019 à mars 2020, la pollution   mettre un terme à ce fléau. Une organisation allemande
        atmosphérique au Liban aurait chuté d’un tiers.
                                                                                                 o
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